Phagocytose élective des polynucléaires neutrophiles par les macrophages médullaires associée à une neutropénie auto-immune
A Ayad (Drayadanass at gmail dot com), A Hassani, H Ourrai, A Agadr
Service de pédiatrie, Hôpital militaire Mohamed V, Rabat, Maroc
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.3.1536
Date
2016-06-13
Citer comme
Research fr 2016;3:1536
Licence
Résumé

Les neutropénies auto-immunes (NAI) sont une cause fréquente de neutropénie en particulier chez le nourrisson, avec une incidence estimée autour de 1/100 000. Elles sont souvent primitives, bénignes et transitoires. Nous rapportons le cas d’une NAI chez un enfant de 12 ans, suivi au service de pédiatrie de l’HMMV de Rabat pour thalassémie mineure. Lors de son suivi, nous avons découvert fortuitement une neutropénie modérée persistante avec un taux de PNN variant entre 500 et1300/mm³. L’enfant présente par ailleurs des infections bénignes ORL et respiratoires avec un état général conservé et un examen somatique sans particularités. Le bilan fait a permis d’éliminer une hémopathie maligne (frottis sanguin normal et absence de cellules malignes sur le myélogramme), une infection virale (sérologies de l’HVB, HVC, VIH et CMV négatives), une maladie systémique (absence de signes cliniques et auto-anticorps antinucléaires et anti DNA natif négatifs). Le bilan immunologique était normal (dosage pondéral des immunoglobines et phénotypage lymphocytaire normaux). Le diagnostic de NAI a été retenu malgré l’absence des anticorps anti-granulocytes devant la présence au myélogramme d’un aspect particulier de phagocytose élective de PNN sans signe d’hémophagocytose ni de dysgranulopoeise. L’enfant a été mis sous antibioprophylaxie à base de cotrimoxazole, et il se porte bien en dehors d’infections bénignes rapidement résolutives. Le recul est de 16 mois.

English Abstract

Autoimmune neutropenia (NAI) is a common cause of neutropenia especially in infants, with an estimated incidence of about 1/100 000. They are often primitive, mild and transient. We report the case of NAI in a 12-year-old child, followed in the pediatric ward of HMMV Rabat for minor thalassemia. During the follow-up, we discovered fortuitously a persistent moderate neutropenia with an ANC between 500 and 1300 / mm³. The child also presented recurrent but benign ENT and respiratory infections without any abnormal physical finding. The work-up has eliminated a hematologic malignancy (normal blood smear and absence of malignant cells in the bone marrow aspirate), viral infection (serology of HVB, HCV, HIV and CMV negative), a systemic disease (absence of signs clinical and autoantibody antinuclear and anti native DNA negative). The immunological tests were normal (weight dosage of immunoglobulins and normal lymphocyte phenotyping). The diagnosis of NAI was retained despite the absence of anti-granulocyte antibody to the presence in bone marrow aspiration of a particular aspect ANC elective phagocytosis unsigned hemophagocytosis or dysgranulopoeisis. The child was put under antibiotic prophylaxis based cotrimoxazole, and he is well outside mild infections quickly resolvent. The follow-up was 16 months.

Introduction

Les neutropénies auto-immunes (NAI) sont une cause fréquente de neutropénie en particulier chez le nourrisson, avec une incidence estimée autour de 1/100 000. Elles sont souvent primitives, bénignes et transitoires [1]. Elles résultent de la production d’auto-anticorps principalement dirigés contre les antigènes du groupe HNA-1 des granulocytes et surtout contre l’antigène HNA-1a, responsables d’une destruction excessive périphérique des polynucléaires neutrophiles (PNN). La neutropénie est généralement modérée avec une moelle osseuse normale la plupart du temps. Les infections associées sont généralement bénignes, toutefois, les formes sévères représentent 8%. Nous rapportons le cas d’une NAI découverte fortuitement chez un enfant de 12 ans.

Observation

Enfant de 12ans, 2ème d’une fratrie de 4, issu de parents non consanguins, un oncle et une tante paternels suivis pour thalassémie, bon développement psychomoteur et une croissance normale, bien vacciné selon le programme national de l’immunisation ; pas de notion d’infections à répétition ; il est suivi au service pour thalassémie mineure.

Histoire de la maladie

Nous avons découvert fortuitement, sur un hémogramme demandé dans le cadre de son suivi pour thalassémie mineure, une neutropénie modérée. Devant la persistance de cette neutropénie sur deux autres hémogrammes de contrôle, l’enfant fut admis dans notre service pour prise en charge. L’enfant ne présentait aucun signe fonctionnel.

