Sarcome d’Ewing mésentérique localement avancé : A propos d’un cas et revue de la littérature
B Abou El Jaoud1 (bouchra739 at gmail dot com) #, H Bedoudou1, K Oualla1, A Mai2, Y Alaoui Mrani2, A Mazti3, L Chbani1
1 Département d’oncologie médicale, CHU Hassan II, Fès, Maroc. 2 Département d’anatomie pathologique, CHU Hassan II, Fès, Maroc. 3 Département de radiologie, CHU Hassan II, Fès, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.6.2712
Date
2019-02-02
Citer comme
Research fr 2019;6:2712
Licence
Résumé

Introduction : Les sarcomes d’Ewing mésentériques sont des tumeurs rares. Leur diagnostic repose essentiellement sur des critères histologiques et moléculaires bien définis. Nous présentons le cas clinique d’un sarcome d’Ewing et décrivons les différents aspects cliniques, radiologiques, histologiques et thérapeutiques de cette tumeur rare. Observation : Il s’agissait d’une patiente âgée de 24 ans, sans antécédent pathologique notable, qui avait consulté pour une énorme masse abdominale évoluant dans un contexte d’altération de l’état général. L’exploration radiologique par tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne avait objectivé une volumineuse masse abdominale vascularisée en périphérie, évoquant en premier lieu un sarcome. La patiente avait eu une exérèse large de la masse. L’examen anatomopathologique avec immunohistochimie avait confirmé le diagnostic de sacrome d’Ewing mésentérique. Elle avait refusé le traitement adjuvant vu son désir de grossesse. L’évolution clinico-radiologique était favorable avec un recul de 30 mois. Conclusion : Ce type de tumeur s’accompagne d’un pronostic sombre le plus souvent. L’importance de la prise en charge chirurgicale précoce est à souligner vu qu’elle conditionne le pronostic et l’évolution de la maladie.

English Abstract

Introduction: Mesenteric Ewing sarcomas are rare tumors. Their diagnosis is essentially based on well-defined histological and molecular criteria. We present a case of Ewing sarcoma and describe clinical, radiological, histological and therapeutic features of this rare tumor. Case: A 24-year-old female patient, with no medical history, presented an enormous abdominal mass with the deterioration of the general status. Radiographic exploration by thoraco-abdominopelvic CT showed a large abdominal mass vascularized peripherally. The patient had a large resection and refused adjuvant treatment due to her desire for pregnancy. Pathological examination with immunohistochemistry confirmed the diagnosis of mesenteric Ewing sarcoma. The clinico-radiological outcome was favorable with 30 months’ follow-up. Conclusion: Ewing sarcoma has most often a poor prognosis. The importance of early surgical management should be emphasized as it determines the prognosis and progression of the disease.

Introduction

Le sarcome d’Ewing (SE) ou tumeur neuro-ectodermique primitive (PNET) est une tumeur à haut grade de malignité, affectant surtout le sujet jeune. La localisation mésentérique reste extrêmement rare. Ce groupe de tumeurs, et malgré leurs chimio et radiosensibilité reste de pronostic sombre avec des critères histo-pathologiques et moléculaires particuliers [1]. Il n’existe pas d’étude randomisée ou de série publiée dans la littérature traitant les PNET mésentériques vu leur rareté.

Sarcome d’Ewing mésentérique localement avancé : A propos d’un cas et revue de la littérature Figure 1
Figure 1. Tomodensitométrie abdomino-pelvienne. a- Coupe axiale. b- Après reconstruction : Enorme masse rétro-péritonéale spontanément hypodense nécrosée au centre se rehaussant en périphérie après injection du produit de contraste. c- Coupe frontale.
Observation

Il s’agissait d’une patiente âgée de 24 ans, sans antécédent pathologique personnel ou familial. Le début de la symptomatologie remontait à un an avant son admission, par l’apparition d’une masse abdominale augmentant progressivement de volume, négligée par la patiente évoluant dans un contexte d’amaigrissement non chiffré et d’altération de l’état général sans autre signe digestif associé.

L’examen clinique initial retrouvait une patiente OMS 1, avec une énorme masse para-ombilicale latéralisée à gauche, de consistance dure, bien limitée avec des contours réguliers, mobiles aux deux plans superficiel et profond faisant 15x10 cm de grand axe.

Une tomodensitométrie TAP de base line objectivait une volumineuse masse abdominale médiane et paramédiane spontanément hypo-dense nécrosée au centre se rehaussant en périphérie après injection de produit de contraste très probablement à point de départ rétro-péritonéal évoquant en premier un sarcome. Avec absence d’autres anomalies décelables (Figure 1). Une scintigraphie osseuse était sans anomalies.

