Toxidermie sévère compliquant la corticothérapie systémique au cours d’un syndrome de Goujerôt-Sjögren primitif
Nesrine Regaïeg, Mayada Ben Hamad, Fatma Rekik, Hassène Baïli, Hanène Nouma, Bouomrani Salem (salembouomrani at yahoo dot fr) #
Service de Médecine Interne. Hôpital Militaire de Gabes 6000, Tunisie
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.5.2585
Date
2018-05-10
Citer comme
Research fr 2018;5:2585
Licence
Résumé

Introduction : Les toxidermies induites par les corticostéroïdes restent exceptionnelles et posent un vrai défi diagnostique puisque ces médicaments sont des anti-allergiques majeurs. Nous rapportons une observation de toxidermie sévère secondaire à la prise systémique de corticoïdes. Observation : Il s’agissait d’une patiente âgée de 24 ans, suivie pour syndrome de Sjögren primitif, qui s’était compliqué d’une néphropathie glomérulaire sévère nécessitant sa mise sous corticothérapie systémique à pleine dose (1mg/kg/j). Une semaine après, il y a eu apparition d’une éruption cutanée maculo-papuleuse diffuse et prurigineuse évoluant rapidement vers l’exfoliation du corps entier en couches épaisses donnant l’aspect d’ichtyose acquise. Les explorations para-cliniques, l’avis dermatologique spécialisé ainsi que l’enquête de pharmacovigilance avaient conclu à une toxidermie causée par le prednisone. La conduite était la décroissance rapide jusqu’à l’arrêt du prednisone, le traitement symptomatique cutané et le switch sous prednisolone. L’évolution était marquée par l’amélioration nette des lésions cutanées. Conclusion : Les accidents allergiques dus aux corticoïdes restent rares et inhabituels vu leurs actions anti-inflammatoire, anti-lymphocytaire et immunosuppressive.

English Abstract

Introduction : corticosteroid-induced toxidermies remain exceptional and represent a real diagnostic challenge since these drugs are major anti-allergic agents. We report a case of severe toxidermia secondary to systemic corticosteroids. Case: a 24-years-old woman was followed for primary Sjögren's syndrome which was complicated by severe glomerular nephropathy requiring full-dose of systemic corticosteroid therapy (1mg/kg/day). A week later, a diffuse and maculo-papular rash appeared with exfoliation of the whole body. Complementary investigations, specialized dermatological exam and pharmacovigilance advice concluded to a prednisone-induced toxidermia. Prednisone was replaced by prednisolone. The evolution was favorable with improvement of the cutaneous lesions. Conclusion: Allergic accidents due to corticosteroids are rare and unusual given the anti-inflammatory, anti-lymphocytic and immunosuppressive actions of these drugs.

Introduction

Les toxidermies médicamenteuses sont des réactions iatrogènes cutanéo-muqueuses fréquentes et potentiellement graves. Elles sont d’une grande diversité clinique et sont au premier rang des incidents iatrogènes allergiques [1, 4].

Toxidermie sévère compliquant la corticothérapie systémique au cours d’un syndrome de Goujerôt-Sjögren primitif Figure 1
Figure 1. Toxidermie : Aspect de l’exfoliation en couches épaisses au niveau du dos.

Les toxidermies dues aux corticostéroïdes restent exceptionnelles et posent un vrai défi diagnostique puisque ces médicaments sont des anti-allergiques majeurs et sont souvent utilisés pour traiter les toxidermies graves [5, 6].

Toxidermie sévère compliquant la corticothérapie systémique au cours d’un syndrome de Goujerôt-Sjögren primitif Figure 2
Figure 2. Toxidermie : Aspect de l’exfoliation en couches épaisses au niveau du visage.

Nous rapportons une observation de toxidermie sévère secondaire à la prise de corticoïdes systémiques.

Observation

Patiente âgée de 24 ans, fut hospitalisée pour bilan lésionnel et prise en charge d’un syndrome de Sjögren primitif (SGP).

Ce dernier était diagnostiqué devant l’association de : une xérostomie, une xérophtalmie, un syndrome sec oculaire objectivé par l’examen ophtalmologique, une sialadénite lymphocytaire chronique stade 3 de Chisholm à la biopsie des glandes salivaires accessoires et des anticorps antinucléaires, anti-SSA et anti-SSB positifs.

Toxidermie sévère compliquant la corticothérapie systémique au cours d’un syndrome de Goujerôt-Sjögren primitif Figure 3
Figure 3. Toxidermie : Aspect de l’exfoliation en couches épaisses au niveau des jambes.

Le bilan des manifestations systémiques concluait à une atteinte rénale à type de néphropathie glomérulaire sévère avec une insuffisance rénale aigue organique débutante : créatinine initialement à 300 µmol/l puis à 531 µmol/l.

La conduite à tenir initiale était de la mettre sous corticothérapie systémique à base de prednisone (cortancyl®) à pleine dose (1mg/kg/j), soit 65mg par jour.

