Adénome canaliculaire : une tumeur labiale à ne pas méconnaitre
M Sinaa1 (Sinaamohamed57 at gmail dot com) #, H Chahdi2, M Oukabli2, A Albouzidi2
1 Service d’anatomie pathologique, hôpital militaire Moulay Ismail, Meknès, Maroc. 2 Service d’anatomie pathologique, Hôpital militaire d’instruction Mohamed V, Rabat, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.1072
Date
2014-10-13
Citer comme
Research fr 2014;1:1072
Licence
Résumé

Introduction : L’adénome canaliculaire est une tumeur salivaire bénigne qui touche essentiellement les glandes salivaires accessoires de la lèvre supérieure. Observations : Un homme âgé de 70 ans et une femme de 62 ans, présentaient une tumeur labiale supérieure d’évolution lente. Ils ont bénéficié d’une exérèse de la lésion. L’étude anatomopathologique a montré le même aspect microscopique pour les deux cas : prolifération épithéliale bénigne faite de cordons tapissés par des cellules épithéliales cubiques dépourvues d’atypies cytonucleaires, au sein d’un stroma myxoide. Ces cellules ont été positives pour la protéine S100 (PS100), et négatives pour l’actine muscle lisse (AML). Le diagnostic d’un adénome canaliculaire a été posé pour les deux cas. L’évolution était simple sans récidive pour les deux patients. Discussion : L’adénome canaliculaire est une lésion assez rare qui touche les sujets de plus de 40 ans, avec une prédilection féminine. Elle est faite de cordons branchés et interconnectés d’une double colonne de cellules cubiques au cytoplasme amphophile et au noyau rond régulier avec alternance de branchement-séparation de la double colonne. Le stroma est lâche, parfois myxoïde. L’évolution est très lente. Le traitement de choix est l’énucléation, les récidives sont rares en cas d’exérèse incomplète. Notre étude est analytique qui traite l’adénome canaliculaire comme une entité tumorale bien distincte, en insistant sur les caractéristiques anatomopathologiques qui permet de la différencier d’autres tumeurs des glandes salivaires, essentiellement l’adénome à cellules basales et le carcinome adénoïde kystique, impliquant ainsi des modalités différentes de prise en charge thérapeutique.

English Abstract

Introduction: Canalicular adenoma is a benign salivary tumor which primarily affects salivary glands of the upper lip. Cases: A 70 year-old man and a 62-year-old woman presented superior labial tumors with slow evolution. They benefited from resections of the lesions. Surgical pathology study showed the same microscopic aspect for both cases: benign epithelial proliferation made by cords lined by cubic epithelial cells without cytonuclear atypia. The stroma was myxoid. These cells were positive for S100 protein (PS100), and negative for smooth muscle actin. The diagnosis of a canalicular adenoma was made for the two cases. The evolution was simple without any recurrence for both patients. Discussion: Canalicular adenoma is a very rare lesion which affects people more than 40 years old with a femal predeliction. It‘s made by interconnected cords lined by double columns of cubic cells with amphophilic cytoplasm and round nuclei, and alternation of connection-separation of the double columns. The stroma is poor, sometimes myxoid. The evolution is very slow with enucleation as an adequate treatment. Any recurrence is rare even after incomplete resection. Our study is analytical which treats the canalicular adenoma as a different entity which should be differentiated from other tumors of the salivary glands, essentially basal cell adenoma and cystic adenoid carcinoma which need different therapeutic methods.

Introduction

L’adénome canaliculaire est une tumeur très rare des glandes salivaires accessoires qui touche surtout la lèvre supérieure dans 90% des cas. Il est souvent diagnostiqué après l’âge de 60 ans, avec une légère prédominance féminine.

Cette entité peut poser un problème de diagnostic différentiel avec des tumeurs bénignes comme l’adénome à cellules basales dont la distinction n’a pas d’implication thérapeutiques majeures, et des tumeurs malignes comme le carcinome adénoïde kystique, dont la confusion peut avoir des effets néfastes.