La patiente avait bénéficié d’une laparotomie médiane, avec à l’exploration : Une énorme masse tissulaire rétro-péritonéale adhérait au mésentère et au côlon gauche, sans liseré de séparation, et venait au contact (sans envahissement) de la veine rénale gauche, de l’aorte abdominale et de la veine cave inférieure. Elle refoulait le rein gauche. Un liseré de séparation était bien visible. Le geste avait consisté en une résection de la masse en monobloc avec une hémi-colectomie gauche (sans survenue d’épisode hémorragique ou de rupture vasculaire) et une anastomose colo-colique latéro-latérale à la pince mécanique. La patiente avait ensuite séjourné en réanimation pendant 24 heures. Les suites post-opératoires étaient simples.

L’étude anatomopathologique de la pièce opératoire avait objectivé macroscopiquement une masse de 16x16 cm, séparée de la résection colique par du méso de 3 cm. A la coupe on trouve un contenu friable hétérogène avec des zones blanchâtres, hémorragiques et d’autres nécrotiques.

Sarcome d’Ewing mésentérique localement avancé : A propos d’un cas et revue de la littérature Figure 2
Figure 2. Aspect histologique de la masse réséquée : Microscopie (HESX250) : Présence de cellules de petites tailles de forme ovoides, dotées d’un noyau augmenté de taille, à chromatine fine avec cytoplasme peu abondant.

L’aspect histologique est celui d’une prolifération tumorale bien encapsulée en périphérie par une coque fibreuse d’architecture diffuse avec des cellules tumorales rondes, de taille petite à moyenne, bleutées avec parfois un aspect épithéloides. Les cellules étaient dotées d’un noyau augmenté de taille, à chromatine fine, faiblement nucléolé et il y’avait également des foyers de nécrose tumorale avec une vascularisation non spécifique. Pour le nombre de mitoses, il est estimé à 9/10 CFG. Cette prolifération n’infiltrait pas la paroi colique. Les limites de résection chirurgicale étaient saines avec 6 ganglions indemnes de prolifération tumorale (6N-/6N) (Figure 2).

L’étude immuno-histochimique (IHC) était positive pour le CD99 avec un marquage diffus membranaire. Par contre les CK, CD 20, CD117, Dog 1, desmine, synaptophysine, chromogranine et anticorps anti CD3 étaient tous négatifs. L’aspect histologique et IHC avait conclu à un sarcome d’Ewing mésentérique (Figure 3).

Sarcome d’Ewing mésentérique localement avancé : A propos d’un cas et revue de la littérature Figure 3
Figure 3. Immunohistochimie : Les cellules tumorales expriment de façon intense le CD99 avec un marquage membranaire diffus.

L’étude Fish à la recherche de la translocation (t11, 22) était revenue négative.

Le scanner abdominal post opératoire était sans anomalies (Figure 4), et la patiente avait refusé tout type de chimiothérapie vu son désire de grossesse.

Sarcome d’Ewing mésentérique localement avancé : A propos d’un cas et revue de la littérature Figure 4
Figure 4. Coupe axiale du scanner de contrôle, 30 mois après la chirurgie.

L’évolution clinico-radiologique était favorable avec un recul de 30 mois.

Discussion

Les sarcomes d’Ewing ou tumeurs neuro-ectodermiques primitives (PNET) sont rares. C’est une maladie de l’adulte jeune avec une médiane d’âge de 28 ans (4-69 ans) et une prédominance masculine. Ce sont des tumeurs dites à petites cellules rondes, localisées essentiellement au niveau osseux et exceptionnellement au niveau viscéral [1].

Les sarcomes d’Ewing des tissus mous, sont de profil agressif, avec une tendance à la récidive après la résection et un pouvoir de dissémination hématogène précoce, principalement au poumon, os et moelle osseuse [2].

Les localisations les plus fréquemment décrites sont thoraciques (44 %), abdomino-pelviennes (26 %), des extrémités (20 %), tête et cou (6 %). Exceptionnellement, ont été décrites des PNET pulmonaires et gynéco-urinaires [3].

Les sarcomes d’Ewing rétro-péritonéaux ont aussi été décrits dans la littérature [4, 5], avec un cas de primitif méso-colique [6], un autre mésentérique métastatique au niveau hépatique [7].

La symptomatologie clinique des sarcomes d’Ewing reste non spécifique et peu détaillée dans la littérature vue l’hétérogénéité des symptômes. Ces manifestations cliniques dépendent donc essentiellement de la localisation de la tumeur et son extension aux organes de voisinages. Dans 95% des cas, ces tumeurs sont révélées par une douleur permanente ou intermittente, pouvant être localisée ou non au site primitif.La palpation de la masse témoigne du caractère avancé de la maladie. Des signes généraux peuvent aussi être retrouvés (asthénie, amaigrissement, anorexie, fièvre…) [8].

