Nécrose cutanée sévère et récidivante chez une hémodialysée chronique
Wafaa Arache1, Tarik Marcil2, Mohamed Asseraji1, Driss El kabbaj1
1 Service de Néphrologie, Dialyse et transplantation rénale, Hôpital militaire d’instruction Mohammed V Rabat, Maroc. 2 Service de dermatologie, Hôpital militaire d’instruction Mohammed V Rabat, Maroc
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.5.2551
Date
2018-04-21
Citer comme
Research fr 2018;5:2551
Licence
Résumé

Introduction : L’urémie chronique et les troubles phosphocalciques exposent les hémodialysés à des atteintes cutanées multiples en général nécrotiques, mettant en jeu le pronostic fonctionnel et vital. Nous rapportons le cas d’une hémodialysée ayant une nécrose cutanée récidivante. Observation : Il s’agissait d’une patiente âgée de 61 ans, hémodialysée chronique sur néphropathie diabétique, présentant des lésions nécrotiques de la jambe dont les deux biopsies cutanées n’avaient pas objectivé de calcifications vasculaires. Le traitement a consisté à la réalisation de greffes cutanées et la correction des facteurs étiologiques. Toutefois la patiente a eu une récidive au niveau de la jambe controlatérale. Conclusion : Les nécroses cutanées chez les hémodialysés posent souvent un problème de prise en charge diagnostique et étiologique, qu’il faudrait reconnaitre afin de les traiter le plus précocement possible.

English Abstract

Introduction: chronic uremia and phosphocalcic disorders expose hemodialysis patients to multiple skin disorders, usually necrotic, involving functional and vital prognosis. We report the case of a hemodialysis patient with recurrent cutaneous necrosis. Observation: a 61 years-old female patient with chronic hemodialysis for diabetic nephropathy presented necrotic lesions of the leg. Two skin biopsies did not found vascular calcifications. The treatment was based on cutaneous grafts and the correction of the etiological factors. The patient presented a recurrence in the other leg. Conclusion: cutaneous necroses in hemodialysis patients often pose diagnostic and therapeutic issues. They should be recognized as early as possible.

Introduction

Parmi les complications dermatologiques rares et graves décrites chez les insuffisantes rénales chroniques souvent au stade de dialyse figure l’artériopathie urémiques calcifiantes ou calciphylaxie qui se manifeste par des ulcères nécrotiques très douloureux et extensifs sans tendance à la guérison spontanée et pouvant conduire au décès par ses complications infectieuses et ischémiques et par la fragilité du terrain des patients atteints [1].

Nous rapportons le cas d’une hémodialysée chronique posant un problème de prise en charge d’une lésion nécrotiques récidivante dont l’étude histologique n’a permis de poser le diagnostic formel de calciphylaxie.

Observation

Il s’agissait d’une patiente de 61 ans, aux multiples facteurs de risque cardio-vasculaires : l’âge, une obésité avec un BMI (indice de masse corporelle) à 36 Kg/m2, un diabète déséquilibré depuis 20 ans sous insuline, une hypertension artérielle mal contrôlée sous bétabloquants et antagonistes du système rénine angiotensine, une hypercholestérolémie, hémodialysée chronique trois fois par semaine depuis 10 ans sur néphropathie diabétique par fistule huméro céphalique gauche, avec un bain de dialyse à 1,5mmol/l. La patiente était sous supplémentation calcique (Calcidia* ½ sachet par jour au milieu des repas).

La patiente fait apparaitre sans notion de traumatisme une lésion nécrotique au niveau de la face externe de la jambe gauche très douloureuse et extensive, sans stigmates d’infection, il n’y avait pas de signes d’insuffisance veineuse, les pouls périphériques étaient tous palpés (Figure1).

