Diagnostic et prise en charge du syndrome 46, XX male : à propos d’un cas
Hicham Baïzri1 (baizri72 at gmail dot com) #, Mariam Tajir2, Hanane Aïthammou2, Nisrine Aboussair2
1 Service d’Endocrinologie Diabétologie et Maladies Métaboliques. Hôpital Militaire Avicenne. Marrakech. Maroc. 2 Service de Génétique CHU Med VI. Faculté de Médecine et de Pharmacie de Marrakech. Université Cadi Ayyad. Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.1259
Date
2014-12-14
Citer comme
Research fr 2014;1:1259
Licence
Résumé

Le syndrome 46,XX male, ou le 46,XX testicular Disorder of Sexual Differenciation (DSD), a été décrit pour la première fois par De La Chapelle et ses collaborateurs en 1964. Il s'agit d'une maladie rare, avec une incidence de 1/20.000 à 25.000 nouveau-nés de sexe masculin. Elle est caractérisée par un phénotype male avec un caryotype 46, XX. Les males 46, XX peuvent être classés en deux groupes en fonction de la présence ou l'absence du gène SRY. La translocation du chromosome Y, comprenant le locus SRY, sur le chromosome X, qui est due à la recombinaison lors de la méiose paternelle, peut être facilement démontrée par des analyses moléculaires (FISH et PCR) dans 90% des cas. Les organes génitaux externes et la masculinisation sont habituellement normaux chez les males 46,XX SRY-positifs. La prise en charge repose sur une approche multidisciplinaire. Nous rapportons le cas d’un patient de 44 ans, ayant une infertilité avec azoospermie, chez qui les explorations biologiques et cytogénétiques étaient en faveur d’une anomalie du développement sexuel des testicules en rapport avec une translocation du gène SRY sur un chromosome X.

English Abstract

We report a 44 year-old male with infertility and azoospermia. Biological and cytogenetic investigations were in favor of a testicular disorder of sexual development due to a translocation of the SRY gene on an X chromosome.

Introduction

La détermination du sexe masculin n'a pas encore été complètement élucidée chez l'homme. Mais il est admis que les gènes du chromosome Y, en particulier, le gène de la région déterminant le sexe du chromosome Y (SRY), jouent un rôle majeur dans cette détermination [1]. Chez les embryons XY, le gène SRY induit la différenciation de l’ébauche gonadique en testicule. Le syndrome 46,XX male, actuellement appelé 46,XX testicular Disorder of Sexual Differenciation (DSD), a été décrit pour la première fois par De La Chapelle et ses collaborateurs en 1964 [2]. Il s'agit d'une maladie rare, avec une incidence de 1/20.000 à 25.000 nouveau-nés de sexe masculin [2] [3]. Elle est caractérisée par un phénotype male avec un caryotype 46, XX [2] [3]. Concernant le phénotype sexuel de ce syndrome, trois tableaux cliniques ont été identifiés: (1) les classiques hommes XX, caractérisés par une infertilité avec des organes génitaux externes (OGE) et internes normaux et de sexe masculin; (2) les hommes XX avec des organes génitaux ambigus, généralement détectés à la naissance par des ambiguïtés des OGE comme l'hypospadias, le micropénis, ou l’hypertrophie clitoridienne; (3) et les XX vrais hermaphrodites, qui ont des ambiguïtés des OGE ou internes détectées à la naissance [4] [5]. Au niveau moléculaire, les males XX peuvent être classés en 46,XX SRY positif ou 46,XX SRY négatif, en fonction de la présence ou non du gène SRY [6].

Nous rapportons le cas d’un patient de 44 ans, qui a consulté pour une infertilité avec azoospermie et chez qui les explorations biologiques et cytogénétiques étaient en faveur d’une anomalie du développement sexuel des testicules en rapport avec une translocation du gène SRY sur un chromosome X.

