Le lupus miliaire : une origine tuberculeuse ?
Siham lakjiri1 (siham dot lakjiri at gmail dot com), Salim Gallouj1, Loubna Benchat1, Imane Lhadj1, Kaoutar Inani1, Ihsane Souaf2, Taoufiq Harmouch2, Afaf Amarti2, Fatima Zahra Mernissi1
1 Service de Dermatologie, CHU Hassan II, FES, Maroc. 2 Service d’Anatomo-pathologie, CHU Hassan II, FES, Maroc
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.941
Date
2014-07-06
Citer comme
Research fr 2014;1:941
Licence
Résumé

Introduction : Le lupus miliaire disséminé de la face est une entité assez rare. Il a été rattaché a plusieurs maladies connues, cependant, son étiopathogénie reste controversée et obscure. Il est considéré par certains comme une entité à part entière, alors que d’autres le rattache à d’autres maladies comme la tuberculose, la sarcoïdose, la rosacée et l’acné. Objectifs : A travers cette observation nous remettons en question le rôle étiopathogénique de la tuberculose dans le lupus miliaire. Observation : Nous rapportons le cas d’un patient âgé de 25 ans, sans antécédents pathologiques notables, qui consultait pour des lésions papuleuses asymptomatiques au niveau des joues avec extension aux paupières évoluant depuis un an et avec une nécrose caséeuse à l’histologie. Le bilan à la recherche d’une autre localisation de tuberculose et à la recherche d’une sarcoïdose était négatif. Le patient a été amélioré sous antituberculeux.

English Abstract

Introduction: Miliary lupus of the face is a rare entity. It has been linked to several diseases; however, its pathogenesis remains obscure and controversial. It is considered by some as an entity in its own right; while others believe that it is related to diseases such as tuberculosis, sarcoidosis, rosacea and acne. Objective: We analyze the etiopathogenic role of tuberculosis in miliary lupus. Case report: We report the case of a 25 year old patient without any medical history who consulted for asymptomatic papular cheeks lasting for one year and with caseous necrosis in histology. The assessment looking for another location of tuberculosis or sarcoidosis was negative. The patient improved on TB treatment.

Introduction

Le lupus miliaire disséminé de la face (LMDF) est une dermatose inflammatoire chronique bénigne assez rare [1], décrit pour la première par Fox et collaborateurs en 1878 [2]. Il est généralement observé chez les adultes entre la deuxième et la quatrième décennie de la vie [3], mais il peut aussi développer chez les enfants [4] et chez les patients âgés [5].

Il a été rattaché à plusieurs maladies connues, cependant son étiopathogénie reste controverse. Elle se caractérise cliniquement par des papules rouge jaunâtre de localisation médio-faciale à prédominance périorbitaire, qui peuvent s’étendre à tout le visage, à la nuque et aux aisselles. L’affection survient chez l’adulte jeune et régresse spontanément au bout de deux à quatre ans au prix de petites cicatrices déprimées séquellaires [6]. Nous rapportons le cas d’un patient présentant un LMDF avec une nécrose caséeuse à l’histologie et une amélioration sous antituberculeux.

Le lupus miliaire : une origine tuberculeuse ? Figure 1
Figure 1. Papules érythémato-violacées diffuses sur le visage.
Observation

Nous rapportons l’observation d’un homme de 25 ans, sans antécédents pathologiques notables, qui consultait pour une éruption asymptomatique du visage, prédominant au niveau médio-faciale avec une atteinte des paupières évoluant depuis 1 an. Les lésions avaient débutées au niveau des joues puis extension aux paupières et aux oreilles, sous forme de papules arrondies de 2 à 3 mm de diamètre, brunâtres , inflammatoire, parfois surmontées de pustules, régressant spontanément en quelques semaines, en laissant souvent une cicatrice arrondie, assez profonde comme taillée à pic, il n’y avait pas de fond érythro-couperosique. Des lésions nouvelles apparaissaient régulièrement donnant à l’éruption un aspect polymorphe. L’interrogatoire et l’examen clinique n’ont trouvé aucun signe d’accompagnement, aucun antécédent de maladie tuberculeuse, aucun passé de rosacée, pas d’application de stéroïdes topiques. Par ailleurs, le patient a été traité auparavant comme acné par les cyclines sans amélioration.

Le lupus miliaire : une origine tuberculeuse ? Figure 2
Figure 2. Après 3 mois du traitement anti-bacillaire.

Une IDR à la tuberculine, et le bilan à la recherche d’une éventuelle immunodépression étaient négatifs. La radiographie pulmonaire était normale, de même que le bilan phosphocalcique et le dosage de l’enzyme de conversion. L’examen histologique de la biopsie cutanée avait montré un derme qui était le siège d’un infiltrat granulomateux épithéloide centré par une nécrose caséeuse. La confrontation histoclinique permettait de poser le diagnostic de LMDF, et le patient a été mis sous traitement antituberculeux pendant une durée de six mois. Dès la deuxième semaine de traitement, on constatait un assèchement des pustules et un affaissement des papules, au prix de petites cicatrices déprimées (Figure 2). Après six semaines de traitement, il n’y avait plus de papule ni d’apparition de nouvelles lésions. Après six mois, les antituberculeux ont été arrêtée.

