Coexistence de la tuberculose cervicale et du carcinome épidermoïde métastatique au sein d'un ganglion lymphatique
M Sahli1 (dr dot sahli dot mohamed at hotmail dot fr) #, B Hemmaoui1, N Errami1, S Dahraoui2, M Allaoui3, M Oukabli3, F Benariba1
1 Department of Head and Neck Surgery, Military Hospital Mohammed V, Rabat, Morocco. 2 Department of Microbiology, Military Hospital Mohammed V, Rabat, Morocco. 3 Department of Pathology, Military Hospital Mohammed V, Rabat, Morocco
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.5.2592
Date
2018-05-26
Citer comme
Research fr 2018;5:2592
Licence
Résumé

Introduction : La coexistence de la tuberculose et du carcinome épidermoïde métastatique dans le même site ganglionnaire est une entité rare. Peu de cas ont été rapportés dans la littérature. Observation : Il s’agissait d’un patient âgé de 55 ans, qui présentait une adénopathie cervicale évoquant fortement le diagnostic de tuberculose ganglionnaire. Il a eu un drainage chirurgical et un traitement anti-bacillaire avec absence d’amélioration clinique. Des biopsies profondes avec prélèvements bactériologiques ont été réalisés. Les résultats ont révélé la coexistence d’une tuberculose et d’un carcinome épidermoïde. Le bilan d’extension (pan-endoscopie et PET scan) avait conclu à un carcinome épidermoïde d’origine indéterminée. Une chimiothérapie première a été instaurée et le patient fût décédé quelques jours après sa première cure. Conclusion : La possibilité d'association dans le même site ganglionnaire d’une tuberculose cervicale et d’un carcinome devrait toujours être gardée à l'esprit, en particulier chez les patients issus de zones endémiques. Les prélèvements à visée microbiologiques sont d’une importance capitale dans ces situations.

English Abstract

Introduction: The coexistence of tuberculosis and metastatic squamous cell carcinoma in the same lymph node location is a rare situation. Few cases have been reported in the literature. Case: a 55-year-old patient presented a cervical lymphadenopathy strongly suggestive of the diagnosis of tuberculous lymphadenitis. He underwent surgical drainage and anti-bacillary treatment with no clinical improvement. Deep biopsies with bacteriological samples revealed the coexistence of tuberculosis and squamous cell carcinoma. Panendoscopy and PET scan were performed. The primitive site of carcinoma was indeterminate. The patient received a first cure of chemotherapy and died few days later. Conclusion: The possibility of association in the same lymph node of tuberculosis and carcinoma should always be kept in mind, especially in patients from endemic areas. Microbiological sampling is of paramount importance in these situations.

Introduction

La tuberculose constitue un problème mondial de santé publique. La tuberculose ganglionnaire constitue avec l’atteinte pleurale, une des formes les plus fréquentes de tuberculose extrapulmonaire. Sa prévalence est plus élevée dans les pays endémiques comme le Maroc avec environ 30000 nouveaux cas de tuberculose dépistés annuellement. Le diagnostic différentiel d’une néoplasie sous-jacente doit être toujours gardé à l’esprit surtout chez les sujets âgés et en cas de mauvaise réponse aux antituberculeux. Nous rapportons le cas clinique d’une association entre tuberculose et carcinome épidermoïde et en discutons les aspects cliniques et histologiques.

Observation

Il s’agissait d’un patient âgé de 55 ans sans antécédent pathologique, qui avait consulté pour une tuméfaction latéro-cervicale sous-angulo-maxillaire gauche (groupe II) évoluant depuis 3 mois, augmentant progressivement de volume et s’associant à des signes inflammatoires locaux. La nasofibroscopie était sans particularité et le scanner cervico-thoracique a objectivé une grosse adénopathie nécrosée sous-angulo-maxillaire gauche, mesurant 36×34×24mm avec des lésions pulmonaires fibro-nodulaires lobaires supérieures évoquant fortement une tuberculose (Figure 1).

Coexistence de la tuberculose cervicale et du carcinome épidermoïde métastatique au sein d'un ganglion lymphatique Figure 1
Figure 1. Tomodensitométrie. a. Scanner cervical montrant une large adénopathie nécrotique jugulo-carotidienne supérieure. b. Coupes thoraciques montrant des lésions fibro-nodulaires de l’apex pulmonaire.

Une mise à plat de l’adénophlegmon a été faite, mais les résultats bactériologiques et histologiques étaient négatifs. Le bilan phtysiologique était également négatif notamment la recherche de bacilles tuberculeux dans les crachats. Un traitement anti bacillaire d’épreuve a été démarré après concertation avec les pneumologues vu les lésions pulmonaires apicales évocatrices, cependant l’évolution à court terme n’était pas favorable avec augmentation du volume de l’adénopathie et la persistance de signes inflammatoires. Une deuxième intervention a été donc décidée avec réalisation des biopsies profondes et d’autres prélèvements à visée microbiologique dont le résultat est revenu en faveur d’un carcinome épidermoïde mature et infiltrant avec identification de bacilles acido-alcoolo-résistants à la coloration de Ziehl–Neelsen (ZN) confirmant le diagnostic de tuberculose (Figure 2).

Coexistence de la tuberculose cervicale et du carcinome épidermoïde métastatique au sein d'un ganglion lymphatique Figure 2
Figure 2. Anatomie pathologique et frottis. a. Un ganglion lymphatique envahi massivement par un carcinome mal différencié avec un foyer de nécrose (HE, Gx50). b. Les noyaux des cellules tumorales sont large, membranes nucléaires irrégulières et nucléoles proéminents (HE, Gx400). c. Frottis montrant la présence de bacilles acido-alcoolo-résistants (Ziehl-Neelsen, Gx1000).