Adénome canaliculaire : une tumeur labiale à ne pas méconnaitre Figure 1
Figure 1. Adénome canaliculaire : prolifération faite de canaux branchés et interconectés des cellules épithéliales, avec alternance de branchement et de séparation de la double colonne à intervalle irrégulier formant des canaux a lumières variables (hematoxyline-eosine x200).

Cette étude a pour objectif de discuter cette tumeur comme une variété morphologique bien définie actuellement, et établir les pièges diagnostiques qu’on peut avoir, faussant ainsi la prise en charge thérapeutique.

Matériels et méthodes

Le premier patient est un homme âgé de 70 ans, qui a présenté une tuméfaction de la lèvre supérieure, qui s’est développé en sous muqueuse, il a bénéficié d’une exérèse de sa lésion. Le laboratoire a reçu cinq fragments pesant au total 10 grammes dont le plus grand mesure 2,2 cm de grand axe, d’aspect blanchâtre.

La deuxième patiente âgée de 62 ans, a présenté la même symptomatologie depuis 9 mois. L’examen macroscopique des prélèvements adressés trouve sept fragments dont le plus grand mesure 3,2 cm de grand axe, d’aspect blanc-jaunâtre.

Adénome canaliculaire : une tumeur labiale à ne pas méconnaitre Figure 2
Figure 2. Adénome canaliculaire : cellules épithéliales cubiques à cylindriques hautes, au cytoplasme amphophile à éosinophile, et aux noyaux régulier, rond ou ovoïde avec une chromatine basophile sans pléomorphisme nucléaires. Les figures mitotiques sont absentes (hematoxyline-eosine x400).
Résultats

L’examen microscopique trouve le même aspect histopathologique pour les deux lésions, il s’agit d’une prolifération tumorale bénigne faite de cordons anastomotiques et de dentelles interconnectés, formant des tubes adossés, de canaux de petite taille (Fig 1). Les cellules tumorales sont cubocylindriques au cytoplasme éosinophile, au noyau monomorphe, rond ou ovoïde à chromatine fine, sans pléomorphisme nucléaires, ni figures mitotiques (Fig 2). Le stroma est peu abondant, lâche et myxoïde par place (Fig 3).

Adénome canaliculaire : une tumeur labiale à ne pas méconnaitre Figure 3
Figure 3. Adénome canaliculaire : Aspect lâche et myxoide du stroma tumoral : stroma « floating in air» (hematoxyline-eosine x200).

Une étude immunohistochimique (IHC) a été réalisé pour les deux cas a montré une positivité des cellules tumorales à l’anticorps anti PS100 (Fig 4), et une négativité à l’anticorps anti muscle lisse (AML) (Fig 5).

Le diagnostic de l’adénome canaliculaire a été retenu pour les deux cas, vu leurs caractères morphologiques.

Discussion

L’adénome canaliculaire est une tumeur bénigne qui touche essentiellement les glandes salivaires accessoires.

Il existait un certain conflit entre les auteurs concernant l'adénome canaliculaire, est ce qu’il doit être identifié comme un type tumoral distinct ou une variété histologique de l’adénome à cellules basales ?

Adénome canaliculaire : une tumeur labiale à ne pas méconnaitre Figure 4
Figure 4. Fort marquage cytoplasmique des cellules tumorales au Protéine S100 (x400).

L’OMS dans sa dernière classification des tumeurs des glandes salivaires (2009) définit les deux tumeurs comme des entités distinctes sur le plan morphologique et immunohistochimique [1] [2].

En accord avec la mise à jour de cette classification, cette étude a pour objectif de distinguer l’adénome canaliculaire des autres formes des adénomes, y compris l'adénome à cellules basales à cause de ses caractéristiques cliniques et histopathologiques spécifiques.

Adénome canaliculaire : une tumeur labiale à ne pas méconnaitre Figure 5
Figure 5. Absence de marquage à l’Actine muscle lisse (AML) (x400).

Caractéristiques Générales : La discordance historique entre la terminologie et classification rend difficile d'extraire des données significatives à partir de la littérature pour ce groupe de tumeurs. Cependant, l'accord entre cette étude et la classification d'OMS le rendra plus facile à l'avenir.