L’examen à l’admission

Enfant en bon état général, qui pèse 37Kg (M) pour une taille de 145cm (M) ; absence de dysmorphie

L’examen cutanéo-muqueux trouve conjonctives légèrement décolorées, une absence de tâches purpuriques.

Les aires ganglionnaires libres. L’examen cardio-pulmonaire est normal

L’examen abdominal ne trouve pas d’hépatosplénomégalie ni de masse palpable.

Le reste de l’examen somatique est sans particularités.

Au total, enfant de 12 ans, suivi pour thalassémie mineure, sans antécédents d’infections à répétition, admis pour neutropénie découverte fortuitement, dont l’examen somatique est normal.

Les examens complémentaires réalisés

Hémogrammes avec frottis sanguin : voir le tableau 1

Electrophorèse de l’hémoglobine : augmentation de l’hémoglobine A2 (6,4%) , persistance de l’hémoglobine F (2,1%).

Fer sérique et ferritine normaux. VS normale et CRP négative. Bilan phtysiologique négatif

Electrophorèse des protéines sériques : profil quantitatif et qualitatif normal, bilan hépatique normal

Dosage pondéral des immunoglobulines et phénotypage lymphocytaire normaux

Sérologies virales de l’hépatite B, l’hépatite C, CMV, VIH sont négatives.

Recherche négative des anticorps anti-nucléaires, des anticorps anti ADN natif, et des anticorps anticytoplasme de polynucléaires neutrophiles.

Recherche d’anticorps anti-granuleux circulant (par GAT et GIFT) : dépistage faiblement positif, peu significatif et la recherche d’anticorps anti-CD16 (par MAIGA) est négative.

Myélogramme : toutes les lignées sont représentées. Aspect particulier de phagocytose élective de PNN sans signe d’hémophagocytose ni de dysgranulopoeise. Arrêt de maturation de la lignée neutrophile, valeur à 46% (normale entre 60 et 70%). Rapport granuleux/erythroblaste diminué.

Devant cette neutropénie modérée persistante et après avoir éliminé :

  • Une hémopathie maligne (frottis sanguin normal et absence de cellules malignes sur le myélogramme)
  • Une infection virale (sérologies de l’HVB, HVC, VIH et CMV négatives)
  • Une maladie systémique (absence de signes cliniques et auto-anticorps antinucléaires et anti DNA natif négatifs)
  • Un bilan immunologique normal (dosage pondéral des immunoglobines et phénotypage lymphocytaire normaux)

Nous avons retenu le diagnostic de Neutropénie auto-immune, devant la présence au myélogramme d’un aspect particulier de phagocytose élective de PNN, malgré l’absence des anticorps anti-granulocytes.

Evolution

Recul de deux ans, l’enfant se porte bien en dehors de deux épisodes infectieux de la sphère ORL, traités par antibiothérapie orale. L’enfant a été mis toutefois sous antibioprophylaxie à base de cotrimoxazole (figure 1).

Phagocytose élective des polynucléaires neutrophiles par les macrophages médullaires  associée à une neutropénie auto-immune Figure 1
Figure 1. Évolution des paramètres à l’hémogramme.
Discussion

La neutropénie est qualifiée de primitive dès lors qu’aucune autre maladie ne lui est associée. Elle résulte de la production d’auto-anticorps principalement dirigés contre le groupe HNA-1(RFc_IIIb), et surtout contre l’antigène HNA-1a. Ces anticorps sont responsables d’une destruction excessive des polynucléaires neutrophiles (PNN) en périphérie. Cette forme de neutropénie est essentiellement pédiatrique. Elle constitue la cause principale de neutropénie du jeune enfant avec une incidence estimée autour de 1/100 000. Elle est essentiellement diagnostiquée entre cinq et 15 mois. La neutropénie est généralement modérée à profonde [2].

La neutropénie peut être totalement asymptomatique, découverte de façon fortuite au cours d’un bilan systématique. Le risque infectieux est variable, dépendant de la profondeur, de la durée et du mécanisme périphérique ou central (où il semble plus important) de la neutropénie, mais aussi du chiffre des monocytes. La neutropénie est qualifiée de minime lorsque le compte absolu des PNN circulants est compris entre 1,0 et 1,5 G/L, elle est dite modérée quand ce compte est situé entre 0,5 et 1,0 G/L. En dessous de 0,5 G/L, la neutropénie est sévère, on parle alors d’agranulocytose. Les manifestations infectieuses sont principalement ORL, broncho-pulmonaires ou cutanées à type de cellulite. Le risque d’infection mycotique, notamment à Aspergillus, devient important dans les neutropénies profondes et prolongées. Le risque d’infections virales ou parasitaires n’est généralement pas augmenté.