Observation clinique

Mr E. M est un patient de 44 ans, marié depuis 3 ans, sans enfant, militaire de fonction. Dans ses antécédents personnels, on note une tuberculose pulmonaire traitée à l’âge de 10 ans, une lithiase rénale traitée par lithotritie extracorporelle il y a 8 ans, un tabagisme chronique estimé à 21 PA. Il n y’a pas de prise médicamenteuse ni de cas similaire dans la famille. Le patient nous est adressé pour bilan étiologique d’une infertilité depuis 2 ans avec azoospermie. L’examen clinique retrouve une barbe clairsemée, une pilosité pubienne et axillaire peu fournies, les deux testicules sont en place mais de petite taille (2 cm de grand axe) soit un stade de Tanner G2P2. Il n’y a pas de gynécomastie ni de malformations visibles des OGE. Le bilan hormonal objective un hypogonadisme hypergonadotrope avec une testostérone basse à 0.99 ng/ml (VN : 2.41-8.27 ng/ml), une FSH et une LH respectivement à 31.23 UI/l et 19.81 UI/l. Le reste de l’hypophysiogramme et du bilan standard est sans anomalies. Le spermogramme retrouve une azoospermie. L’échographie testiculaire retrouve des testicules en place mais de taille réduite (5 ml). La densitométrie osseuse objective une ostéopénie au niveau du rachis avec un Tscore estimé à – 2.3 SD. L’analyse cytogénétique, utilisant la technique d’Hybridation In Situ en Fluorescence (FISH), a mis en évidence la formule chromosomique suivante : 46,XX.ish der (X)t(X ;Y)(p22.3 ;p11.3)(SRY+). Immédiatement après l’annonce du diagnostic, le patient a bénéficié d’une consultation psychiatrique puisque il a eu du mal à accepter la maladie et sa conjointe a décidé de se séparer de lui. Il a également été mis sous énanthate de testostérone par voie injectable.

Discussion

Environ 15% des couples en âge de procréer dans le monde sont touchés par l'infertilité, et il est estimé qu'environ 40-50% des infertilités sont d'origine masculine. Les anomalies génétiques sont responsables de 10 à 15% des infertilités masculines sévères. Il s’agit surtout d’aberrations chromosomiques et de mutations monogéniques [7].

La première observation d’un male 46, XX actuellement appelé 46,XX testicular DSD, a été rapportée en 1964 par De la Chapelle et ses collaborateurs [8]. Bien que ces cas soient souvent sporadiques [9], des cas familiaux ont été également rapportés dans la littérature [10].

L’incidence de ce syndrome évaluée à 1 par 20.000 à 25.000 naissances masculines vivantes, est sous-estimée, puisque les infertilités masculines ne bénéficient pas toutes d’une enquête étiologiques [3] [11]. Selon Vorona et al., 100 cas ont été signalés entre 1996 et 2006 dans le monde entier. [2] Au moins trois mécanismes ont été proposés pour expliquer l'étiopathogénie des 46,XX testicular DSD: (1) une translocation du chromosome Y comprenant le gène SRY sur le chromosome X ou sur des chromosomes autosomiques. (2) une mutation de l’X par surexpression des gènes entrainant la différenciation des testicules ou une mutation par surexpression de gènes autosomiques. (3) la présence d’une discrète mosaïque du chromosome Y seulement dans les gonades [12].

Les males 46, XX peuvent être classés en deux groupes en fonction de la présence (90% des cas) ou l'absence (10% des cas) du gène SRY [6] [12]. La translocation du chromosome Y, comprenant le locus SRY, sur le chromosome X, qui est due à la recombinaison lors de la méiose paternelle, peut être facilement démontrée par des analyses moléculaires (FISH et PCR) dans 90% des cas [9] [13] [14] [15] comme c’est le cas chez notre patient. Les OGE et la masculinisation sont habituellement normaux chez les males 46,XX SRY-positifs [3]. Avant la puberté, il n'y a pas de signe clinique sauf la cryptorchidie et donc les males 46, XX SRY-positifs sont généralement diagnostiqués à la fin de l'adolescence ou à l'âge adulte suite à des analyses chromosomiques effectuées dans le cadre d’une infertilité et / ou de petits testicules [16]. Les males 46, XX SRY-négatif peuvent être diagnostiqués juste après la naissance en raison de l'insuffisance de virilisation des OGE [3]. Bien que la virilisation incomplète des OGE soit commune chez les males 46,XX SRY-négatif, une masculinisation complète et une apparence normale des OGE peuvent aussi être vues [10].

Bien que les niveaux de testostérone chez les males 46, XX soient normaux à la puberté, la synthèse de testostérone est diminuée à l'âge adulte. Les niveaux de gonadotrophines dépassent les limites normales à la mi-puberté, ce qui est typique à l'âge adulte [3] [4]. Le volume des testicules est généralement inférieur à 5 mL des cas. Alors que la morphologie des testicules est normale dans la petite enfance, l’hyalinisation des tubes séminifères dans la petite enfance entraîne une perte de spermatogonies [4] [13].

