Les syndromes paranéoplasiques associés au cancer du nasopharynx
Chiraz Halwani1, 2 (chirazhalwani at yahoo dot fr) #, Imène Zoghlami1, 3, Najeh Boussetta2, 4, Cyrine Zgolli1, 2, Khémaies Akkari1, 2, Rania BenMhamed1, 2, Salem Bouomrani5, 6
1 Service d’ORL, Hôpital Militaire Principal d’Instruction de Tunis, Tunisie. 2 Faculté de Médecine de Tunis, Université de Tunis Al Manar, Tunisie. 3 Faculté de Médecine de Tunis, Université de Tunis Al Manar, Tunisie, . 4 Service de médecine interne, Hôpital Militaire Principal d’Instruction de Tunis, Tunisie. 5 Service de médecine interne, Hôpital Militaire de Gabès, Tunisie. 6 Faculté de Médecine de Sfax, Université de Sfax, Tunisie
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.4.2406
Date
2017-12-22
Citer comme
Research fr 2017;4:2406
Licence
Résumé

Introduction : Les effets de l’association d’un carcinome nasopharyngé à un syndrome paranéoplasique peuvent être aussi graves que les conséquences du cancer en lui-même. A travers ce travail, nous proposons d’étayer la clinique des syndromes les plus fréquents et d’en décrire les principaux moyens de diagnostic et de traitement. Observations : Nous rapportons deux observations de patients ayant été traités d’un carcinome indifférencié de type nasopharyngé dans notre service. Pour le premier, la dermatomyosite paranéoplasique a révélé le diagnostic de cancer et l’évolution été favorable après traitement. Le deuxième avait des métastases hépatiques et osseuses découvertes d’emblée. Il a présenté en cours d’évolution une fièvre paranéoplasique et avait reçu un traitement à visée palliative. Conclusion : La reconnaissance des syndromes paranéoplasiques a une grande importance pour permettre un diagnostic précoce. Des études sont nécessaires dans l’avenir afin de mieux étayer leurs mécanismes étiopathogéniques qui restent à nos jours non bien élucidés.

English Abstract

Introduction: The effects of the combination of nasopharyngeal carcinoma and paraneoplastic syndrome can be as serious as the consequences of cancer itself. We report two cases of this rare condition and describe the main means of diagnosis and treatment. Cases: We report two cases of patients who have been treated with undifferentiated nasopharyngeal carcinoma in our department. For the first one, paraneoplastic dermatomyositis revealed the diagnosis of cancer and the evolution was favorable after treatment. The second had hepatic and bone metastases discovered immediately. The patient presented then a paraneoplastic fever and had received palliative treatment. Conclusion: It is important to recognize paraneoplastic syndromes for early diagnosis. Studies are needed in the future to better understanding of their aetiopathogenic mechanisms.

Introduction

Le carcinome nasopharyngé est un cancer fréquent en Tunisie. L’association à un syndrome paranéoplasique est peu fréquente, mais ses effets peuvent être aussi graves que les conséquences du cancer en lui-même. Son incidence exacte n'est pas bien connue, elle est sûrement sous-estimée, de nombreux cas seraient non publiés ou non diagnostiqués [1]. Ces syndromes peuvent précéder le cancer et en être révélateurs ou se développer en parallèle, ou suivre ses manifestations pouvant être ainsi utile dans le monitorage du cancer primitif. Leur évaluation clinique doit se faire par une équipe coordonnée de médecins, otorhinolaryngologistes, oncologues, internistes, endocrinologues, hématologues et neurologues. Cet article est une vue d'ensemble des syndromes paranéoplasiques qui peuvent s’associer aux carcinomes nasopharyngés dans lequel nous proposons d’étayer la clinique des syndromes les plus fréquents et d’en décrire les principaux moyens de diagnostic et de traitement.

Les syndromes paranéoplasiques associés au cancer du nasopharynx Figure 1
Figure 1. Erythème en Lila du visage.
Observations
Observation 1

Un patient âgé de 41 ans, sans antécédents pathologiques, qui a consulté pour un érythème facial évoluant depuis 6 mois (Figure 1) qui s’associait à une douleur des articulations inter phalangiennes proximales, une faiblesse musculaire, une obstruction nasale unilatérale persistante avec des otalgies homolatérales. L’examen a objectivé une otite séromuqueuse droite et une tumeur du nasopharynx au dépend de la paroi postéro-latérale droite avec adénopathie spinale de 2 cm de grand axe. Le diagnostic clinique de dermatomyosite était fait. Une élévation des enzymes musculaires (créatinine phospho-kinase : CPK et lactico-déshydrogénases : LDH) était notée aux examens biologiques. Le scanner du nasopharynx a montré un épaississement de sa paroi postéro-latérale droite. Le patient a eu une biopsie du cavum. A l’examen anatomopathologique l’aspect était celui d’un carcinome indifférencié de type nasopharyngé. Après bilan, la tumeur était classée T2N1M0 (Figure 2) selon la classification TNM 2017. Le patient était traité par une radio-chimiothérapie, précédée par une corticothérapie de 15 jours. L’évolution était favorable, avec régression marquée de la dermatomyosite (Figure 3) et absence de récidive tumorale ou ganglionnaire, le patient est suivi depuis 4 ans.