L’évolution était marquée par l’apparition après une semaine d’une éruption cutanée maculo-papuleuse généralisée, débutant au niveau du tronc avec une extension symétrique secondaire au niveau des membres, prurigineuse évoluant rapidement vers l’exfoliation du corps entier en couches épaisses donnant l’aspect d’une ichtyose acquise (figures 1-4).

Les explorations paracliniques, l’avis dermatologique spécialisé ainsi que l’enquête de pharmacovigilance avaient conclu à une toxidermie sévère causée par le prednisone (cortancyl®).

Toxidermie sévère compliquant la corticothérapie systémique au cours d’un syndrome de Goujerôt-Sjögren primitif Figure 4
Figure 4. Toxidermie : Aspect de l’exfoliation au niveau des pieds.

La conduite thérapeutique était la décroissance rapide jusqu’à l’arrêt du prednisone, le traitement symptomatique cutané et le switch sous prednisolone (solupred®).

L’évolution était marquée par l’amélioration nette et rapide des lésions cutanées au bout de la première semaine jusqu’à la disparition totale au bout de quinze jours (figures 5, 6).

Toxidermie sévère compliquant la corticothérapie systémique au cours d’un syndrome de Goujerôt-Sjögren primitif Figure 5
Figure 5. Toxidermie : amélioration des lésions cutanées après une semaine de l’arrêt du traitement (jambes et mains). a : Aspect au niveau des jambes ; b : Aspect au niveau des mains.
Discussion

Les toxidermies médicamenteuses sont au premier rang des incidents iatrogènes allergiques [1].

Les médicaments les plus incriminés sont les anti-inflammatoires non stéroïdiens (en particulier ceux de la famille des oxicams), les anti rétroviraux, les sulfamides anti-infectieux, l’allopurinol et les anti-comitiaux notamment la carbamazépine, le phénobarbital, la phénytoïne, et secondairement la lamotrigine mais aussi la sertraline, le pantoprazole, l’héparine et le tramadol [1, 2].

Toxidermie sévère compliquant la corticothérapie systémique au cours d’un syndrome de Goujerôt-Sjögren primitif Figure 6
Figure 6. Toxidermie : amélioration nette des lésions cutanées après deux semaines de l’arrêt du traitement (mains).

Il est admis depuis longtemps que les corticostéroïdes possèdent des actions multiples justifiant leur utilisation en thérapeutique en particulier leur action anti- inflammatoire et antiallergique ou immuno- modulatrice [6].

Cependant, il est rarement rapporté dans la littérature que ces mêmes médicaments peuvent être à l’origine de réactions allergiques diverses et de sévérité variable allant d’un simple rush cutané jusqu’aux états de choc anaphylactique parfois mortels [3, 5, 6]. En effet, l’incidence de ces réactions était estimée entre 2,9% et 5,1% des cas [7].

Dans une revue de la littérature faite en 2015 par Patel.A, la prévalence des accidents allergiques immédiats dus aux corticostéroïdes était estimée à 0,1-0,3% [6].

La méthylprednisolone était la molécule la plus impliquée, et ceci dans plus du tiers des cas (soit 37,5%), suivie par la prednisolone dans un quart des cas (25%) [6]. D’autres stéroïdes responsables de phénomènes allergiques ont été citées comme l’hydrocortisone, la prednisone, la triamcinolone, la bétaméthasone et la dexaméthasone [6, 8].

Toutes les voies d’administrations ont été incriminées dans la survenue de ces accidents [6, 9] en particulier la voie intra veineuse (soit dans 45,2% des cas) suivie par la voie orale mais aussi la voie intra-articulaire et intra musculaire [6, 9]. La survenue de ces accidents est dose indépendant [8].

Concernant les tableaux cliniques, les toxidermies médicamenteuses se manifestent par un exanthème maculo-papuleux dans 40-60% des cas, suivi par l’urticaire dans 20-30% des cas [1, 2]. Ces deux types de lésions sont qualifiées de « bénignes » [1] puisque leur pronostic fonctionnel ainsi que vital est nettement meilleur. L’exanthème maculopapuleux évolue rarement vers une toxidermie plus sévère pouvant mettre en jeu le pronostic vital [1].

Ceci est aussi applicable aux toxidermies causées par les corticostéroïdes [6], et pour lesquels d’autres manifestations allergiques ont été rapportées dans la littérature tel qu’un angio-œdème [6], un œdème important au site d’injection secondairement généralisé [7], des cas de collapsus cardiovasculaire, de bronchospasme et de décès sous forte dose de corticostéroïdes par voie intra veineuse [8].

Dans une mise au point faite par Lebrun-Vignes B & Valeryie-Allanore L en 2015, la fréquence des formes sévères de toxidermies médicamenteuses (décès, séquelles graves), toute étiologies confondues, est estimée à 2 % regroupant trois grandes catégories : les toxidermies bulleuses (le syndrome de Stevens-Johnson et la nécrolyse épidermique toxique ou syndrome de Lyell), le syndrome d’hypersensibilité (DRESS : drug reaction with eosinophilia and systemic symptoms) et la pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG). Ces syndromes peuvent mettre en jeu le pronostic vital et ils doivent être rapidement diagnostiqués et pris en charge [2]. Toutefois, il n’a pas été décrit dans la littérature de réactions similaires suite à une prise de corticostéroïdes.