Le bilan biologique a objectivé un syndrome inflammatoire avec une CRP à 40 mg/l sans hyperleucocytose, une anémie à 9g/dl sous agents stimulants l’érythropoïèse, une hypoalbuminémie à une hypercalcémie modérée à 100 mg/l et une hyperphosphatémie à 60 mg/l avec une hyperparathyroïdie à 6 fois la limite normale supérieure.

Nécrose cutanée sévère et récidivante chez une hémodialysée chronique Figure 1
Figure 1. Aspect de la nécrose cutanée de notre patiente

Les radiographies standards des membres supérieurs et inférieurs ont mis en évidence des signes de médiacalcose diffuse. Les dopplers artériels et veineux étaient normaux. Le bilan immunologique à la recherche d’une cryoglobulinémie ou d’une maladie de système est revenue sans anomalies.

La prise en charge initiale a consisté en la réalisation de soins quotidiens afin d’éviter les surinfections, le recours aux traitements morphiniques était nécessaire devant l’intensité de la douleur, une transfusion sanguine pour une meilleure oxygénation tissulaire, les apports calciques ont été arrêtés et un chélateur du phosphore débuté, un régime alimentaire pauvre en calcium et en phosphore, toutefois la dialyse avec des bains pauvres en calcium n’a pas été disponible au service.

L’oxygénation hyperbare a été proposée en association avec les autres thérapeutiques mais elle n’a pas été supportée par la patiente en raison d’une hypertension mal contrôlée même sous traitement médicamenteux en raison d’une prise de poids interdialytique importante.

Nécrose cutanée sévère et récidivante chez une hémodialysée chronique Figure 2
Figure 2. Evolution de la lésion nécrotique de notre patiente

Devant l’absence d’amélioration, une biopsie cutanée a été faite, revenue en faveur d’une lésion nécrotique non spécifique sans thrombose ni calcifications vasculaires, une greffe cutanée est donc réalisée avec bonne évolution clinique (Figure 2).

Six mois après, la patiente fait apparaitre une autre lésion au niveau de la face interne de la jambe controlatérale, très douloureuse et extensive, une deuxième biopsie objective un infiltrat inflammatoire à prédominance de polymorphonucléaires, s’étendant en profondeur dans l’hypoderme, avec des zones abcédées et des lésions de vascularites, fortement évocateur de Pyoderma gangrenosum. Devant les signes d’infection, la patiente est mise au début sous antibiothérapie par voie orale, et après normalisation des paramètres locaux et infectieux

(Baisse de la CRP et de l’hyperleucocytose), une corticothérapie (0,5mg/Kg/ jour) par voie orale était administrée pendant un mois et demi sans grande amélioration clinique, l’arrêt du traitement a été donc décidé devant un déséquilibre diabétique important. Malgré un début de bourgeonnement spontanée et à visée antalgique, une greffe cutanée est donc réalisée avec une bonne évolution.

Discussion

Malgré la discordance entre les données clinico-biologiques et histologiques chez notre patiente, le diagnostic de calciphylaxie (CPX) n’a pas été complètement écarté compte tenu des données anamnestiques et des perturbations phosphocalciques ,la CPX correspond à la calcification puis la thrombose des vaisseaux de la peau de petit et de moyen calibre, provoquant une ischémie sévère des tissus, responsable lésions ulceronécrotiques bilatérales et étendues. La physiopathologie reste inconnue, les molécules et facteurs receptor activator of nuclear factor-kB (RANK), RANK Ligand et ostéoprotegerin intervenant dans la formation et la résorption osseuse, jouerait un rôle important dans la régulation de la minéralisation extra osseuse et pourrait intervenir dans la calciphylaxie [2].

Le diagnostic positif de la CPX repose essentiellement sur un faisceau de critères cliniques et biologiques résumés dans le tableau 1 [3].