Le diagnostic histologique par biopsie, quelque soit son type, est indispensable

et constitue un préalable avant de poursuivre le traitement et notamment, avant d’envisager tout geste chirurgical d’exérèse. Le fragment biopsique doit

être large (2 à 3cm) et doit contenir du tissu tumoral viable et pas uniquement

de la nécrose tumorale [9].

L’aspect radiologique des SE extra-squelettique est non spécifique. Ces tumeurs se présentent sous forme d’une masse le plus souvent hypodense en tomodensitométrie (hypo-échogène en échographie) par rapport aux structures musculaires, bien limitée, avec aspect de pseudo capsule, multilobée, de taille variable et le plus souvent hyper-vascularisée après injection de produit de contraste.

Histologiquement, le sarcome d’Ewing est composé de petites cellules rondes avec un rapport nucléo-cytoplasmique élevé et un cytoplasme faiblement éosinophile.il appartient au groupe de petites tumeurs rondes, à cellules bleues (neuroblastome, le rhabdomyosarcome alvéolaire et lymphome lymphoblastique) [2, 10].

Il est toujours recommandé de réaliser une analyse immuno-histochimique avec un large panel comprenant CD99, (FLI) -1, vimentine, énolase spécifique de neurone (NSE), PS-100 et CK; à fin de confirmer le diagnostic de ces entités uniques [11].

De plus, CD99 est presque surexprimée par toutes les tumeurs PNET, avec une incidence d'environ 99%, mais ceci n'est pas spécifique à SE / PNET [1].

Cette famille de tumeurs est caractérisée par une translocation t (11 ; 22)(q24; q12) qui est quasi constante (90% des cas).Cette translocation est responsable de la fusion du gène EWS avec l’homologue humain FLI1de la souris formant ainsi un gène de fusion EWS-FLI1. L’impact pronostic de cette signature moléculaire reste toujours incertain. L’hypothèse serait que les patients porteurs de cette translocation auraient un pronostic meilleur vu que leurs tumeurs évoluent moins rapidement [12, 13].

La rareté de la maladie et son caractère évolutif rapide impose la discussion de chaque cas de SE des tissus mous dans un staff multidisciplinaire pour tracer une stratégie thérapeutique adéquate visant à retarder la rechute ou la progression de la maladie.

Il n’existe pas de consensus établi pour la prise en charge des SE des tissus mous vu la rareté de ces tumeurs. Cependant, la chirurgie (avec des marges saines : résection R0) reste le traitement de référence des STM viscéraux. Il existe plusieurs type d’exérèse chirurgicale :

  • - Exérèse large : Elle doit emporter la masse en monobloc sans effraction tumorale, sans voir la masse entourée de tissu sain devant inclure le fascia sous jacent.
  • - Exérèse extra-compartimentale : C’est une intervention mutilante, visant à enlever la totalité du compartiment avec ses structures anatomiques limitantes et la totalité du contenu.
  • - Exérèse intra-capsulaire : Se fait par fragmentation de la masse et représente une indication formelle à la reprise chirurgicale car les taux de rechute loco-régionale sont importants.
  • - Exérèse marginale ou énucléation : Ablation de la tumeur sans tissu sain avoisinant.

Donc le standard de la prise en charge chirurgicale vise une exérèse large de la tumeur en monobloc passant à distance de la pseudo-capsule tumorale pour éviter une effraction capsulaire et dissémination tumorale. Les sacrifices viscéraux se font au cas par cas. Les organes le plus souvent réséqués sont le rein, le colon, le grêle, le pancréas et la rate [14].

La radiothérapie adjuvante diminue l’incidence des récidives locales sans modifier la survie des patients et ne pallie pas une chirurgie inadaptée.Le primitif rétro péritonéal limite la zone d’irradiation vu la proximité des organes et vaisseaux radio-sensibles [14].

Pour le traitement systémique, les SE des tissus mous sont traités de la même façon que les sarcomes d’Ewing osseux et donc selon l’étude EURO EWING 99 : Une poly-chimiothérapie néo-adjuvante serait administrée avant la chirurgie et poursuivie après le control local. Mais aucune étude randomisée n’a étudié les sarcomes d’Ewing rétro péritonéaux de façon spécifique [15].

C’est une pathologie qui reste de mauvais pronostic avec un taux de rechute locale après chirurgie de 50% à 5 ans. Pour notre patiente on est actuellement à 30 mois de bon control après l’acte chirurgical.

Les facteurs pronostic les plus validés sont la qualité de la première exérèse chirurgicale, la taille tumorale, le type et grading histologique [16].