Le lupus miliaire : une origine tuberculeuse ? Figure 3
Figure 3. Aspect histologique sous grossissement x 10 : granulome épithélio-giganto-cellulaire avec nécrose caséeuse.
Discussion

LMDF est une dermatose faciale rare et encore mal connue, environ 200 cas ont été signalés à ce jour [7] [8] [9]. Il est rapporté dans la littérature sous différentes appellations: tuberculides papulonécrotiques, tuberculides rosacéiformes, lupoïde miliaire, acnitis, acné agminata,f acial idiopathic granulomas with regressive évolution ; mais le plus approprié, selon la plupart des auteurs, reste celui de lupus miliaire disséminé de la face [10] [11] [7].

Les lésions se développent entre 20 et 40 ans sans prédominance de sexe [6]. L’aspect clinique est celui de petites papules brun-rouges de 1 à 3 mm de diamètre, parfois pustuleuses, lupoïdes à la vitropression. Elles siègent classiquement de façon symétrique en région palpébrale et médio-faciale. Des atteintes extra-faciales ont été rapportées telles les oreilles comme c’était le cas de notre patient, mais aussi le cou, le cuir chevelu, le dos, les jambes, les aisselles, la région ombilicale et les organes génitaux externes [12] [13] [14]. Chaque élément régresse en quelques semaines, laissant inconstamment une petite cicatrice ronde taillée à pic qui nous semble, à défaut d’être constant, très caractéristique de ce type d’éruption [14]. Les éléments, plus ou moins nombreux, se succèdent par poussées sur plusieurs mois ou années. Il n’y a aucun symptôme d’accompagnement.

L’histologie [1] [10] [14] est la même quelle que soit la localisation lésionnelle et varie selon l’âge de la lésion. Au stade développé tardive, l’examen histologique trouve au sein du derme des plages de nécrose acellulaire entourées d’un granulome épithélioïde et giganto-cellulaire évoquent à tort tantôt une acné, tantôt une tuberculose, tantôt une rosacée [7].

Le traitement du LMDF reste non codifié. Plusieurs traitements ont été utilisés avec des résultats décevants comme les tétracyclines, les glucocorticoïdes, les médicaments antituberculeux et antipaludiens de synthèse. Les tétracyclines sont le traitement habituel de première ligne de l'acné agminata, alors que la dapsone a été montré pour empêcher de nouvelles lésions et de raccourcir la durée totale de la maladie [15]. La prévention des cicatrices peut être possible avec les corticoïdes à faible dose sur une période de 3 mois [16]. En outre, l'isotrétinoïne a été rapportée comme étant efficace dans les cas de LMDF [17] [18]. L'efficacité de l'isotrétinoïne dans LMDF peut être liée à ses effets sur le système immunitaire.

Le LMDF est une entité énigmatique, toujours controversée même si elle est largement reconnue [6]. Certains la considèrent comme une entité à part entière dont l’étiopathogénie reste à élucider, alors que d’autres la rattachent à d’autres affections [10] [11] [7] comme la tuberculose, qui était l’hypothèse initiale. L’existence fréquente d’une nécrose de type caséeux et la pandémie tuberculeuse s’y prêtaient [19], mais elle a été écartée devant l’absence de bacille de Koch dans les lésions à l’examen direct, en culture ou par technique d’amplification génique (PCR) [20] [21], l’intradermoréaction négative et l’absence d’amélioration sous antibacillaires. L’origine tuberculeuse étant éliminée, d’autres étiopathogénies ont été évoquées. Le rattachement à la sarcoïdose [22] ne repose sur aucun argument convaincant, même si certains auteurs [14] continuent à conseiller un bilan général à la recherche d’une authentique sarcoïdose. D’autres, plus nombreux, évoquent une forme particulière de rosacée notamment granulomateuse [23] [3] [24] [25]. Là encore l’hypothèse ne repose sur aucun argument convaincant tant clinique que thérapeutique ; ou encore l’acné... [10] [11] [7]. La tendance actuelle est de considérer le LMDF comme une réaction granulomateuse à des agents non encore définis, constituant une entité à part [26].

Dans notre cas, L'existence d'un granulome fait discuter plusieurs diagnostics : La rosacée granulomateuse épargne les paupières et les oreilles avec un érythème et des bouffées de chaleurs et absence de cicatrices et répond au traitement par les cyclines. La sarcoïdose micronodulaire s’associe à des signes systémiques notamment pulmonaires et ne s'accompagne pas en général de nécrose caséeuse. Bien que L'hypothèse tuberculeuse est abandonnée par plusieurs auteurs [20] [21] dans le lupus miliaire ; nous pensons que ce serait le cas de notre patient. Nous justifions cela du fait que cette pathologie constitue encore une endémie dans notre pays, également vu la présence d’un granulome tuberculoïde centré par de la nécrose caséeuse mais surtout en raison de l’amélioration du patient sous traitement anti-tuberculeux.

Conclusion

Le lupus miliaire reste une entité encore énigmatique. Le diagnostic repose sur une confrontation anatomo-clinique. Son étiopathogénie reste encore controversée. Nous remettons en question à travers cette observation le rôle étiopathogénique de la tuberculose.

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ISSN : 2334-1009