Hypomélanose d’Ito : à propos d’un cas
R Abilkassem (abilkassemrachid at yahoo dot fr) #, MA Radouani, M Kmari, A Ourrai, N Dini, A Agadr
Service de Pédiatrie Hôpital Militaire d’Instruction Mohamed V, Rabat, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.987
Date
2014-08-08
Citer comme
Research fr 2014;1:987
Licence
Résumé

L’hypomélanose d'Ito est une pathologie neuro-ectodermique, caractérisée par des troubles neurologiques relativement sévères, associés à des lésions cutanées spécifiques. Nous rapportons le cas d’une fille âgée de 2 ans et 6 mois présentant une hypomélanose d’Ito de découverte précoce. Les différents aspects cliniques, paracliniques, évolutifs et thérapeutiques de cette affection seront discutés. Les auteurs suggèrent que les modifications cutanées indiquent des troubles neuro-cutanés sous-jacents qui doivent être recherchés soigneusement et précocement dans tous les cas en présence de troubles développementaux invasifs.

English Abstract

Ito’s hypomelanosis is a neuroectodermal disorder characterized by relatively severe neurological disorders associated with specific skin lesions. We report the case of a two and half year old child who presented an Ito’s hypomelanosis. Clinical, paraclinical, therapeutic and evolutionary aspects are discussed. Skin abnormalities indicate underlying neuro-cutaneous troubles which must be investigated thoroughly and early in all cases with invasive developmental disorders.

Introduction

L'hypomélanose d’Ito (HI), anciennement dénommée « incontinentia pigmenti achromians », est une maladie neuro-cutanée caractérisée par des lésions cutanées hypopigmentées le long des lignes de Blaschko, qui se développent dans les deux premières années de vie, associées à des symptômes neurologiques, squelettiques et ophtalmologiques [1]. L’intérêt de notre observation est de mettre en évidence les manifestations neurologiques et squelettiques associées à l’hypomélanose d'Ito, soulignant que la présence de lésions cutanées avec trouble de pigmentation chez un nourrisson peut cacher une maladie neurologique grave sous-jacente.

Observation

Une fille âgée de 2 ans et 6 mois, était hospitalisée pour un retard psychomoteur avec des troubles pigmentaires évolutifs. Elle était issue d’un couple consanguin sans antécédent médical. La grossesse était normale. Les sérologies maternelles (toxoplasmose, oreillons, rubéole, syphilis, hépatites B, C) étaient négatives. Les échographies anténatales n’ont pas détecté d’anomalies. L’accouchement a eu lieu à terme par voie basse, avec une bonne adaptation à la vie extra-utérine. Le poids de naissance était de 2600 g. Sa vaccination était à jour. Il n’y a pas eu d’antécédent familial d’anomalie pigmentaire ou neurologique.

Hypomélanose d’Ito : à propos d’un cas Figure 1
Figure 1. Macules hypopigmentées disséminées.

Le début de la maladie remontait à l’âge de 6 mois par la survenue de crises convulsives de type cloniques, brusques et brèves, généralisées, prédominant aux membres supérieurs, sans horaire fixe, ni facteur déclenchant avec l’apparition quasi-concomitante de lésions cutanées hypopigmentées, en premier au dos puis successivement au niveau de la face interne des cuisses, les membres supérieurs, la base du cou et la face thoracique antérieure.

L’examen à l’âge de 2 ans et demi trouvait un faciès dysmorphique associant une microcéphalie avec un périmètre crânien à (- 2) déviations standards (DS), un hypotélorisme, un micrognatisme et une scoliose gauche. L’examen dermatologique révélait une alternance de macules hypo- et hyperpigmentées généralisées, confluentes de 4 à 8 cm de diamètre au niveau de la face interne des cuisses, les mollets, les membres supérieurs, le tronc, le dos et la base du cou. Ces macules épargnaient le visage (figure 1). L’examen neurologique montrait un retard psychomoteur avec trouble d’acquisition du langage. L’examen ophtalmologique notait un strabisme convergent de l’œil gauche. L’électrorétinogramme était normal. L'électroencéphalogramme ne montrait pas d’anomalie. L’imagerie par résonance magnétique cérébrale était normale. La radiographie du rachis avait montré une scoliose lombaire à 30°. Les radiographies des membres étaient sans particularités. Les potentiels évoqués étaient sans anomalie. Le caryotype sanguin était normal.

L’évolution sous valproate de sodium à la dose de 20 mg/kg a été marquée par la disparition des mouvements cloniques. Après un recul de six mois, la patiente ne convulsait plus et les lésions dermatologiques ne s’étaient pas étendues.

Devant les signes cliniques et l’aspect évolutif, le diagnostic d’une hypomélanose d’Ito était posé.

Discussion

L'hypomélanose d’Ito a été individualisée en 1952 par Minor Ito, dermatologue japonais, qui la décrivit sous le terme d'« incontinentia pigmenti achromians » [2] [3]. C’est une maladie neurocutanée multisystémique, caractérisée par des alternances de bandes cutanées hypo- et normopigmentées, suivant les lignes de Blaschko, uni- ou bilatérales, apparaissant, en général, durant les premières années de vie. Son incidence est estimée entre 1/8 000 et 1/10 000. Le sexe ratio est variable selon les études, mais semble équilibré [3]. L'HI est de cause hétérogène et à l'exception des anomalies pigmentaires cutanées qui sont essentielles à la définition de la maladie [4]. Les signes cliniques sont variables et polymorphes. Les lésions dermatologiques peuvent être isolées ou associées, dans 75% des cas, à des manifestations neurologiques, oculaires et musculosquelettiques. L’atteinte neurologique est la plus fréquente. Elle est liée à des troubles de migration neuronale [4] [5].