L’adénome canaliculaire constitue environ 1% des néoplasies des glandes salivaires, et seulement 8% de toutes les tumeurs des glandes salivaires accessoires. Il touche principalement le sexe féminin avec un sexe ratio de 1H/1.8F. C’est une tumeur des adultes avec une incidence maximale au cours de la 7eme décennie et un moyen d’âge de 65 ans [1] [2] [3] [4].

Environ 90% des adénomes canaliculaires se produisent au niveau de la lèvre supérieure, d’autres localisations sont possibles comme le voile du palais, la lèvre inferieure [5] [6] [7]. Ces tumeurs se distinguent également de l'adénome à cellules basales, qui se développe dans les glandes salivaires principales dans plus de 80% de cas et dans la lèvre supérieure dans seulement 5,4 % [8]. La localisation préférentielle des adénomes canaliculaires au niveau de la lèvre supérieure explique probablement les observations que ce site est l'emplacement le plus commun avec l'adénome à cellules basales, ce qui placent pour certains auteurs l’adénome canaliculaire comme une variété histologique de l’adénome à cellules basales [8]. La muqueuse buccale est la deuxième localisation la plus fréquente pour l'adénome canaliculaire (13.5%) [5] [6].

Signes cliniques : L’adénome canaliculaire se développe sous forme d’un nodule bleuâtre ne dépassant pas 2 cm, de croissance lente, mobile, et compressible. Il est superficiel, et simulant une mucocèle ou un kyste d’inclusion épidermique. Des localisations multifocales ont été rapportées par plusieurs auteurs [3] [4] [5].

Signes macroscopiques : Typiquement, l’adénome canaliculaire se présentent sous forme d’une tumeur bien circonscrite, parfois encapsulée, de taille varie entre 0,5 et 2 cm, rarement supérieure à 3cm, de coloration jaune-brunâtre. Souvent, il se présente sous forme d’un nodule unique, mais des multiples nodules ont été décrits dans plus de 22% des cas [3]. La tranche de section est homogène, et des foyers de remaniements kystiques et mucoïdes peuvent être retrouvés [2] [5].

Signes microscopiques : L’examen microscopique confirme le caractère bien encapsulé de la tumeur, mais des tumeurs partiellement encapsulé ou non encapsulé ont été décrites [2] [5].

L’aspect histologique de base est constitué des cordons branchés et interconnecté, faites d’une double colonne des cellules épithéliales, avec alternance de branchement et de séparation de la double colonne à intervalle irrégulier, au sein d’un stroma très lâche. Cette alternance forme des canaux à lumières variables qui peuvent aller de simples canalicules (d’où la dénomination d’adénome canaliculaire) jusqu'à des petites formations kystiques visibles à l’examen macroscopique [2] [5].

Les cellules tumorales sont des cellules épithéliales cubiques à cylindriques hautes. Le cytoplasme est amphophile à éosinophile, et les noyaux sont d’aspect régulier, rond ou ovoïde avec une chromatine légèrement motté et basophile sans pléomorphisme nucléaires. Les figures mitotiques sont absentes ou rares [2] [5].

Des foyers de cellules basaloides peuvent être trouvés entre les rangées des cellules tumorales, qui sont relativement tolérés, le nombre de ces foyers peut varie d’une tumeur à l’autre ou au sein de la même tumeur. Le stroma est également très caractéristique et identique d'une tumeur à l'autre. C’est un tissu de collagène très lâche et légèrement fibrillaire avec peu de fibroblastes, son abondance est variable, riche en capillaires, parfois invisible donnant l’aspect du stroma « floating in air».

Il y’a peu de données sur l'immunohistochimie des adénomes canaliculaires. Zarbo et al. ont constaté que les 15 adénomes canaliculaire dans leur étude, il y avait un marquage des cellules pour la protéine S-100 [8] [9] [10]. Pour l’AFIP, presque toutes les cellules tumorales étaient positives pour la cytokératine et pour la protéine S-100 [11]. Généralement, aucun marquage à l’actine muscle lisse (AML) n’a était trouvé. L’absence de marquage à l’AML prouve une absence de différentiation myoépithéliale dans les adénomes canaliculaires [9] [11].