Immédiatement après le diagnostic d’une anomalie du développement sexuel, une approche multidisciplinaire est la pierre angulaire d’une gestion réussie. Cette prise en charge doit impliquer le médecin de famille du patient ou le médecin généraliste, un spécialiste de la fertilité, un généticien clinique, un endocrinologue, et un psychiatre. Suffisamment de temps doit être alloué à la consultation [17].

Le traitement substitutif par de la testostérone devrait être prescrit aux patients qui présentent des signes cliniques et / ou biologiques de carence androgénique à la puberté. Le soutien psychologique est impératif pour empêcher les problèmes sociaux et sexuels. D’ailleurs, la conjointe de notre patient a demandé le divorce juste après l’annonce du diagnostic. La réparation chirurgicale est recommandée dès que possible en cas d'anomalie génitale externe [12]. Chez notre patient, un traitement par l’énanthate de testostérone a été démarré et un suivi psychiatrique est assuré.

Une échographie testiculaire, par un opérateur expérimenté, doit être réalisée pour rechercher les malformations génitales et / ou un ovotestis associé. En cas d’anomalies, la biopsie doit être réalisée pour obtenir un diagnostic histologique [7]. Le plus souvent l’étude histologique trouve une hyperplasie des cellules de Leydig et une insuffisance spermatique [18]. En outre, les patients 46, XX ont un risque accru de dysgénésie gonadique ou de gonadoblastome [19]. Dans cette optique, l'imagerie par échographie régulière devrait être organisée tout au long de la vie. Toute imagerie anormale devrait justifier une biopsie testiculaire pour obtenir un diagnostic histologique [17].

Chez les males 46, XX les options de fertilité sont limitées. La seule option disponible est l'insémination artificielle avec don de sperme [20]. Cette technique de procréation a un taux élevé de réussite, mais peut être psychologiquement difficile à accepter. En cas de problème, l'expert de la fécondité devrait se mettre en étroite collaboration avec le psychologue / psychiatre impliqué dans la prise en charge [17].

À long terme, la prise en charge comprend un traitement substitutif par la testostérone [17]. Idéalement, le traitement devrait être dirigé par un clinicien expérimenté. Après l'âge de 14 ans, et chez les personnes sans contre-indication connue à un traitement par la testostérone, de faibles doses de testostérone doivent être initiées et augmentées progressivement jusqu'à ce que des niveaux d’adultes soient atteints (par ex : Énanthate de testostérone à administrer par voie intramusculaire toutes les 3-4 semaines, en commençant par 100 mg et en augmentant de 50 mg tous les 6 mois jusqu’à une dose maximale de 200 à 400 mg). Si les patients ont besoin d'un traitement par l'hormone de croissance, la testostérone doit être retardée ou administrée à une dose plus faible pour maximiser le potentiel de croissance [21]. L'efficacité d'un tel traitement peut être surveillée en utilisant la taille de la prostate, les dosages hormonaux, et l'antigène spécifique de la prostate (PSA) [13]. Une attention doit également être portée à l'hématocrite, qui peut être augmenté à la suite de la supplémentation en testostérone, conduisant à une augmentation du risque d'hypoxie et d'apnée du sommeil [22]. En outre, une évaluation de la fonction hépatique et des profils lipidiques doit être effectuée. Une densitométrie osseuse de base doit être effectuée, avec des réévaluations annuelles si l'ostéopénie est démontrée et tous les 3 ans si elle est normale [13]. Les personnes présentant une gynécomastie associée peuvent être référées à un chirurgien plasticien pour discuter d'une éventuelle correction chirurgicale [17].

Conclusion

Certes les anomalies du développement sexuel des testicules de type 46,XX sont rares, néanmoins devant toute infertilité chez un homme avec azoospermie et hypogonadisme hypergonadotrope, une étude cytogénétique doit être systématique. Le diagnostic de ce type d’anomalies est généralement aisé surtout dans sa forme classique. La prise en charge doit être multidisciplinaire faisant intervenir plusieurs spécialistes tout en insistant sur la place d’un soutien psychologique à l’annonce du diagnostic afin d’éviter des drames familiaux. Le traitement substitutif repose sur la prescription de la testostérone, généralement par voie injectable, tout en surveillant de façon régulière les effets secondaires.

Déclaration
Remerciements

Nous remercions tous les auteurs qui ont participé à l’élaboration de ce travail.

Références
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