L’imputabilité des corticostéroïdes, comme tout autre médicament, dans la survenue de la toxidermie nécessite des tests cutanés [6, 9, 10] et une enquête de pharmacovigilance minutieuse à la recherche de toute prise médicamenteuse dans les 28 jours précédant les premiers signes cliniques [6, 9]. Toutefois, ces tests manquent souvent de spécificité [3, 6] d’où la notion d’imputabilité chronologique qui tient compte des délais évocateurs, de l’évolution après arrêt du traitement et de la récidive de la toxidermie après réintroduction du même médicament [1].

En cas de toxidermie grave, une déclaration en pharmacovigilance est indispensable quel que soit le médicament impliqué, et dans tous les cas s’il s’agit d’un médicament récent ou non classiquement associé à un risque cutané [3].

Les mécanismes physiopathologiques mis en jeu dans ces réactions allergiques ne sont pas encore bien élucidés [6].

Certes, l’hypersensibilité médiée par les IgE entre en jeu, ceci est prouvé par la positivité des tests cutanés mais ce n’est pas toujours le cas [6, 7].

Certains mettent en relief l’hypothèse d’une toxicité directe du médicament qui est favorisée par des anomalies du métabolisme médicamenteux; ces anomalies peuvent être d’origine génétique ou virale [11].

Notre observation est caractérisée par le terrain dysimmunitaire sous-jacent qui pourrait jouer un rôle dans le déclenchement de cette réaction allergique. En effet, certains auteurs ont émis l’hypothèse d’un effet prédisposant des maladies auto-immunes comme le lupus érythémateux aigu disséminé ou de certains haplotypes HLA dans la survenue des toxidermies médicamenteuses [2, 11].

Cette hypothèse se trouve réconfortée par l’observation de Butani L., qui a rapporté un cas d’hypersensibilité au Solumedrol® par voie intraveineuse indiqué devant une néphropathie lupique sévère avec encéphalopathie hypertensive [8].

Conclusion

La survenue d’une toxidermie médicamenteuse aux corticostéroïdes reste rare. Cependant, elle est intéressante à connaitre et à prévoir par le clinicien du fait des complications gravissimes qu’elle peut engendrer. Ceci semble particulièrement intéressant à considérer chez les sujets ayant un terrain dys-immunitaire sous-jacent qui pourrait favoriser la survenue de ces accidents allergiques.

Déclaration

Conflits d’intérêts : Aucun.

Considérations éthiques : La patiente a donné son consentement oral et écrit pour la publication de ses données et ses photos.

Références
  1. Thielen A, Toutous-Trellu L, Desmeules J. [Drug-eruptions]. Rev Med Suisse. 2008;4:1671-5 pubmed
  2. Lebrun-Vignes B, Valeyrie-Allanore L. [Cutaneous adverse drug reactions]. Rev Med Interne. 2015;36:256-70 pubmed publisher
  3. Verma R, Vasudevan B, Pragasam V. Severe cutaneous adverse drug reactions.. Med J Armed Forces India. 2013;69:375-83 pubmed publisher
  4. Roujeau J, Bonnetblanc J, Schmutz J, Crickx B. [Iatrogenic disease. Diagnosis and prevention. Dermatitis medicamentosa]. Ann Dermatol Venereol. 2002;129:S163-9 pubmed
  5. Erdmann S, Abuzahra F, Merk H, Schroeder A, Baron J. Anaphylaxis induced by glucocorticoids. J Am Board Fam Pract. 2005;18:143-6 pubmed
  6. Patel A, Bahna S. Immediate hypersensitivity reactions to corticosteroids. Ann Allergy Asthma Immunol. 2015;115:178-182.e3 pubmed publisher
  7. Lee-Wong M, McClelland S, Chong K, Fernandez-Perez E, Fernandez E. A case of hydrocortisone desensitization in a patient with radiocontrast-induced anaphylactoid reaction and corticosteroid allergy. Allergy Asthma Proc. 2006;27:265-8 pubmed
  8. Butani L. Corticosteroid-induced hypersensitivity reactions. Ann Allergy Asthma Immunol. 2002;89:439-45; quiz 445-6, 502 pubmed
  9. R s nen L, Hasan T. Allergy to systemic and intralesional corticosteroids.. Br J Dermatol. 1993;128:407-11 pubmed
  10. Rietschel R. Patch testing for corticosteroid allergy in the United States.. Arch Dermatol. 1995;131:91-2 pubmed
  11. Barbaud A. [Global management of cutaneous adverse drug reactions]. Ann Dermatol Venereol. 2007;134:391-401 pubmed
ISSN : 2334-1009