Diagnostic différentiel : L’adénome à cellules basales et le carcinome adénoïde kystique adénoïde sont les principaux diagnostics différentiels. La distinction entre l'adénome canaliculaire et l'adénome à cellules basales a peu de signification thérapeutique, mais la confusion avec le carcinome adénoïde kystique a des implications pronostiques et thérapeutiques importantes.

La présence des foyers des cellules basaloides dans quelques adénomes canaliculaire est la raison pour laquelle que certains auteurs considèrent comme étant l'adénome canaliculaire une variante de l’adénome à cellules basales [8] [9] [11] [12]. A l’exception de rares cas, les tumeurs composées de cellules cylindriques et les canalicules semblent limités aux glandes salivaires mineures, principalement la lèvre supérieure. On n'observe pas des foyers de ces cellules cylindriques et des canalicules dans des adénomes à cellules basales de la glande parotide, qui est le site de prédilection de ce type de tumeur.

L’aspect histologique est si caractéristique et uniques qu'il semble préférable d'identifier l'adénome canaliculaire séparément. En pratique, cette distinction entre les deux groupes de tumeurs est insoluble actuellement et relativement sans impact pronostique. L'adénome canaliculaire est fréquemment identifié comme un modèle tubulotrabeculaire de l’adénome à cellules basales. Cependant, ce dernier de type tubulotrabeculaire ne contiennent pas des canalicules et des cellules cylindriques qui sont caractéristiques de l'adénome canaliculaire [8] [11] [12].

Le carcinome adénoïde kystique (CAK) de type cribriforme et trabéculaire peut être confondu avec l'adénome canaliculaire. Les deux lésions ont souvent constitué des cordons des cellules épithéliales interconnectés. Cependant, le caractère destructif et infiltrant du carcinome adénoïde cystique sont aisément distingués par rapport à l'adénome canaliculaire qui généralement bien encapsulé [11] [12].

Adénome canaliculaire Adénome à cellules basales Cylindrome
épidémiologieAdulte (moy=65ans)Adulte (moyen=58ans)Tout âge (pic : 45-50ans)
siègeLèvre supérieure (Glandes salivaires accessoires)Glande salivaire principale (parotide+++)
  • -Parotide++
  • -Sous maxillaire
architecture
  • -bien limité
  • -Canalicules, cordons branchés
  • -Stroma : lâche
  • -Capillaires : nombreuses
  • -mal limité, infiltrant
  • -Tubes, travées
  • -3 formes :
    • .Cribriforme
    • .Trabéculaire
    • .basaloide
  • -Stroma : dense, hyalinisé
  • -capillaires : rares
Cellules tumorales
  • -Cylindriques hautes
  • -Cytoplasme : amphophile à éosinophile
-basales
  • -Polymorphes
  • -Petites ++
  • -Cytoplasme basophile
Tableau 1. Tableau comparatif entre l’adénome canaliculaire, l’adénome à cellule basale et le carcinome adénoïde kystique canaliculaire..

Les cellules tumorales sont polymorphes avec un cytoplasme basophile et les rangées des cellules cylindriques trouvé dans de l'adénome canaliculaire sont absents dans le CAK, ainsi que les cellules basaloides. Les engainements perinerveux sont habituels dans le CAK, absents dans l’adénome canaliculaire. Le stroma est très dense dans le CAK, avec des fibres de collagène qui entourent typiquement les amas des cellules carcinomateuses. Les capillaires sanguins sont généralement absents [2] [5] [11] [12] (Tableau 1).

Pronostic et traitement : Le pronostic est excellent. Les récidives sont rares, elles surviennent si l’exérèse est incomplète.

Conclusion

L’adénome canaliculaire est une tumeur rare de glandes salivaires accessoires, reconnu actuellement comme une variété morphologique bien distincte.

Références
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ISSN : 2334-1009