Le groupage ABO est le premier système de groupe sanguin humain découvert par Landsteiner en 1900. Le deuxième type de groupe sanguin est le système Rhésus qui comprend un grand nombre d’antigènes dont les plus importants sur le plan transfusionnel sont D, C, E, c, et e. Le troisième système de groupe sanguin, le système Kell, découvert en 1946 a aussi un fort pouvoir immunogène. Ses principaux antigènes sont Kel1 ou Kell (K) et Kel2 ou Cellano (k). Le présent travail s’ajoute à plusieurs autres études nationales et avait pour finalités :

• - d’évaluer la prévalence des groupes sanguins ABO, Rhésus et Kell dans une population marocaine saine de la région Fès-Meknès à la recherche d’éventuelles spécificités locales.
• - de comparer nos résultats avec d'autres études réalisées au Maroc et ailleurs.
• - d’utiliser les produits du sang d’une façon rationnelle, et ainsi contribuer à la prévention d’allo-immunisation surtout chez les patients polytransfusés au niveau de notre hôpital.

Il s’agissait d’une étude rétrospective étalée sur 24 mois (2015-2016), intéressant 3589 dons de sang de militaires marocains en activité, volontaires et en bonne santé. Les informations ont été recueillies à partir du registre du service de transfusion de l’hôpital militaire Moulay Ismail de Meknès. Les prélèvements étaient effectués par rotation au sein de 19 établissements militaires de la région de Fès-Meknès dans le respect des bonnes pratiques du prélèvement et d’asepsie. L’entretien pré-don et l’examen médical nous ont permis d’exclure les militaires non éligibles au don selon les réglementations en vigueur. Les échantillons destinés pour le groupage sanguin ont été prélevés à partir des poches de collecte sur des tubes EDTA de 5 ml sous vide, conservés dans une glacière puis transportés et traités dans le service de transfusion dans les quatre heures pour les unités militaires de Meknès ou le lendemain pour celles de Fès. Pour le groupage ABO Rhésus et Kell on a fait usage de tests d’agglutination au moyen de réactifs Bio-rad® constitués d’anticorps monoclonaux selon les techniques complémentaires de Beth Vincent et Simonin sur plaque et sur cartes gel à la température ambiante du laboratoire.

Figure 1. La prévalence phénotypique du système ABO dans notre étude

Les fréquences phénotypiques ont été calculées en utilisant le logiciel tableur Excel 2007 et Epi info alors que celles géniques ont été déterminées selon la formule Bernstein pour le système ABO et la méthode Landsteiner et Wiener pour le système rhésus et Kell [1].

Les donneurs étaient militaires de sexe masculin, âgés entre 18 et 45 ans et issus de 19 établissements militaires de la région Fès-Meknès. La moyenne des dons de sang recueillis était de 150 par mois au niveau de 6 unités.

Figure 2. La prévalence du phénotype Rhésus D dans notre étude

Les prévalences phénotypiques trouvées pour le système ABO étaient comme suit: le groupe O (46,43%) était le plus commun, suivi par le groupe A (33,32%), le groupe B (15,92%) et le groupe AB (4,32%) (Figure 1). Pour le système Rhésus standard, le phénotype RHD était prédominant avec 89 ,18% (Figure 2). Les prévalences des antigènes du système Rh étendu ont prédominé pour les antigènes positifs C (61,17), c (85,78) et e (98,32) tandis que la prévalence de l’antigène E positif était seulement de 20 %. En fin, la prévalence du phénotype K positif n’était que de 11,36% (Figure 3).

Figure 3. La prévalence phénotypique du système Rhésus-Kell dans notre étude

Les prévalences géniques trouvées étaient comme suit : 67% pour l’allèle O, 20% pour l’allèle A, 11% pour l’allèle B, 67% pour l’allèle du Rhésus positif et 96% pour celui de Kell négatif.

On définit un groupe sanguin comme un ensemble d’antigènes génétiquement induits et déterminés, génétiquement indépendants les uns des autres, exprimés à la surface d’un ou de plusieurs types d’éléments figurés du sang [2].

