A propos d'un cas d'otite externe maligne compliquée de paralysie faciale
S Ouraini, M Sahli (dr dot sahli dot mohamed at hotmail dot fr) #, A Jahidi, N Errami, F Benariba
Service ORL, Hôpital Militaire d’Instruction Mohamed V, Rabat, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.2.1453
Date
2015-08-31
Citer comme
Research fr 2015;2:1453
Licence
Résumé

L’otite externe maligne est une pathologie infectieuse fréquente du conduit auditif externe de gravité non négligée, dont le diagnostic et le traitement sont parfois très difficiles. Cette gravité est due à l’extension rapide du processus infectieux en profondeur, pouvant aboutir à une ostéolyse de la base du crâne et constituant alors un terrain favorable pour le développement de certaines complications comme les méningites, les thrombus du sinus caverneux et les abcès intracérébraux. Le traitement est basé sur une antibiothérapie parentérale prolongée ciblée sur le germe isolé avec surveillance clinique, biologique et radiologique. Mais devant une évolution défavorable ou devant l’échec du traitement médical, une origine mycosique doit être considérée, même si les prélèvements microbiologiques restent négatifs et doit conduire à un traitement antifongique et à une chirurgie de débridement parfois très large. Nous rapportons le cas clinique d’un patient diabétique, admis pour une otite externe compliquée d’une paralysie faciale, dont l’évolution n’était pas favorable sous antibiothérapie classique, et qui a nécessité un traitement antifongique d’épreuve et une chirurgie ouverte. Nous discutons à travers ce cas clinique, les difficultés diagnostiques et les modalités thérapeutiques.

English Abstract

Malignant otitis externa is a common infectious disease of the external auditory canal with potential severity and for which diagnosis and treatment are sometimes very difficult. This gravity is due to the rapid expansion of the infectious process in depth, leading potentially to osteolysis of the skull base and then constituting a favorable ground for the development of certain complications such as meningitis, cavernous sinus thrombus and intracerebral abscesses. Treatment is based on prolonged parenteral antibiotherapy focused in isolated bacteria with clinical, biological and radiological surveillance. But in the case of unfavorable evolution or failure of medical treatment, a fungal origin should be considered, even if the microbiological samples are negative and should lead to an antifungal treatment and sometimes to a very wide debridement surgery. We report the case of a diabetic patient, admitted for otitis externa complicated by facial paralysis. The evolution was unfavorable under conventional antibiotics. The patient underwent an antifungal treatment and open surgery. We discuss through this case report the diagnostic difficulties and therapeutic modalities.

Introduction

L’otite externe maligne est définie comme une infection grave du méat acoustique externe, due le plus souvent au Pseudomonas Aeruginosa et survenant dans 90% des cas chez des sujets âgés diabétiques mal équilibrés. La première description de cette pathologie a été faite en 1959, par Meltzer et Kelemer [1] ; Chandler a proposé le terme d’otite externe maligne en 1968 [2], le traitement à l’époque était surtout chirurgical basé sur un débridement complet des tissus nécrosés avec une mortalité élevé (60%) [3]. Mais avec les progrès dans le domaine de l’antibiothérapie, la place de la chirurgie se limite actuellement aux malades échappant au protocole classique.

A propos d'un cas d'otite externe maligne compliquée de paralysie faciale Figure 1
Figure 1. TDM des rochers: comblement total du CAE et de la caisse du tympan avec érosion du mur de la logette et des tegmens tympani et antri, la chaine ossiculaire est respectée.
Cas clinique