Les syndromes paranéoplasiques associés au cancer du nasopharynx Figure 2
Figure 2. Tumeur de la paroi postéro latérale du cavum.
Observation 2

Il s’agit d’un patient âgé de 82 ans, hypertendu sous traitement, qui a consulté pour une épistaxis unilatérale récidivante. L’examen oto-rhino-laryngologique (ORL) a noté des polyadénopathies cervicales et l’endoscopie nasale a trouvé une tumeur du cavum avec saignement au contact. La biopsie a conclu à un carcinome indifférencié de type nasopharyngé. Le bilan a fait classer la tumeur T4N1M1 (métastases osseuses et hépatique). En cours d’évolution, apparition d’une fièvre supérieure à 38° pendant une semaine. L’examen physique complet n’a pas trouvé de foyer infectieux évident. Le bilan biologique était sans anomalies notables. Des hémocultures répétées, la radiographie de thorax et l’examen cytobactériologique des urines sont revenu normaux. Il n’y a pas eu de cure de chimiothérapie ni de prise médicamenteuses suspectes avant l’apparition de la fièvre. De même une maladie de système sous-jacente; en particulier une maladie de Horton était éliminée. Le diagnostic de fièvre paranéoplasique a été retenu. Le patient est décédé à domicile.

Les syndromes paranéoplasiques associés au cancer du nasopharynx Figure 3
Figure 3. Régression complète de l’érythème du visage après traitement.
Discussion

On entend par syndromes paranéoplasiques (SPN), l’ensemble des manifestations hétérogènes occasionnées par le développement de cancers et qui ne sont dues ni à leur accroissement local ni à leurs métastases [2]. Leur fréquence, d’après différentes études varie de 2 à 15 % [3, 4]. Leur association avec un cancer ORL est rare, ils peuvent dans certain cas en être le premier symptôme révélant ainsi le diagnostic. Dans la littérature, plus des 260 cas de syndromes paranéoplasiques associés à un carcinome nasopharyngé ont été rapportés [1]. Ces syndromes peuvent varier considérablement du fait de leur complexité et de leur multiplicité. Ils peuvent être divisés en six principaux groupes: dermatologiques, endocriniens, hématologiques, rhumatologiques, neurologiques et oculaires [1, 5]. Leur évolution suit celle du cancer: régressent ou disparaissent avec la régression de la tumeur, et réapparaissent en cas de récidive [1].

Le syndrome rhumatologique est le SPN le plus fréquent. L’exemple démonstratif est l’ostéoarthropathie hypertrophiante de Pierre Marie (OAH) [6], à côté on retrouve les autres rhumatismes inflammatoires paranéoplasiques, les atteintes vasculaires et l’hypercalcémie paranéoplasique. Des cas d’association de carcinome nasopharyngé à une OAH ont été rapportés par plusieurs auteurs. Le plus ancien étant Zornoza en 1977 [7]. Les causes d’OHA restent inconnues, bien que plusieurs hypothèses aient été développées [7-9]. Leur traitement se compose d'une thérapie pour la tumeur sous-jacente et le traitement symptomatique avec les anti-inflammatoires non-stéroïdiens ou des corticostéroïdes.

Pour les syndromes cutanés, la dermatomyosite et la sclérodermie en sont les plus fréquents. L’association dermatomyosite et cancer, chez l'adulte, varie entre 6% et 60% dans la littérature. En Tunisie cette fréquence est de 15,3% [10]. La relation dans le temps entre le début de la dermatomyosite et le diagnostic du cancer est variable. Il peut précéder sa découverte, être découvert en même temps comme le cas de notre première observation, ou après des mois du diagnostic. Sa traduction clinique est proche de celle de la dermatomyosite non paranéoplasique, cependant certains auteurs suggèrent une association avec un cancer en présence de lésions cutanées ulcéro nécrotiques ou vésiculo-bulleuses ou de prurit [10, 11]. Classiquement, le syndrome cutané est inaugural, l’atteinte musculaire retardée est plus sévère, d’aggravation rapide aboutissant à une impotence fonctionnelle sévère. Son traitement rejoint le traitement carcinologique avec un deuxième volet basé sur les corticoïdes ou les immuno-suppresseurs.

