Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté
  1. Hichem Belhadjali MD
    belhadjalihichem at gmail dot com
    Service de dermatologie, CHU Monastir, Tunisie
  2. Y soua MD
    Service de dermatologie, CHU Monastir, Tunisie
  3. M Youssef MD
    Service de dermatologie, CHU Monastir, Tunisie
  4. M Chemli MD
    Service de dermatologie, CHU Monastir, Tunisie
  5. A Moussa MD
    service d’anatomie pathologique, CHU Monastir, Tunisie
  6. J Zili MD
    Service de dermatologie, CHU Monastir, Tunisie
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.680
Date
2014-04-10
Citer comme
Research fr 2014;1:680
Licence
Résumé

Introduction : L'acrokératose paranéoplasique ou syndrome de Bazex (SB) est une dermatose paranéoplasique rare presque toujours associée à une néoplasie, le plus souvent à type de carcinome épidermoïde des voies aérodigetives supérieures. L'association à des tumeurs stromales gastrointestinales n'a pas été rapportée dans la littérature à notre connaissance.

Observation : Un patient âgé de 70 ans consultait pour des plaques psoriasiformes des pieds et des mains évoluant dans un contexte d'altération de l'état général. Une biopsie cutanée était en faveur d'un syndrome de Bazex. Dans le cadre de recherche de néoplasie sous-jacente, un scanner thoracoabdomino-pelvien a repéré une tumeur gastrique dont la biopsie a confirmé le diagnostic de GIST. L'exérèse large de la tumeur a entrainé une régression complète des lésions cutanées. La récidive des lésions a révélé la présence de métastases hépatiques.

Discussion : L'acrokératose paranéoplasique est toujours associée à une néoplasie, le plus souvent à type de carcinome épidermoïde des voies aérodigetives supérieures constituant plus de la moitié des tumeurs malignes constatées. A notre connaissance, aucun cas de (SB) n'a été rapporté en association avec une tumeur de type (GIST). Notre observation correspondrait ainsi au premier cas d'acrokératose paranéoplasique révélatrice d'une tumeur stromale gastrique.

English Abstract

Introduction: The paraneoplastic acrokeratosis or Bazex syndrome (SB) is a rare paraneoplastic dermatosis generally associated with malignancy, most often with squamous cell carcinoma of the upper aerodigetive tract. The association with gastrointestinal stromal tumors has not been reported in the literature to our knowledge. We report the first case of a Bazex syndrome revealing a stromal gastric tumor (GIST) in a 70 year-old man.

Observation: A 70- year -old patient consulted for psoriasiform plaques on the feet and hands in a context of altered general condition. A skin biopsy revealed a Bazex syndrome. To search an underlying neoplasia, a thoraco-abdominal-pelvic CT scan identified a gastric tumor. The biopsy confirmed the diagnosis of GIST. Wide excision of the tumor resulted in a complete regression of cutaneous lesions. The recurrence of the lesions revealed the presence of liver metastases.

Discussion: The paraneoplastic acrokeratosis is always associated with malignancy, most often with squamous cell carcinoma of upper aerodigestive tract constituting more than half of malignancies observed. To our knowledge, no cases of SB have been reported in association with GIST. Our observation would correspond to the first case of paraneoplastic acrokeratosis indicative of a gastric stromal tumor.

Introduction

L’acrokératose paranéoplasique ou syndrome de Bazex (SB) est une dermatose paranéoplasique rare, signalant souvent la présence de carcinome épidermoïde des voies aérodigestives supérieures [1]. L’association à des tumeurs stromales gastrointestinales n’a pas été rapportée dans la littérature à notre connaissance. Nous rapportons le premier cas d’un syndrome de Bazex révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) chez un homme âgé de 70 ans.

Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté Figure 1
Figure 1. Présence d’un érythème squameux palmaire avec une desquamation accentuée au niveau des dermatoglyphes.
Observation

Un patient âgé de 70 ans, sans antécédents particuliers, consultait pour l’apparition récente et progressive de placards érythémato-squameux psoriasiformes non prurigineux et symétriques des extrémités résistants aux dermocorticoïdes. L’examen dermatologique révélait la présence d’un érythème squameux palmaire avec une desquamation accentuée au niveau des dermatoglyphes. Sur la face dorsale des mains, l’atteinte cutanée réalisait des plaques érythémato-squameuses bien limitées des phalanges distales et en regard des articulations métacarpo-phalangiennes. (Fig.1 et 2). Au niveau des pieds, une desquamation fine siégeait au niveau des orteils ainsi qu’au niveau des plantes avec une onchodystrophie. L’érythème était plus marqué au niveau des orteils (Fig.3 et 4). Un érythème était présent au niveau du pavillon des oreilles (Fig.5).

Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté Figure 2
Figure 2. Sur la face dorsale des mains, l’atteinte cutanée réalisait des plaques érythémato-squameuses bien limitées des phalanges distales et en regard des articulations métacarpo-phalangiennes.

Ces lésions évoluaient dans un contexte d’altération de l’état général sans signes fonctionnels associés. Une biopsie cutanée montrait une parakératose, une acanthose et un infiltrat inflammatoire lymphocytaire du derme superficiel (Fig.6). Devant la forte suspicion d’un syndrome de Bazex, un bilan biologique et radiologique était pratiqué à la recherche d’une néoplasie sous-jacente. Le bilan biologique révélait une anémie. La radiographie du thorax était normale. Un scanner thoraco-abdomino-pelvien repérait une tumeur gastrique suspecte. L’examen anatomopathologique de cette tumeur objectivait une tumeur sous-muqueuse à cellules fusiformes épithélioïdes, dense et fasciculée. Des atypies modérées et des mitoses peu nombreuses étaient notées (Fig.7). L’étude immunohistologique, révélait une positivité diffuse et intense des cellules tumorales avec l’anti CD34 et une positivité cytoplasmique diffuse et modérée avec l’anti CD117 (CKIT) (Fig.8).

Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté Figure 3
Figure 3. Une desquamation fine siégeant au niveau des orteils ainsi qu’au niveau des plantes avec une onchodystrophie.

Le diagnostic de GIST était retenu. Le bilan d’extension était négatif. L’évolution était marquée par une régression quasi-complète des lésions cutanées après exérèse large de la tumeur. La réapparition des mêmes lésions cutanées dix mois après, révélait la présence de métastases hépatiques confirmées par IRM. Le patient était mis sous Imatinib (Glivec®) à la dose de 400 mg/j avec régression des métastases hépatiques et de l’atteinte cutanée au bout de 3 semaines.

Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté Figure 4
Figure 4. L’érythème était plus marqué au niveau des orteils.
Discussion

L’acrokératose paranéoplasique ou (SB) est une dermatose paranéoplasique rare décrite par Bazex en 1965 [2]. Jusqu’à 2006, 140 cas ont été colligés dans la littérature [3]. Une dizaine de cas a été rapportée depuis. Le (SB) affecte souvent l’homme âgé de plus que 40 ans. Dans notre cas, le diagnostic était retenu devant l’aspect clinique typique correspondant à des plaques psoriasiformes à disposition acrale résistantes aux traitements corticoïdes et kératolytiques topiques. L’aspect histologique était compatible, en montrant une hyperkératose parakératosique, une acanthose, et un infiltrat périvasculaire, fréquemment rapportés mais non spécifiques [4] [5]. Cet examen nous a permis essentiellement d’écarter d’autres diagnostics différentiels tels qu’un psoriasis, un eczéma, une dermatite séborrhéique. L’autre élément diagnostique était la mise en évidence d’une tumeur maligne sous-jacente méconnue initialement en absence de signes fonctionnels révélateurs. En effet, l’acrokératose paranéoplasique est toujours associée à une néoplasie, le plus souvent à type de carcinome épidermoïde des voies aérodigestives supérieures constituant plus de la moitié des tumeurs malignes constatées [6]. Moins fréquemment, des tumeurs malignes à type d’adénocarcinome du poumon, du sein de la prostate, du colon, et de l’estomac étaient associées au (SB) [7] [8] [9], et plus rarement des cas de cholangiocarcinome [3], de liposarcome [10], de lymphome de Hodgkin, et de tumeur carcinoïde bronchique ont été constatés. Chez notre patient, il s’agit d’une tumeur stromale gastrique. Parmi les syndromes paranéoplasiques décrits en association avec cette dernière, on trouvait une hypoglycémie [11], une alopécie [12]. A notre connaissance, aucun cas de (SB) n’a été rapporté en association avec une tumeur de type (GIST). Notre observation correspondrait ainsi au premier cas d’acrokératose paranéoplasique révélatrice d’une tumeur stromale gastrique. Au cours du syndrome de Bazex, l’atteinte cutanée précède les premiers symptômes relatifs au cancer sous-jacent dans 65 à 70% [4]. Le diagnostic d’acrokératose paranéoplasique doit donc mettre en place des explorations paracliniques à la recherche d’une tumeur maligne sous-jacente à un stade précoce présymptomatique. Ceci pourrait améliorer le pronostic du patient.

Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté Figure 5
Figure 5. Erythème des pavillons des oreilles surtout de l’hélix.

La pathogénie du syndrome de Bazex reste mal élucidée. Pour expliquer le lien entre (SB) et néoplasie, un mécanisme auto-immun était suggéré. Les cellules tumorales et les cellules épidermiques auraient les mêmes cibles antigéniques. Des facteurs de croissance tumorale sont probablement incriminés. L’évolution du (SB) suit celle de la tumeur [3]. Les lésions cutanées s’améliorent voire disparaissent lorsque la néoplasie en cause est traitée [4].

Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté Figure 6
Figure 6. Parakératose, acanthose et infiltrat inflammatoire lymphocytaire du derme superficiel. HE x 40.

L’exérèse de la tumeur initialement et l’administration du Glivec dans un deuxième temps ont permis l’amélioration des lésions cutanées chez notre patient. Des cas isolés traités et améliorés par l’ététrinate et la puvathérapie ont été rapportés [14] [15]. La réapparition des mêmes lésions annonce la récidive de la tumeur ou son évolution métastatique [5] [4]. Malgré une surveillance régulière, les métastases hépatiques ont été découvertes chez notre patient suite à la récidive de son atteinte cutanée signant le caractère paranéoplasique de ce syndrome.

Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté Figure 7
Figure 7. Tumeur stromale gastrique. Prolifération fusocellulaire fasciculée. HE x 100.
Conclusion

Le syndrome de Bazex est une dermatose paranéoplasique obligatoire. La reconnaissance de cette dermatose doit amener à chercher une néoplasie sous-jacente. Ce qui permettrait de détecter certaines tumeurs à un stade plus précoce et d’améliorer ainsi le pronostic. A travers notre observation, un cas de tumeur stromale gastrique non rapporté précédemment à notre connaissance vient s’ajouter à la liste des tumeurs en cause.

Acrokératose paranéoplasique révélant une tumeur gastrique stromale (GIST) : premier cas rapporté Figure 8
Figure 8. Tumeur stromale gastrique. Positivité diffuse des cellules tumorales avec le CD117. x 200.
Références
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ISSN : 2334-1009