Il s’agissait d’un patient âgé de 70 ans, diabétique insulinodépendant depuis 20 ans, qui a consulté pour des otalgies gauches intenses, associées à une otorrhée minime purulente et une paralysie faciale homolatérale d’installation rapide, sans notion de fièvre et évoluant dans un contexte de conservation de l’état général. L’otoscopie a mis en évidence un conduit auditif externe rétréci et inflammatoire, avec une perforation tympanique postéro-inferieure non marginale. Un prélèvement réalisé à visée bactériologique et mycologique est revenu négatif. Le scanner du rocher a confirmé le diagnostic d’une otite externe maligne, avec infiltration du genou du nerf facial et ostéolyse des tegmens tympani et antri et du mur de la logette (figure 1), par ailleurs aucune brèche ostéoméningée n’a été mise en évidence à l’IRM (figure 2). Un traitement parentéral à base de Ciprofloxacine a été démarré et un nouveau prélèvement de contrôle n’a pas isolé de germe pathogène. Durant l’hospitalisation, le patient était toujours apyrétique, avec persistance de l’otorrhée purulente, une surveillance étroite de la glycémie a été faite avec ajustement des doses d’Insuline selon les résultats du cycle glycémique, ainsi qu’un contrôle du syndrome inflammatoire par les dosages de la CRP.

A propos d'un cas d'otite externe maligne compliquée de paralysie faciale Figure 2
Figure 2. IRM cérébrale centré sur le rocher: absence de signes de brèche méningée ou d’extension aux tissus mous.

Devant la persistance de la symptomatologie, l’apparition de quelques tissus de granulation, et la persistance du syndrome inflammatoire (CRP) après 10 jours de traitement médical ; Un traitement antifongique d’épreuve basé sur l’Amphotéricine B par voie intraveineuse a été démarré et une chirurgie a été réalisé, consistant en une large mastoïdectomie associée à une tympanoplastie en technique ouverte, avec débridement et nettoyage des lésions et des tissus nécrosés. Les prélèvements a visé bactériologique, mycologique, et histopathologique au niveau de l’oreille moyenne n’ont pas isolé de germe pathogène, et le traitement antibiotique et antifongique intraveineux a été poursuivi pendant 3 semaines, jusqu'à disparition de la symptomatologie et la normalisation de la CRP permettant de passer à la forme orale avec relais par l’Itraconazole et la Ciprofloxacine pour totaliser 3 mois de traitement avec une nette amélioration.

Discussion

L’otite externe maligne est une pathologie redoutable du méat acoustique externe, due le plus souvent au Pseudomonas Aeruginosa et survenant souvent chez des sujets âgés diabétiques mal équilibrés. Cependant le déséquilibre glycémique semble ne pas jouer un rôle direct dans la genèse de cette pathologie, on retient d’autre facteurs souvent intriqués : tel les traumatismes et la macération du conduit auditif externe, qui en plus des troubles vasculaires liés à l’âge et au diabète constituent des facteurs de risque importants.

L’otite externe maligne est caractérisée par une évolution très variable, allant d’une simple infection superficielle, à l’extension de proche en proche aux différentes structures profondes tel que le cerveau, l’os temporal et les nerfs crâniens. L’atteinte du nerf facial est la plus fréquente (20 à 30%), suivie par celle du IX, du X, du XI et du XII (15 à 35%) [3].

Il existe deux mécanismes physiopathologiques pouvant expliquer l’atteinte des nerfs crâniens lors d’une otite externe maligne, le premier étant l’extension directe du processus infectieux, et le deuxième postule vers une atteinte indirecte par les neurotoxines libérées par le pseudomonas [4]. Cependant leur paralysie est plus fréquente dans les atteintes fongiques [5], selon une étude reportée par Halsey [5], la paralysie faciale a été rencontrée dans 75% des otites mycosiques à aspergillus, contre 34% des otites bactériennes à pseudomonas.

Le développement des moyens d’imagerie a permis un diagnostic et un bilan d’extension précis concernant cette pathologie. Le scanner du rocher est essentiel pour confirmer le diagnostic et rechercher une extension osseuse, il montre généralement une ostéolyse de la corticale osseuse de la mastoïde et du tympanal, associée à une tuméfaction des parties molles du méat auditif. L’imagerie par résonnance magnétique permet de mieux caractérisé cette extension au tissus mou [6], permettant une analyse fine des espaces profonds de la face, des foramens nerveux, des espaces dure-mériens et de la médullaire des os de la base du crâne. La scintigraphie au technétium 99 est de moins en moins utilisée, elle est sensible mais peu spécifique, elle peut montrer une hyperfixation d’importance variable selon l’importance du processus infectieux, néanmoins sa normalisation a une valeur prédictive de guérison.

