La leucémie aiguë plasmocytaireː à propos d’un cas et revue de littérature
Abdelaziz Khalloufi1 (dkhalloufi at gmail dot com) #, Hicham Eddou2, Hanane Khalki1, L’houssain Louzi1
1 Laboratoire d’hématologie - Hôpital Militaire Moulay Ismail de Meknès - Bd El Hanssali - 50000 Meknès - Maroc. 2 Service d’hématologie clinique - Hôpital Militaire Moulay Ismail de Meknès - Bd El Hanssali - 50000 Meknès – Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.2.1468
Date
2015-11-12
Citer comme
Research fr 2015;2:1468
Licence
Résumé

La leucémie à plasmocytes (LAP) est une hémopathie maligne extrêmement rare, de pronostic péjoratif. Elle est définie par la présence dans le sang circulant d’un nombre de plasmocytes supérieur à 2 giga/L ou supérieur à 20% des leucocytes. Elle se présente sous 2 formes : LAP secondaire compliquant un myélome multiple connu, et LAP primaire, d’emblée leucémique. Nous rapportons l’observation d’un patient marocain âgé de 52 ans, ayant présenté 3 mois avant son hospitalisation des douleurs osseuses avec altération de l’état général. L’hémogramme a révélé une anémie normochrome normocytaire à 8,1 g/dL et une hyperleucocytose. Le frottis sanguin a objectivé une plamocytose sanguine à 2,4 giga/L. Le myélogramme a confirmé le diagnostic de LAP en montrant une moelle riche envahie par 63% de plasmocytes dysmorphiques. La présentation clinique de la leucémie à plasmocytes, ses caractéristiques cytologiques, immunophénotypiques, physiopathologiques, sa prise en charge thérapeutique et son évolution seront rappelées à travers cette observation et comparées au myélome multiple.

English Abstract

The plasma cell leukemia (PCL) is an extremely rare malignant blood disorder with a pejorative prognosis. It is defined by the presence of at least 20% of plasma cells in the peripheral blood or an absolute number of circulating plasma cells greater than 2 giga /L. It appears under two variants: secondary PCL that complicates known multiple myeloma and primitive PCL that is immediately leukemic. We report the case of a 52 years old male patient who presented 3 months before his hospitalization diffuse bone pains with a deterioration in general condition. The CBC revealed a normochromic normocytic anemia (8.1 g/dL) and a leukocytoisis. The blood smear objectified 2.4 giga/L circulating plasma cells. The bone marrow exam noted a rich cellularity and a marrow invaded up to 63% by dystrophic plasma cells. The clinical presentation of the plasma cell leukemia, its cytological smear characteristics, immunophenotypical, pathophysiological, therapeutic approach and outcome will be reminded in this article and compared to multiple myeloma.

Introduction

La leucémie à plasmocytes (LAP) est la variante la plus rare mais la plus agressive des gammapathies monoclonales [1]. On retient deux formes : la forme primitive survenant de novo chez des patients sans myélome multiple (MM) préexistant et diagnostiquée d’emblée par une dissémination sanguine, et la LAP secondaire, correspondant à un événement tardif chez les patients atteints de MM. Nous rapportons l’observation d’un cas de LAP primaire d’évolution rapidement péjorative.

La leucémie aiguë plasmocytaireː à propos d’un cas et revue de littérature Figure 1
Figure 1. Radiographie standard montrant des géodes à l’emporte pièce de l’humérus droit.
Observation

Il s’agit d’un patient marocain âgé de 52 ans, sans antécédent pathologique notable, admis en février 2014 à l’hôpital militaire Moulay Ismail de Meknès pour des douleurs osseuses du membre supérieur droit d’allure inflammatoire, résistantes aux traitements antalgiques de palier 1, évoluant depuis 3 mois, dans un contexte d’altération de l’état général (amaigrissement de 10 Kg, asthénie et sueurs nocturnes).

La leucémie aiguë plasmocytaireː à propos d’un cas et revue de littérature Figure 2
Figure 2. Frottis sanguin coloré au MGG, grossissement x 1000, montrant des hématies en rouleaux, 1 plasmocyte, 1 polynucléaire éosinophile, 1 monocyte et 1polynucléaire neutrophile.

A l’examen clinique, le patient était apyrétique et présentait une pâleur cutanéo-muqueuse avec douleurs à la mobilisation et à la pression du membre supérieur droit. Il n’y avait pas de syndrome hémorragique, infectieux ou tumoral. Le bilan radiologique a montré des images lytiques à l'emporte pièce, non seulement au niveau de l'humérus droit (fig.1), mais aussi au niveau du crâne et du bassin.

La leucémie aiguë plasmocytaireː à propos d’un cas et revue de littérature Figure 3
Figure 3. Frottis médullaire coloré au MGG, grossissement x1000, montrant un envahissement médullaire par des plasmocytes dystrophiques.