Les lésions cutanées sont des macules hypopigmentées allant de l’achromie totale à une pigmentation légèrement plus claire que la peau. Leur disposition est caractérisée par la confluence de petites macules réparties de façon linéaire sur les membres en éclaboussures, suivant les lignes de Blaschko avec arrêt net au niveau de la ligne médiane. Les lésions cutanées sont présentes à la naissance dans 40% des cas, et à la première année de vie dans 30% des cas [6] [7]. D’autres lésions cutanées peuvent y être associées, dans 30 à 40 % des cas : tâches café au lait, angiome plan, naevus d’Ota, tache mongoloïde, trichorrhexie, hyper ou hypotrichose focales. Ces lésions dermatologiques peuvent disparaitre spontanément après plusieurs années [7].

Les anomalies du système nerveux central peuvent inclure un déficit intellectuel, un retard moteur, une épilepsie, une microcéphalie, une macrocéphalie et une hypotonie. Les anomalies ophtalmologiques incluent un strabisme, une cataracte, un nystagmus et une dégénérescence rétinienne. Les malformations squelettiques incluent une petite taille, une asymétrie faciale et des membres, des anomalies dentaires, un pectus carinatum ou un excavatum, une scoliose et des anomalies des doigts des mains [8].

Chez notre malade, l’épilepsie était de type clonique et l’examen notait, en outre des lésions dermatologiques, une microcéphalie et un strabisme convergent unilatéral.

L'HI est en général sporadique, mais les modes de transmission autosomique dominant, récessif et lié à l'X ont parfois été rapportés [2] [3] [8]. Le nombre de mélanocytes et normal ou diminué, leur taille est plus petite avec une diminution de l’activité mélanogénique. Sur le plan ultrastructural, les aspects sont variables allant de la diminution du nombre des mélanosomes, des signes dégénératifs mélanocytaires ou d’anomalies mélanosomiales. Dans une minorité de cas, le mosaïsme peut être détecté dans les fibroblastes en culture qui présentent des cellules de différents caryotypes [9] [10].

La prise en charge doit être pluridisciplinaire et inclure des consultations régulières avec un ophtalmologue pédiatre, un neurologue et un orthopédiste, en fonction des anomalies associées. Les épilepsies doivent être traitées par antiépileptiques. Le pronostic dépend des anomalies associées. Les lésions cutanées sont de bon pronostic.

Conclusion

L’hypomélanose d’Ito est une entité rare. Le diagnostic reste difficile, cette entité est en train de disparaître au sein d'un groupe plus large de « dysplasies pigmentaires » dont le dénominateur commun est le mosaïcisme génétique, ce qui pourrait compliquer encore la distinction des différentes entités et leur compréhension physiopathogénique. La prise en charge est multidisciplinaire. Un conseil génétique s’impose.

Declarations

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article

Références
  1. Mosher DB, Fitzpatrick TB, Ortonne JP, Hori Y: Disorders of Pigmentation. In: Freedberg IM, Eisen AZ, Wolff K, Austen KF, Goldsmith LA, Katz SI et al, editors. Dermatology in General Medicine. 5th Ed. New York: McGraw Hill Book Company, 1999: 970-2.
  2. Ruggieri M, Pavone L. Hypomelanosis of Ito: clinical syndrome or just phenotype?. J Child Neurol. 2000;15:635-44 pubmed
  3. Ruggieri M, Tigano G, Mazzone D, Tine A, Pavone L. Involvement of the white matter in hypomelanosis of Ito (incontinentia pigmenti achromiens). Neurology. 1996;46:485-92 pubmed
  4. Nehal K, PeBenito R, Orlow S. Analysis of 54 cases of hypopigmentation and hyperpigmentation along the lines of Blaschko. Arch Dermatol. 1996;132:1167-70 pubmed
  5. Singh S, Sampath S, Nathan R, Nair M. Hypomelanosis of ito. Indian J Pediatr. 2004;71:947 pubmed
  6. Hatchwell E. Hypomelanosis of Ito and X;autosome translocations: a unifying hypothesis. J Med Genet. 1996;33:177-83 pubmed
  7. Pascual-Castroviejo I, Roche C, Martinez-Bermejo A, Arcas J, Lopez-Martin V, Tendero A, et al. Hypomelanosis of ITO. A study of 76 infantile cases. Brain Dev. 1998;20:36-43 pubmed
  8. Hennel S, Ekert P, Volpe J, Inder T. Insights into the pathogenesis of cerebral lesions in incontinentia pigmenti. Pediatr Neurol. 2003;29:148-50 pubmed
  9. Ono J, Harada K, Kodaka R, Ishida M, Okada S. Regional cortical dysplasia associated with suspected hypomelanosis of Ito. Pediatr Neurol. 1997;17:252-4 pubmed
  10. Ross D, Liwnicz B, Chun R, Gilbert E. Hypomelanosis of Ito (incontinentia pigmenti achromians)--a clinicopathologic study: macrocephaly and gray matter heterotopias. Neurology. 1982;32:1013-6 pubmed
ISSN : 2334-1009