Le traitement est basé actuellement sur l’antibiothérapie parentérale et prolongée ; L’oxygénothérapie hyperbare, constitue également une alternative thérapeutique efficace dans cette pathologie, comme cela a été rapporté par Davis [7] avec une bonne tolérance, elle permet une hyper oxygénation tissulaire, une diminution de l’œdème et une augmentation de l’angiogénèse. Cependant, en l’absence d’amélioration sous traitement antibiotique bien conduit pendant au moins 2 semaines, avec persistance de foyers infectieux évolutifs, de tissu de granulation ainsi qu’un développement d’atteintes nerveuses, un traitement antifongique dit d’épreuve est débuté à base d’Amphotéricine B intraveineux et relayé par l’Itraconazole par voie orale pendant 3 à 6 mois sera souvent nécessaire [8]. Le traitement antifongique est souvent associé à une chirurgie qui doit être réservée aux cas réfractaires et doit être limitée si possible au simple débridement [3].

Conclusion

L’otite externe maligne demeure une pathologie redoutable notamment celle d’origine mycosique, cette dernière est caractérisée par une plus grande incidence des complications endocrâniennes et par un pronostic péjoratif par rapport à l’otite externe d’origine bactérienne. L’agent mycosique est parfois très difficile a mettre en évidence, d’où l’intérêt de multiplier les prélèvements, surtout a visée histopatholgique, un traitement antifongique d’épreuve est parfois nécessaire devant l’absence d’amélioration sous traitement classique. Le traitement chirurgical souvent se limite à un débridement des tissus nécrosés et infectés. La mastoïdectomie associée ou non à une tympanoplastie en technique ouverte est rarement indiquée, en cas de résistance au traitement initial.

Déclaration
Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucuns conflits d’intérêts.

Contributions des auteurs

Tous les auteurs ont contribue a la réalisation de l’étude .tous les auteurs ont lu et approuve la version finale du manuscrit.

Références
  1. Pérez P, Ferrer M, Bermell A, Ramirez R, Saiz V, Gisbert J. [Malignant otitis externa. Our experience]. Acta Otorrinolaringol Esp. 2010;61:437-40 pubmed publisher
  2. Chandler J. Malignant external otitis. Laryngoscope. 1968;78:1257-94 pubmed
  3. Kraus D, Rehm S, Kinney S. The evolving treatment of necrotizing external otitis. Laryngoscope. 1988;98:934-9 pubmed
  4. O'Sullivan T, Dickson R, Blokmanis A, Roberts F, Kaan K. The pathogenesis, differential diagnosis, and treatment of malignant otitis externa. J Otolaryngol. 1978;7:297-303 pubmed
  5. Halsey C, Lumley H, Luckit J. Necrotising external otitis caused by Aspergillus wentii: a case report. Mycoses. 2011;54:e211-3 pubmed publisher
  6. Grandis J, Curtin H, Yu V. Necrotizing (malignant) external otitis: prospective comparison of CT and MR imaging in diagnosis and follow-up. Radiology. 1995;196:499-504 pubmed
  7. Davis J, Gates G, Lerner C, Davis M, Mader J, Dinesman A. Adjuvant hyperbaric oxygen in malignant external otitis. Arch Otolaryngol Head Neck Surg. 1992;118:89-93 pubmed
  8. Mani R, Belcadhi M, Krifa N, Abdelkefi M, Ben Said M, Bouzouita K. [Fungal necrotizing external otitis]. Ann Otolaryngol Chir Cervicofac. 2008;125:40-5 pubmed publisher
ISSN : 2334-1009