Le bilan biologique a révélé à l’hémogramme la présence d’une anémie normochrome normocytaire arégénérative à 81g/L et une thrombopénie à 100 giga/L associé à une hyperleucocytose à 16,2 giga/L. Le frottis sanguin a montré la présence d’une plasmocytose circulante à 15% (soit 2,4 giga/L) et des hématies en rouleaux (fig. 2).

Le myélogramme a objectivé une moelle riche et envahie à 63% par des plasmocytes dystrophiques (fig.3).

Dans le bilan biochimique, il existait un syndrome inflammatoire avec une CRP élevée à 170 mg/L, une hyperprotidémie à 100 g/L, une hypercalcémie à 120 mg/L, une insuffisance rénale (clairance de la créatinine évaluée à 13 mL /mn selon MDRD), et un pic monoclonal à 57 g/L migrant en zone des gammaglobulines sur l’électrophorèse des protéines. L’immunofixation confirme la présence d’une immunoglobuline de type IgG à chaines légères kappa. Une étude cytogénétique a été réalisée, mais n’a pas trouvé d’anomalies péjoratives notamment une délétion du 17p ou une translocation (4;14). Sur le plan thérapeutique, le patient a bénéficié d’une chimiothérapie selon le protocole Velcade -Thalidomide-Dexaméthasone avec des injections mensuelles de biphosphonates, associée à un traitement symptomatique (diurèse forcée, des antalgiques (à base de morphiniques) et un support transfusionnel). L’évolution a été marquée par l’obtention d’une très bonne réponse partielle après 6 cures. Cette réponse a été consolidée par une intensification thérapeutique par Melphalan avec le support des cellules souches autologues. Huit mois après l’autogreffe le patient a présenté une rechute explosive. Un traitement de rattrapage a été instauré par Revlimid-dexamethasone, mais malheureusement le patient est décédé durant la première cure dans un tableau de choc septique.

Discussion

La LAP à été décrite pour la première fois par Gluzinski et Reichenstein il y a plus d’un siècle. C’est une forme rare qui ne représente que 2-4% des patients atteints de myélome multiple et 0,9% de toutes les leucémies aigues [1]. Elle résulte d’une prolifération monoclonale de plasmocytes et est définie par la présence dans le sang circulant de plasmocytes avec un taux supérieur à 2 giga/L ou supérieur 20% des leucocytes [1]. En cas de doute, des bilans complémentaires devront éliminer les causes réactionnelles à une infection, une maladie auto-immune ou néoplasique. Dans le cas de notre patient, ces explorations n’ont pas été effectuées devant un tel tableau évident.

Au Maroc, le registre de notification des cancers de Rabat montre que l’incidence des MM était en 2005 de 22 par million d’habitant (pmh) par an pour les hommes et de 9,4 pmh pour les femmes [2]. Ces chiffres nous donnent une estimation approximative sur les LAP dans notre contexte, comme elles compliquent 2 à 4% des MM.

L’âge médian de survenue de la LAP se situe entre 52 et 65 ans (environ 10 ans plus jeune que l’âge médian observé dans le MM) et le sexe ratio est égal à 1 [3]. Notre patient s’intègre parfaitement dans cet intervalle.

La présentation clinique de la LAP et plus agressive que le MM et associe une asthénie, des douleurs osseuses, un syndrome anémique et des hémorragies. On note une plus grande fréquence des atteintes extra-médullaires (surtout hépatique (52%) et splénique (40%) [4] ).

Sur le plan biologique, la fréquence ainsi que la gravité de l’anémie et de la thrombopénie paraissent plus importantes dans la LAP que dans le MM. En ce qui concerne les immunoglobulines monoclonales, les formes à IgA sont moins fréquentes que chez les patients atteints de MM. Dans les LAP primitives, on note un pourcentage élevé des formes à chaînes légères expliquant la fréquence de l’atteinte rénale. Du point de vue cytologique, les plasmocytes sont classiquement bien différenciés. Chez notre patient, ils étaient au contraire dystrophiques. L’hypercalcémie, l’insuffisance rénale et une élévation du taux sérique de la β2 microglobuline sont plus fréquentes et notre observation en fait partie. A La cryométrie en flux, les plasmocytes de la LAP partagent avec le MM une expression des antigènes de surface CD38 et CD138 [5]. A l’inverse du MM, une surexpression de CD54 sur les cellules myélomateuses faciliterait leur migration extra-médullaire en favorisant la dissémination tumorale. Aussi une forte expression des récepteurs des chimiokines (CCR1, CCR2 et CXCR4) intervient dans le développement de la LAP [7]. On note par ailleurs, dans la LAP, une hyper expression des antigènes CD20 et une faible expression des antigènes CD9, CD117, CD56 et HLA-DR [6]. La LAP secondaire est quant à elle caractérisée par l’acquisition du CD28 responsable de l’augmentation de la prolifération cellulaire et de la progression de la maladie [6]. En fin, cet examen immunologique permettra d'assoir le diagnostic en cas d'exceptionnels plasmocytes avec des projections cytoplasmiques mimant des tricholeucocytes [8, 9].