Le bilan d’extension à la recherche du cancer primitif basé sur une pan-endoscopie et un PET scan était négatif et le diagnostic d’un carcinome épidermoïde d’origine indéterminée a été retenu. Une chimiothérapie première a été décidée en premier en vue d’une radiothérapie complémentaire, le patient est décédé quelques jours après sa première cure.

Discussion

La coexistence dans le même site ganglionnaire cervical d’une tuberculose et d’un carcinome épidermoïde est très rare et de physiopathologie non encore élucidée, l’association est souvent de découverte fortuite mais certains auteurs stipulent que la tuberculose constitue un terrain favorable pour le développement de certains cancers en causant des erreurs génétiques [1, 2]. L’association tuberculose et cancer est plus fréquente au niveau pulmonaire vu qu’elle représente le site de prédilection de la tuberculose malgré des facteurs intriqués comme le tabagisme. A notre connaissance, il existe peu de cas dans la littérature décrivant l’association d’une tuberculose et d’une malignité au sein du même ganglion cervical [3, 4]. Au Maroc, la localisation ganglionnaire occupe la deuxième position de l’atteinte tuberculeuse après la localisation pulmonaire, de ce fait, ce diagnostic est toujours suspecté par les cliniciens en premier lieu. Le diagnostic différentiel de néoplasie sous jacente doit être néanmoins considéré, notamment en cas de mauvaise réponse aux antituberculeux et en se basant sur des critères radiologiques et surtout biologiques. La sémiologie radiologique permet rarement de trancher car ces deux pathologies peuvent se manifester par un aspect de ganglion nécrosé. La disparition du hile à l’échographie et la forte prise de contraste ou le franchissement capsulaire au scanner peuvent orienter vers une pathologie maligne [5]. Le diagnostic de certitude repose essentiellement sur la ponction sous guidage échographique ou tomodensitométrique avec étude histologique et bactériologique, et ce malgré le caractère pauci-bacillaire de la tuberculose ganglionnaire, lié à l’importance des mécanismes de défense à médiation cellulaire à ce niveau [6]. En effet, la bactériologie permet l’isolement et l’étude de la sensibilité du mycobacterium, mais l’histologie demeure indispensable pour ne pas passer à côté d’une néoplasie sous-jacente.

L’examen direct à la coloration de ZN apporte un résultat rapide en 24 heures, mais ce test manque de sensibilité et ne peut pas distinguer entre les différentes espèces de Mycobactérium. La culture est plus sensible que l’examen direct mais son rendement est plus élevé sur des prélèvements biopsiques et en présence de lésions granulomateuses mais sans nécrose caséeuse qui ne contiennent, habituellement, pas de bacilles vivants. Les bacilles dans ces foyers de nécrose caséeuse persistent mais ne se multiplient pas activement.

La présence d’une réaction granulomateuse épithélioïde associés à une tumeur maligne est fréquente dans les carcinomes et les lymphomes solides malins. cette réaction granulomateuse observée dans le carcinome épidermoïde est d'un type de corps étranger, contre la kératine produite par les cellules tumorales [7]. Cette réaction ne peut en aucun cas confirmer le diagnostic de tuberculose associée d’où l’intérêt de l’étude bactériologique.

La stratégie thérapeutique est compliquée parce que d’une part la tuberculose conduit à une surestimation du stade TNM et d’autre part, il y a un risque de dissémination secondaire à une chimiothérapie; de ce fait, le traitement est basé sur un traitement antibacillaire d’attaque pendant 2 à 3semaines suivi d’une radiothérapie et/ou une chimiothérapie et dans un cadre de concertation pluridisciplinaire.

Conclusion

Dans les cas d'une lymphadénopathie cervicale tuberculeuse qui ne répond pas au traitement antituberculeux conventionnel, une biopsie répétée pourrait être nécessaire. La possibilité d’un carcinome associé doit être toujours gardée à l’esprit même en absence d’histoire oncologique ou encore en absence de localisation tumorale primitive patente comme cela a été décrit chez notre patient.

Conflits d’intérêts

Il n’existe aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article entre les auteurs.

Références
  1. Falagas M, Kouranos V, Athanassa Z, Kopterides P. Tuberculosis and malignancy. QJM. 2010;103:461-87 pubmed publisher
  2. Kuo S, Hu Y, Liu C, Lee Y, Chen Y, Chen T, et al. Association between tuberculosis infections and non-pulmonary malignancies: a nationwide population-based study. Br J Cancer. 2013;109:229-34 pubmed publisher
  3. Gheriani H, Hafidh M, Smyth D, O'Dwyer T. Coexistent cervical tuberculosis and metastatic squamous cell carcinoma in a single lymph node group: a diagnostic dilemma. Ear Nose Throat J. 2006;85:397-9 pubmed
  4. Caroppo D, Russo D, Merolla F, Ilardi G, Del Basso De Caro M, Di Lorenzo P, et al. A rare case of coexistence of metastasis from head and neck squamous cell carcinoma and tuberculosis within a neck lymph node. Diagn Pathol. 2015;10:197 pubmed publisher
  5. Kim D, Choo H, Lee Y, Jung S, Eom J, Ha T. Sonographic features of cervical lymph nodes after thyroidectomy for papillary thyroid carcinoma. J Ultrasound Med. 2013;32:1173-80 pubmed publisher
  6. Bezabih M, Mariam D, Selassie S. Fine needle aspiration cytology of suspected tuberculous lymphadenitis. Cytopathology. 2002;13:284-90 pubmed
  7. Barwad A, Gowda K, Dey P. Co-existent of tuberculosis and squamous cell carcinoma in a lymph node diagnosed by fine needle aspiration cytology.. Cytopathology. 2012;23:276-7 pubmed publisher
ISSN : 2334-1009