Les manifestations endocriniennes sont rares. Elles résultent généralement d'une production ectopique ou inappropriée d'hormones protéiques, de précurseurs d'hormones, ou Hormone-like substances par la tumeur même [12]. Le plus important est le syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique (SIADH). Il est souvent associé aux cancers dans environ 67% des cas, surtout le carcinome à petites cellules du poumon. Les cancers de la tête et du cou n’en sont responsables que de 1,5% des cas [13]. Il peut précéder la présentation du cancer de quelques semaines ou mois. Le traitement consiste en une restriction hydrique suffisante, mais la prudence demande une correction graduelle des troubles électrolytiques [2, 14]. D’autres syndromes peuvent être observés encore plus rares. Tan et al. [15] ont décrit le premier cas de carcinome nasopharyngé initialement présenté par un syndrome de Cushing secondaire à une production ectopique d'hormone adréno-corticotrope (ACTH). Malgré l'absence de tissu neuroendocrinien dans le nasopharynx, il a été démontré que les tumeurs dans cette région semblent être en mesure de sécréter une ACTH biologiquement active [1, 15].

Les syndromes paranéoplasiques hématologiques sont importants à la fois pour le diagnostic et le suivi des patients présentant un cancer du nasopharynx. Ils pourraient également simuler ou évoquer une dissémination métastatique et parfois contre indiquer des possibilités thérapeutiques potentiellement curatives [10]. On en distingue, l’anémie paranéoplasique due à la suppression de l’érythropoïèse par la tumeur. L’érythrocytose peut survenir en raison de la production ectopique d’érythropoïétine, la leucocytose, les réactions leucémoïdes, chez les patients, avec une formule ressemblant à une leucémie, mais dont l’évolution permet de réfuter ce diagnostic et la thrombocytose [16-19].

La fièvre tumorale et les réactions leucémoïdes associées aux carcinomes nasopharyngés sont habituellement observées en cas de métastases, il est le cas pour notre deuxième observation. La fièvre paranéoplasique est définie par une température supérieure à 38 degrés pour une durée plus d’une semaine chez un patient dont le bilan clinique et biologique ne retrouve pas de cause de fièvre. Dans la fièvre paranéoplasique, les médicaments antipyrétiques et les antibiotiques sont généralement inefficaces. Le naproxène, l'indométacine, la chimiothérapie systémique sont efficaces. Ainsi, les métastases systémiques doivent être suspectées chez les patients qui ont un carcinome nasopharyngé et qui ont une fièvre d'origine inconnue [1].

Les syndromes neurologiques n’ont été qu’occasionnellement décrits pour les cancers de la tête et du cou. La dégénérescence cérébelleuse ou dégénérescence du cortex cérébelleux a été rapportée en association avec le cancer du larynx [20, 21]. Baijens et Manni [22] ont rapporté un cas qui a présenté une faiblesse progressive des membres supérieurs et une confusion mentale. Une manifestation clinique de type poliomyélite avec perte neuronale dans les cornes antérieure et postérieure a été diagnostiquée, avec détérioration de la sensibilité des deux pieds. Chan et al. [23] ont signalé un cas de polyneuropathie / polyradiculoneuropathie et myopathie à la suite d'une rechute d'un carcinome du nasopharynx.

Les atteintes oculaires paranéoplasiques sont difficilement distinguées vu la fréquence de ces atteintes au cours du carcinome du nasopharynx. Un mécanisme paranéoplasique est évoqué, particulièrement quand la lésion est isolée. Les syndromes oculaires les plus fréquents sont la rétinopathie associée au cancer (RAC) et la névrite optique [24, 25].

Conclusion

Divers syndromes paranéoplasiques associés aux carcinomes nasopharyngés ont été décrits. Bien que rares, ils méritent d’être étudiés. Leur reconnaissance a parfois une grande importance pour permettre un diagnostic précoce. Des études sont nécessaires dans l’avenir afin de mieux étayer leurs mécanismes étiopathogéniques qui restent à nos jours non bien élucidés et d’aboutir à un traitement adapté et efficace voir même les prévenir.

Déclaration
Conflits d’intérêts

Conflits d’intérêts : Aucun

Considérations éthiques

Le premier patient avait donné son consentement oral et écrit pour la publication de ses données et ses photos.

Références
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ISSN : 2334-1009