La cytogénétique et la biologie moléculaire permettent d’identifier de nombreuses anomalies sans qu’aucune d’entre elles ne se révèle réellement spécifique. Les hypodiploïdies, les délétions du chromosome 13 et les monosomies représentent les anomalies les plus trouvées. La monosomie 7, rarement signalée en cas de MM a été notée dans les LAP. Les anomalies du chromosome 1 sont aussi fréquentes particulièrement l’amplification 1q21 et la délétion 1p21. La perte de TP53 par mutation ou par délétion a été observée dans 56% des LAP primitives contre 83% des LAP secondaires. La translocation (11;14), la délétion17p13.1 et la monosomie 13 ont été considérées comme de marqueurs de mauvais pronostic [4, 10]. Chez notre patient l’analyse cytogénétique est restée muette.

Sur le plan pronostique, la LAP est l’une des hémopathies dont le pronostic est le plus sombre. La survie médiane historique (avant les années 2000) variait de 4 à 12,6 mois avec un taux de survie à 5 ans inférieur à 10 % dans de nombreuses séries. Avec l’avènement de nouvelles thérapies et le recours de plus en plus à l’autogreffe de cellules souches hématopoïétiques, la médiane de survie s’est beaucoup améliorée (récemment plus de 3 ans).

Le traitement de la LAP constitue une urgence et doit être instauré rapidement. Actuellement, des protocoles à base d’inhibiteurs de protéasome sont recommandés pendant la phase d’induction et permettent une cytoréduction rapide. Ce résultat doit être consolidé par une intensification thérapeutique avec le support de cellules souches autologues ou allogéniques chez les sujets éligibles.

Conclusion

La LAP est une pathologie très grave mais heureusement extrêmement rare. Le diagnostic est simple se basant sur la découverte d’une plasmocytose circulante sur le frottis sanguin par un biologiste averti.

Malgré les résultats thérapeutiques encourageants surtout pour les protocoles incluant les nouvelles molécules, le chemin reste encore loin pour mieux comprendre les mécanismes physiopathologiques et la caractérisation de la maladie.

Références
  1. Alghasham N, Alnounou R, Alzahrani H, Alsharif F. Plasma cell leukemia: Clinicopathologic, immunophenotypic and cytogenetic characteristics of 4 cases. Hematol Oncol Stem Cell Ther. 2015;8:71-7 pubmed publisher
  2. Bouaouad M. Thèse de médecine, N° :113, 2011, faculté de médecine et de pharmacie de Rabat, Maroc: 50.
  3. Costello R, Sainty D, Bouabdallah R, Fermand J, Delmer A, Divine M, et al. Primary plasma cell leukaemia: a report of 18 cases. Leuk Res. 2001;25:103-7 pubmed
  4. Ravinet A, Bay J, Tournilhac O. [Plasma cell leukemia]. Bull Cancer. 2014;101:1048-58 pubmed publisher
  5. Takahashi T, Kanno S, Itoh H, Yoshimoto M, Tsujisaki M, Fujino M. Two cases of nonsecretory multiple myeloma presenting as primary plasma cell leukemia. Intern Med. 2014;53:2121-5 pubmed
  6. Guieze R, Moreau A.S,Dupire S, Coiteux V,Facon T et al. Leucémie à plasmocytes, Hématologie, 2005, volume 11, numéro 3: 217-25.
  7. Oliveira A, Maria D, Metzger M, Linardi C, Giorgi R, Moura F, et al. Thalidomide treatment down-regulates SDF-1alpha and CXCR4 expression in multiple myeloma patients. Leuk Res. 2009;33:970-3 pubmed publisher
  8. Hanbali A, Alrajeh A, Rasheed W. Plasma cell leukemia mimicking hairy cell leukemia. Hematol Oncol Stem Cell Ther. 2015;8:91-2 pubmed publisher
  9. Majhi U, Murhekar K, Sundersingh S, Rajalekshmi KR. Primary cell leukemia with unusual presentation, Indian J hematol Blood Transfus, 2014, 30 (suppl1): 390-3.
  10. Chang H, Sloan S, Li D, Patterson B. Genomic aberrations in plasma cell leukemia shown by interphase fluorescence in situ hybridization. Cancer Genet Cytogenet. 2005;156:150-3 pubmed
ISSN : 2334-1009