Le diagnostic différentiel comporte les nécroses cutanées des doses de charge des AVK, des déficits en protéine C et S, du facteur V de Leiden, des héparines avec thrombopénie mais aussi les angiodermites nécrotiques favorisées par l’HTA et l’artérite, les emboles de cholestérol, le syndrome des anti-phospholipides, les lésions d’artérite chroniques et de neuropathie diabétique, les artérites inflammatoires, certaines tumeurs comme le Kaposi ou un érythème noueux.

Critères diagnostiques de la calciphylaxie

  • Facteurs de risques :
    • Terrain vasculaire (artérite)
    • Obésité
    • Sexe féminin
    • Anti vitamine K
    • Troubles du métabolisme minéral et osseux
    • Episodes d’hypercalcémie
    • Hyperphosphatémie
    • Hyperparathyroïdie
    • Ancienneté en Dialyse
  • Facteurs déclenchants :
    • Choc, hypotension, vasoconstriction
    • Insuffisance cardiaque, infection, hyperviscosité
    • Traumatisme local, compression, injection
    • Troubles de l’hémostase
    • Produit phosphocalcique élevé
  • Symptomatologie clinique :
    • Nodosités graisseuses douloureuses
    • Livedo infiltré et douloureux
    • Ulcérations à tendance nécrotique, caractère bilatéral
  • Exploration paraclinique :
    • Calcifications radiologiques surtout des vaisseaux sous-cutanés

      Biopsie cutanée avec des signes histologiques de thrombose des artérioles et des veinules avec des dépôts de calcium caractéristiques de la media des artères de petit et moyen calibre.

Le traitement doit être rapidement instauré et doit agir sur plusieurs paramètres :

  • Traitement de la douleur par les morphiniques est souvent nécessaire associées à des anesthésiques locaux lors des soins quotidiens.
  • Amélioration de l’oxygénation tissulaire : l’oxygénation hyperbare [4-6], la dialyse quotidienne permet d’optimiser la tolérance hémodynamique des séances et d’éviter les hypotensions artérielles qui sont délétères pour la perfusion tissulaire. L’ajustement de la volémie (poids sec), la réduction de fistules arterioveineuse en hyperdébit, l’ajustement des thérapeutiques cardiotropes, le traitement des troubles du rythme, des valvulopathies ou coronaropathie [3].
  • Correction du bilan phosphocalcique : il convient d’arrêter les dérivés du calcitriol et les chélateurs calciques [7], d’éviter les concentrations du calcium du dialysat supérieurs ou égales à 1,5mmol/l [8], la prescription de cinacalcet [9], ou d’une parathyroïdectomie en cas d’intolérance ou d’échec du cinacalcet [10].
  • L’arrêt des AVK parait indispensable. En cas de nécessité d’une décoagulation, l’héparinothérapie parait moins risquée. L’administration de vitamine K intraveineuse est suggérée par son rôle dans la prévention des calcifications mais reste très empirique [3].
  • Le thiosulfate de sodium intraveineux à la fois chélateur du calcium et antioxydant donne de bons résultat [8, 11, 12]. Il améliore la solubilité des dépôts calciques. Il constitue le traitement de première intention en l’absence d’hyperparathyroïdie [13], la posologie du thiosulfate de sodium en intraveineux est de 25g/1,73m2 après dialyse.
  • Le traitement des ulcérations cutanées peut nécessiter le recours à une antibiothérapie et à des greffes cutanées [5] avec amélioration du bilan nutritionnel afin de favoriser la cicatrisation.

Le pronostic de la calciphylaxie est lié au terrain mais aussi à la zone atteinte, à l’étendue des lésions et également au délai du diagnostic positif et de la rapidité de prise en charge thérapeutique [3].

Conclusion

L’intérêt de cette observation est double : Elle souligne d’une part la difficulté de diagnostic de certitude d’une lésion nécrotique chez l’hémodialysé chronique et d’une part la nécessité d’explorer et de contrôler périodiquement le bilan phosphocalcique chez les sujets dialyses ainsi que les paramètres hémodynamiques et dialytiques.

Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

Références
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ISSN : 2334-1009