Les études des systèmes ABO, Rhésus et Kell demeurent d’un immense intérêt, en raison de leur importance dans différentes circonstances médicales telles que la transfusion sanguine, la transplantation d’organes, la prédiction des maladies génétiques, l’obésité et les maladies cardiovasculaires...etc. La prévalence des groupes sanguins ABO-Rhésus et Kell diffère d’une population à une autre [3]. Et l'histoire génétique d'une population donnée peut être connue en étudiant ses groupes sanguins comme illustrée dans le travail de Mechali concernant l’origine des juifs marocains [4].

Notre travail a été réalisé dans le service de transfusion de l’hôpital militaire de Meknès, créé en 1996 pour assurer un stock stratégique en produits sanguins grâce à des collectes mobiles dans les différentes unités militaires du bassin de desserte.

Les résultats des prévalences phénotypiques des systèmes ABO étaient superposables à des études antérieures réalisées au Maroc. En effet, l’étude de Habti publiée en 2004 concernant 14 villes représentatives du Maroc concernant 344 954 donneurs de sang a trouvé les fréquences phénotypiques moyennes suivantes : O (46,05%), A (33,89%), B (15,68%) et AB (4,33%) alors que les fréquences géniques moyennes étaient O : 0,6777, A : 0,2141 et B : 0,1053. Par ailleurs dans cette même étude la différence entre les valeurs extrêmes des fréquences entre le nord et le sud du Maroc était significative [5]. D’autres études similaires faites dans des pays voisins au Maroc ont conclu à pratiquement des résultats proches des nôtres. En effet, une étude réalisée en Algérie à Tlemcen en 2007 a trouvé une prédominance du groupe O (44,04%) suivi du groupe A (39,29%) et B (12,83%) alors que la prévalence du groupe AB n’était que de 3,84% dans un échantillon de 2759 donneurs. Dans une autre tunisienne portant sur un échantillon large de donneurs (63375), la prévalence du groupe O était la dominante (46.7%), suivie du groupe A (30.8%) et B (18%), le groupe AB était le minoritaire (4.5%) [6].

Ces résultats situent la population marocaine comme celles algérienne et tunisienne en position intermédiaire entre ceux de l’Europe du Sud et ceux de l’Afrique subsaharienne (Tableau 1) [7-11].

Concernant le système rhésus standard D, c’es le phénotype rhésus positif qui prédomine à l’échelle mondiale. La prévalence du phénotype Rh négatif varie entre 40 et moins 1% (notamment en chine). Dans l’étude de Zahid et al. réalisée à Marrakech en 2015 chez 8077 donneurs de sang des militaires, la fréquence du Rhésus positif était de 89,86% ce qui concorde pratiquement avec 89% des Rhésus positif retrouvé dans notre échantillon.

Les prévalences des antigènes du système Rh étendu ont prédominé dans ce travail pour les antigènes positifs e (98,32%), c (85,78%), C (61,17%). L’étude de Benahadi et al. Réalisée en 2014 chez 55630 donneurs de sang, dans neuf régions différentes du Maroc avait objectivé une prédominance de l’antigène e (89,45%) suivi de l’antigène c (60,58). L’haplotype le plus commun au Maroc était DCe, suivi par Dce, puis dce avec des fréquences respectives de 0,38, 0,34 et 0,28 [12].

La prévention des accidents immuno-hématologiques est basée sur l’adéquation des produits sanguins labiles avec les caractéristiques immunologiques du receveur. Or, cette compatibilité est forcément imparfaite, en raison de l’extrême polymorphisme des systèmes de groupe sanguin. D’où l’intérêt de réaliser des études de prévalence phénotypiques locales.

Les données de notre étude concordent avec celles des études antérieures réalisées aux différents centres régionaux de transfusion sanguine du Maroc et confirment la prédominance du groupe O et du phénotype Rh positif.

On constate également des gradients de fréquences antigéniques ABO entre le nord et le sud (le gradient O, à l’inverse du gradient A, augmente en allant du nord vers le sud, le gène B ne semble suivre aucun gradient). Ces différences de fréquences constatées seraient expliquées par la situation géographique du Maroc et les migrations de populations en provenance des pays d’Europe et d’Afrique.