La découverte de la neutropénie chez notre patient était fortuite. C’est une neutropénie modérée et prolongée.

La détection des anticorps anti-neutrophiles repose, de la même manière que pour les autres cytopénies immunes, sur des méthodes directes (détection des anticorps fixés in vivo sur la cellule) et indirectes (détection des anticorps présents dans le sérum). Néanmoins les méthodes de détection directes restent particulièrement délicates dans le cadre des neutropénies immunes pour plusieurs raisons. Le premier obstacle réside dans la difficulté de manipuler le PNN in vitro compte tenu de sa fragilité [3]. La survie de cette cellule n’excède pas 24 heures. Il est par ailleurs difficile de recueillir des PNN en quantité suffisante chez un sujet neutropénie. Enfin, la faible spécificité de ces méthodes implique la plus grande prudence quant à l’interprétation de leurs résultats.

Trois méthodes diagnostiques sont plus particulièrement employées : le test d’immunofluorescence sur granulocytes (granulocyte immunofluorescence test [GIFT] ), la technique de microgranulo-agglutination (granulocyte agglutination test [GAT] ), la technique de monoclonal antibody-immobilisation of granulocyte antigens (MAIGA).

Aucune de ces techniques ne permet l’identification de tous les anticorps impliqués en clinique. Les méthodes directes sont sensibles et peu spécifiques ce qui leur confère une valeur pour le suivi d’une auto-immunisation démontrée par ailleurs plutôt que pour le diagnostic. Les méthodes indirectes sont moins sensibles et par définition, ne sont pas spécifiques des auto-anticorps car elles détectent aussi tous les allo-anticorps antigranulocytes parmi lesquels les anticorps anti-HLA de classe 1 sont les plus fréquents. Leur positivité affirme en revanche la présence dans le sérum d’un anticorps réagissant avec une structure membranaire des granulocytes. Il est recommandé d’avoir recours à l’examen du sérum du patient par le GIFT et le GAT complétés si besoin par le MAIGA. Il est indispensable de répéter ces tests après un délai de deux à trois mois en cas de négativité, chez l’enfant uniquement.

Chez notre patient la recherche des anticorps anti-granulocytes par les techniques GIFT et GAFT était non concluante (faiblement positif). On a complété alors par la recherche d’anticorps dirigés contre la molécule CD16 par technique MAIGA qui était négative. Nous n’avons pas répété ces tests toutefois.

Selon la plupart des auteurs, le myélogramme montre une moelle riche avec une hyperplasie de la lignée granuleuse, un arrêt plus ou moins tardif de maturation et une diminution du compartiment de réserve [4]. Un aspect similaire de phagocytose a été observé expérimentalement chez l'animal dans la moelle et les organes lymphoïdes, après injection d'un antisérum hétérologue anti-neutrophile, indiquant que la phagocytose de PNN est un des mécanismes importants après une exposition à des anticorps anti-PN. Nous avons retrouvé un aspect similaire chez notre patient.

Les infections associées sont généralement bénignes, les formes sévères représentant 8 % dans la série de Bux et al. Cette maladie est le plus souvent spontanément régressive. Aucun traitement de fond n’est habituellement nécessaire. En cas d’infection sévère, le granulocyte colonystimulating factor (G-CSF) associé aux antibiotiques est rapidement efficace.

Conclusion

Cette observation souligne la contribution du myélogramme dans le diagnostic des NAI chez l’enfant. Devant toute neutropénie durable de l’enfant, des images de phagocytose médullaire de PNN par les macrophages peuvent représenter un signe indirect d’auto immunité

Références
  1. Manroe B, Weinberg A, Rosenfeld C, Browne R. The neonatal blood count in health and disease. I. Reference values for neutrophilic cells. J Pediatr. 1979;95:89-98 pubmed
  2. Gbadoe A.D., et al. 1997. Phagocytose élective des polynucléaires neutrophiles par les macrophages médullaires et neutropénie auto-immune de l'enfant. Arch Pediatr 4 : 398-405.
  3. Donadieu J, Boutard P, Bernatowska E, Tchernia G, Couillaud G, Philippe N, et al. A European phase II study of recombinant human granulocyte colony-stimulating factor (lenograstim) in the treatment of severe chronic neutropenia in children. Lenograstim Study Group. Eur J Pediatr. 1997;156:693-700 pubmed
  4. Donadieu J., et al. 1994. Neutropénies constitutionnelles et acquises de l'enfant. Arch Pediatr 1 : 925-935.
ISSN : 2334-1009