Dans plus de 90% des sarcomes des tissus mous de l'adulte, le grade histologique représente le meilleur facteur prédictif d'une évolution métastatique et de la survie globale. Il existe plusieurs types de grading à titre d’exemple celui de la Fédération nationale des centres de lutte contre le cancer. Il permet de séparer les tumeurs de bon pronostic (grade 1) de celles de mauvais pronostic (grade 3). La survie sans métastases à cinq ans est de 90%, de 71% et de 43% pour les grades 1, 2 et 3 [17]. Notre patiente n’avait pas de facteur de mauvais pronostic à part la taille tumorale importante.

Conclusion

Le sarcome d’Ewing mésentérique est une entité clinico-pathologique extrêmement rare. Son évolution dépendra essentiellement de la prise en charge initiale, d’où l’intérêt d’une chirurgie carcinologique ainsi qu’une approche multidisciplinaire.

Références
  1. Angel J, Alfred A, Sakhuja A, Sells R, Zechlinski J. Ewing's sarcoma of the kidney. Int J Clin Oncol. 2010;15:314-8 pubmed publisher
  2. Riggi N, Stamenkovic I. The Biology of Ewing sarcoma. Cancer Lett. 2007;254:1-10 pubmed
  3. In: Weiss SW, Goldblum JR. Enzinger and Weiss's soft tissue tumor. MOSBY 2001 ; 1289-1308. NLM ID: 101092477.
  4. Adair A, Harris S, Coppen M, Hurley P. Extraskeletal Ewings sarcoma of the small bowel: case report and literature review. J R Coll Surg Edinb. 2001;46:372-4 pubmed
  5. Shek T, Chan G, Khong P, Chung L, Cheung A. Ewing sarcoma of the small intestine. J Pediatr Hematol Oncol. 2001;23:530-2 pubmed
  6. Maisonnette F, Roux E, Abita T, Martin S, Pommepuy I, Durand Fontanier S, et al. [Ewing sarcoma of the mesocolon]. Gastroenterol Clin Biol. 2007;31:552-4 pubmed
  7. Kamaoui I, Maaroufi M, Chbani L, Laalim S, Tizniti S. [Peripheral PNET of mesenteric location]. Pan Afr Med J. 2014;18:180 pubmed publisher
  8. Asker S, Sayir F, Bulut G, Sunnetcioglu A, Ekin S, Yavuz A. Primitive neuroectodermal tumor/ewing sarcoma presenting with pulmonary nodular lesions. Case Rep Oncol Med. 2015;2015:957239 pubmed publisher
  9. El Andaloussi Y, Hachimi K, Fnini S, Largab A. Sarcome d'Ewing des parties molles. A propos de trois cas et revue de la littérature. Oncologie 2007;9:310-312. Disponible à partir du: link.springer.com/article/10.1007/s10269-007-0627-z
  10. Renard C, Ranchère Vince D. [Ewing/PNET sarcoma family of tumors: towards a new paradigm?]. Ann Pathol. 2015;35:86-97 pubmed publisher
  11. Jimenez R, Folpe A, Lapham R, Ro J, O Shea P, Weiss S, et al. Primary Ewing's sarcoma/primitive neuroectodermal tumor of the kidney: a clinicopathologic and immunohistochemical analysis of 11 cases. Am J Surg Pathol. 2002;26:320-7 pubmed
  12. O Sullivan M, Perlman E, Furman J, Humphrey P, Dehner L, Pfeifer J. Visceral primitive peripheral neuroectodermal tumors: a clinicopathologic and molecular study. Hum Pathol. 2001;32:1109-15 pubmed
  13. Yoon J, Kwon M, Park H, Park S, Lim K, Joo J, et al. A study of docetaxel and irinotecan in children and young adults with recurrent or refractory Ewing sarcoma family of tumors. BMC Cancer. 2014;14:622 pubmed publisher
  14. Avances C, Rigaud J, Bui B, Camparo P, Culine S, Durand X, et al. [Retroperitoneal sarcoma: contribution to the repository CCAFU INCA.]. Prog Urol. 2010;20 Suppl 4:S290-6 pubmed publisher
  15. Mukkunda R, Venkitaraman R, Thway K, Min T, Fisher C, Horwich A, et al. Primary Adult Renal Ewing's Sarcoma: A Rare Entity. Sarcoma. 2009;2009:504654 pubmed publisher
  16. Bonvalot S, Rivoire M, Castaing M, Stoeckle E, Le Cesne A, Blay J, et al. Primary retroperitoneal sarcomas: a multivariate analysis of surgical factors associated with local control. J Clin Oncol. 2009;27:31-7 pubmed publisher
  17. Coindre J, Terrier P, Guillou L, Le Doussal V, Collin F, Ranchere D, et al. Predictive value of grade for metastasis development in the main histologic types of adult soft tissue sarcomas: a study of 1240 patients from the French Federation of Cancer Centers Sarcoma Group. Cancer. 2001;91:1914-26 pubmed
ISSN : 2334-1009