Hyperthyroïdie induite par le lithium
Fayçal El Guendouz1 (el dot guendouz at gmail dot com) #, Nabil Hammoune2, Abdelaziz Hommadi2, Hicham Baïzri3
1 Département de médecine, unité d’endocrinologie diabétologie et maladies métaboliques, Troisième hôpital militaire Laayoune, Maroc. 2 Département de radiologie, Troisième hôpital militaire Laayoune, Maroc. 3 Service d’endocrinologie diabétologie et maladies métaboliques, hôpital militaire Avicenne, Marrakech, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.1211
Date
2014-11-21
Citer comme
Research fr 2014;1:1211
Licence
Résumé

Les effets habituels du lithium (Li) sur la fonction thyroïdienne sont inhibiteurs, favorisant le développement du goitre et/ou d’une hypothyroïdie. Une hyperthyroïdie (HT) induite par le Li est moins commune et controversée. A partir d’un cas de thyrotoxicose due au Li, et d’une revue de la littérature, nous discuterons les mécanismes physiopathologiques, les étiologies et le traitement. L’évolution de notre patiente était favorable après arrêt temporaire du Li et traitement de la maladie thyroïdienne sous-jacente.

English Abstract

The usual effects of lithium on thyroid function are inhibitory, promoting the development of goiter and / or hypothyroidism. Lithium induced hyperthyroidism is a less common and controversial finding. We will discuss the pathophysiology, etiology and treatment through of a case of thyrotoxicosis due to Li, and a literature review. The evolution of our patient was favorable after temporary stop of the Li and treatment of the thyroid disease.

Introduction

Les sels de Li constituent un traitement thymorégulateur, utilisé fréquemment dans les troubles bipolaires parfois unipolaires [1]. Il a deux effets majeurs : curatif de l’accès maniaque et préventif des rechutes dépressives [2]. Leur utilisation est associée à des anomalies thyroïdiennes couramment décrites dans la littérature [3]. Il s’agit essentiellement de goitre, d’hypothyroïdie et/ou de thyroïdite auto-immune [3]. La thyréotoxicose induite par le Li est rarement décrite (un cas sur 57 patients dans une étude prospective récente) [4]. Nous discuterons les mécanismes physiopathologiques, les étiologies, la prise en charge et surtout la prophylaxie de cette anomalie iatrogène rare à partir d’une observation et une revue de la littérature.

Hyperthyroïdie induite par le lithium Figure 1
Figure 1. Tableau récapitulatif des résultats du bilan hormonal et immunologique thyroïdien avant la thérapie au Li, au moment du diagnostic de l’HT sous Li et après traitement par ATS. ATS = antithyroïdien de synthèse. AC anti TPO = anticorps antithyroperoxydase. FT4 = thyroxine libre plasmatique. FT3 : Thyronine libre plasmatique. TSHus : Thyréostimuline ultrasensible.
Observation

Patiente âgée de 46 ans, dans ces antécédents, il n’y avait pas de notion de surcharge iodée, elle était suivi pour un diabète de type 2 équilibré sous metformine et un trouble bipolaire ayant nécessité l’introduction de sels de lithium à la dose de 1000 mg/j, 9 mois avant son admission avec une stabilisation de ses troubles de l’humeur. Elle a été admise aux urgences pour un tableau d’agitation, d’hallucination auditive, d’insomnie, de palpitation et anorexie évoluant depuis 2 semaines. A l’examen clinique la patiente était apyrétique avec un pli cutané persistant et une moiteur des mains. Sur le plan cardiaque, la patiente était tachycarde avec une fréquence cardiaque qui variait entre 95 et 130 battements par minute sans troubles du rythme. Sur le plan neurologique elle avait un tremblement fin des extrémités, elle ne tenait pas le Barré et le Mingazzini. Sur le plan ophtalmologique elle a présenté un éclat du regard sans exophtalmie. Devant ce tableau atypique de thyrotoxicose associée un tableau musculaire et neuropsychiatrique la patiente a été hospitalisée. Le bilan hormonal thyroïdien a confirmé le diagnostic d’HT par une TSHus basse et une FT4 élevée (figure 1). Nous rappelons que le bilan thyroïdien préthérapeutique qui a été réalisé avant l’introduction du Li était en faveur d’une fonction thyroïdienne strictement normale avec l’absence de marqueurs d’auto-immunité thyroïdienne (figure 1). Le bilan étiologique de l’HT a objectivé à l’échographie un goitre multinodulaire avec un gros nodule gauche. Ce nodule était hyperfixant et extinctif sur la scintigraphie au technétium 99m avec un centre froid correspondant à la nécrose (figure 2). La recherche d’autoimmunité était positif positive pour les (AC anti TPO à 121 UI/ml) et négative pour les anticorps antirécepteur de la TSH (TRAK). La prise en charge consistait en l’arrêt du Li et le refroidissement par le carbimazole à la dose de 30mg/j et le propranolol à la dose de 60mg/j. L’évolution clinique était favorable avec atténuation puis disparition des signes d’HT ainsi que le tableau musculaire et psychiatrique après un mois de traitement. Sur le plan biologique la FT4 a été normalisée après un mois de traitement et la TSHus après 2 mois de traitement. Un traitement de fond par une thyroïdectomie totale a été pratiqué en euthyroïdie et la patiente a pu reprendre son traitement par Li pour prévenir les rechutes de sa maladie psychiatrique. L’étude anatomopathologique était en faveur d’une hyperplasie nodulaire gauche sans signes de thyroïdite.

Hyperthyroïdie induite par le lithium Figure 2
Figure 2. Scintigraphie thyroïdienne au technétium marqué 99m. A noter l’absence de fixation du reste du parenchyme thyroïdien synonyme d’autonomie totale du nodule, et aussi au centre du nodule synonyme de nécrose.
Discussion

Le Li est une molécule de référence dans le traitement des troubles bipolaires. Son utilisation au long cours pour prévenir les rechutes des troubles psychiatriques interroge sur le risque de répercussions toxiques sur plusieurs organes [1]. Le Li se concentre dans la thyroïde ou sa teneur est 3 à 4 fois plus élevés que dans le plasma, il interfère à différents niveaux de la fonction thyroïdienne, en entrainant des altérations structurales et fonctionnelles. Son effet habituel est inhibiteur sur la synthèse et la libération des hormones thyroïdiennes, ce qui explique son utilisation dans le traitement des HT sévères [3]. Sur le plan physiopathologique le Li inhibe la protéolyse de la thyroglobuline, altère sa structure, bloque également le couplage de l’iodotyrosine et enfin il réduit la formation de gouttelettes de colloïde [3] [5]. Il existe de ce fait une réduction de 40% de la sécrétion hormonale thyroïdienne et une accumulation intrathyroïdienne de l’iode. Le Li possède également une action immunomodulatrice (modification de la fonction de lymphocytes T suppressives). Ces différents mécanismes expliquent les effets habituels du Li sur la fonction thyroïdienne, favorisant ainsi le développement d’un goitre, d’une hypothyroïdie et/ou d’une thyroïdite auto-immune. L’HT quant à elle, n’est pas habituelle, elle est expliquée principalement par l’accumulation intrathyroïdienne d’iode et/ou plus rarement par une action directement et transitoirement cytotoxique sur les cellules thyroïdiennes [3].

L’HT due au Li a été rapportée pour la première fois en 1976 par Rosser et ses collaborateurs. La fréquence est plus importante chez la femme et augmente avec l’âge [6].

Sur le plan clinique la symptomatologie psychiatrique prend sur les signes de thyrotoxicose chez les patients ayant comme antécédent un trouble bipolaire et surtout en absence de goitre et/ou de signes ophtalmologiques [7], comme c’était le cas chez notre patiente avec un tableau neuropsychiatrique prédominant sur des signes non spécifiques de thyrotoxicose. Le tableau psychiatrique (confusion, délire) associé à un tableau musculaire (myopathie pseudoparalytique) constituent tous les deux des formes trompeuses d’HT. Les troubles psychiatriques ont persisté un mois dans notre cas, ils sont en bonne corrélation avec la fonction thyroïdienne.

La pathologie thyroïdienne sous jacente est soit la thyroïdite granulomateuse, la thyroïdite silencieuse, le goitre nodulaire toxique ou la maladie de basedow [3]. Dans notre cas c’était un nodule toxique isolé, confirmé sur la scintigraphie et l’étude anatomopathologique. Dans la moitié des cas, on note des désordres autoimmuns [7], comme dans notre observation ou il y avait l’apparition des AC anti TPO. Toutefois, les thyroïdites autoimmunes ont été observées en excès chez les patients souffrant de troubles bipolaires, indépendamment de l'exposition au Li [8].

La prise en charge de ces HT iatrogènes impose l’arrêt du traitement par Li et la mise en route d’un traitement spécifique qui, lui, dépend de la pathologie thyroïdienne sous jacente. Dans les thyroïdites on aura recours au propranolol en attendant le passage à l’euthyroïdie puis à l’hypothyroïdie définitive. Dans le cas de la maladie de Basedow, on aura recours aux ATS et éventuellement à la chirurgie ou l’iode radioactif en cas d’échec du traitement médical. Enfin une thyroïdectomie totale est nécessaire dans le cas d’un goitre nodulaire toxique [3].

Il est ainsi recommandé pour prévenir et guetter précocement ces troubles de contrôler la fonction thyroïdienne avant l’introduction d’un traitement par Li, à 3mois et tous les ans, par une TSHus. La recherche d’AC antiTPO est nécessaire en préthérapeutique, par contre la réalisation d’une échographie thyroïdienne reste optionnelle. Dans tous les cas un suivi endocrinologique est nécessaire en cas d’anomalie de la TSHus.

Conclusion

Il est en fait bien établi que le traitement par le Li cause une hypothyroïdie et/ou un goitre mais très rarement une HT. La présente observation confirme la nécessité de contrôler la fonction thyroïdienne avant et après l’introduction de lithium. Ce cas justifie aussi qu'il est important de garder cette association particulière à l'esprit lors de l'entretien des patients traités par le lithium.

Déclaration

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références
  1. Howland R. Lithium: underappreciated and underused?. J Psychosoc Nurs Ment Health Serv. 2007;45:13-7 pubmed
  2. Simhandl C, Mersch J. [Lithium and bipolar disorder--a renaissance?]. Neuropsychiatr. 2007;21:121-30 pubmed
  3. Lazarus J. Lithium and thyroid. Best Pract Res Clin Endocrinol Metab. 2009;23:723-33 pubmed
  4. Kirov G, Tredget J, John R, Owen M, Lazarus J. A cross-sectional and a prospective study of thyroid disorders in lithium-treated patients. J Affect Disord. 2005;87:313-7 pubmed
  5. McKnight R, Adida M, Budge K, Stockton S, Goodwin G, Geddes J. Lithium toxicity profile: a systematic review and meta-analysis. Lancet. 2012;379:721-8 pubmed publisher
  6. Rosser R. Thyrotoxicosis and lithium. Br J Psychiatry. 1976;128:61-6 pubmed
  7. Bandyopadhyay D, Nielsen C. Lithium-induced hyperthyroidism, thyrotoxicosis and mania: a case report. QJM. 2012;105:83-5 pubmed
  8. Kupka R, Nolen W, Post R, McElroy S, Altshuler L, Denicoff K, et al. High rate of autoimmune thyroiditis in bipolar disorder: lack of association with lithium exposure. Biol Psychiatry. 2002;51:305-11 pubmed
ISSN : 2334-1009