Rhabdomyolyse après greffe rénale et pancréatique : à propos d’un cas
N Zemraoui1 (zemraoui dot nadir1 at gmail dot com), O Maoujoud2, M Belarbi1, A Alaaayoud3, D Cantarovich3
1 service Néphrologie-Hémodialyse Hôpital Militaire Marrakech, Maroc. 2 service Néphrologie-Hémodialyse premier Centre Médico Chirurgical, Agadir, Maroc. 3 I.T.U.N (Institut de Transplantation Urologie Néphrologie) Hôpital hôtel Dieu, Nantes, France
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.923
Date
2014-06-29
Citer comme
Research fr 2014;1:923
Licence
Résumé

Les rhabdomyolyses post-opératoires, en général et post-greffe en particulier, représentent une entité bien connue, mais dont l’incidence réelle est mal connue. La physiopathologie n’est pas totalement élucidée. Nous rapportons le cas clinique d’une rhabdomyolyse post-greffe combinée rein-pancréas associée à une insuffisance rénale aigue. Les facteurs ayant pu participer à la genèse de cette complication sont multiples : diabète, obésité, durée de l’intervention et l’utilisation des immunosuppresseurs. La multitude des causes impose leur connaissance afin d’installer toutes les précautions permettant d’éviter cette complication potentiellement mortelle.

English Abstract

Post operative rhabdomyolysis, especially post transplantation rhabdomyolysis, is a well known entity with uncertain incidence and its pathophysiology is not completely understood. We report a rare case of post kidney-pancreas transplant rhabdomyolysis associated with acute renal failure. The possible contributing factors are multiple: diabetes, obesity, duration of surgery and immunosuppressive drugs. It is important to know these factors in order to take all precautions and avoid this potentially fatal complication.

Introduction

La rhabdomyolyse est un syndrome clinico-biologique secondaire à la destruction des fibres musculaires squelettiques dont le contenu est libéré dans le secteur circulant et les liquides extracellulaires. La gravité est variable, allant de l'élévation modérée et isolée de la créatine phosphokinase (CPK) à un tableau mettant rapidement en jeu le pronostic vital par hyperkaliémie, insuffisance rénale aiguë, coagulation intravasculaire disséminée et désordres hydroélectrolytiques majeurs. Si la cause la plus connue est la compression prolongée des membres, les rhabdomyolyses postopératoires sont des entités bien connues surtout en milieux de réanimation où les compressions musculaires prolongées durant les longues interventions sont le facteur le plus souvent incriminé.

Observation

Il s’agissait d’un patient âgé de 40 ans, diabétique insulinodépendant depuis l’âge de 13 ans. Ce diabète était compliqué de rétinopathie, neuropathie, artériopathie et néphropathie au stade terminal. Le patient était hémodialysé depuis 9 ans. Il avait aussi une surcharge pondérale majeure (120 kg pour 1,80 m, BMI= 37,03) et une amputation trans-tibiale des deux jambes suite à une ostéite. Une double greffe rénale et pancréatique a été réalisée. Le donneur était une femme âgée de 28 ans ayant des antécédents d’obésité et décédée suite à un hématome cérébral. L’ischémie froide a duré 15h40 minutes pour le pancréas et environ 18h30 pour le rein. Le patient était à 1 kg de plus que son poids sec habituel en préopératoire selon le protocole habituel du service.

L’intervention a duré 8h durant laquelle le patient a reçu 4400 ml contre 700 ml de pertes. La dose de furosémide utilisée durant l’intervention était faible (120 mg en post-opératoire). Le protocole d’immunosuppresseur utilisé était à base de : Tacrolimus, Mycophenolate mofetil et des corticostéroïdes. L’évolution clinique a été marquée par l’apparition d’une douleur basithoracique avec des CPK élevées. Devant ces éléments une origine cardiaque a été éliminée par la normalité de l’ECG et de la fraction MB des CPK. La troponine était normale. Sur le plan pancréatique, les chiffres glycémiques était correct attestant de la bonne fonctionnalité du greffon. Alors que sur le plan rénal, survenue d’une insuffisance rénale aiguë oligo-anurique avec une hyperkaliémie à 6,3 mEq/l rebelle à un traitement par résine échangeuse d’ions.L’échographie du greffon rénal était sans particularités.Le dosage des immunosuppresseurs était dans les fourchettes habituelles. Les causes classiques d’IRA post-transplantation ont été éliminées. Un dosage de CPK (40 x N) et de myoglobine (1800 UI/l) effectué à J 2 évoquait une rhabdomyolyse.

Le patient fut épuré par des séances quotidiennes de 3h jusqu à J4 avec reprise progressive de la diurèse et diminution progressive des marqueurs de la rhabdomyolyse et amélioration de la fonction rénale.

Discussion

Le terme de rhabdomyolyse se définit comme une désintégration des fibres musculaires striées squelettiques, dont le contenu est libéré dans la circulation générale. Les enzymes musculaires (créatine phosphokinase ou CPK) et la myoglobine sont les principaux composés libérés. Dans le plasma, la myoglobine est habituellement fixée aux protéines ce qui en limite sa diffusion tissulaire et plus particulièrement au niveau rénal. Les rhabdomyolyses survenant dans un contexte chirurgical sont des complications rares.

Les facteurs favorisants les plus fréquents sont le terrain (obésité, alcoolisme, tabagisme, diabète), une fragilité musculaire acquise (inhibiteur de l’HMG-CoA réductase) ou héréditaire (myopathie, hyperthermie maligne). Les rhabdomyolyses post opératoires ont principalement été décrites pour certaines positions peropératoires : position gynécologique, en décubitus latéral [1], en décubitus dorsal dans la chirurgie aortique abdominale [2] [3] ou la chirurgie digestive [4] [5], en particulier chez les obèses. Une forme mineure d’hyperthermie maligne peut être responsable d’une rhabdomyolyse [6] [7]. Cette étiologie doit être systématiquement évoquée, car seule la biopsie musculaire peut faire le diagnostic et permet le dépistage (*). Vu les ATCD chirurgicaux avec l’absence d’anomalie sous anesthésie générale, cette étiologie n’a pas été évoquée et la biopsie musculaire non réalisée.

Le syndrome de perfusion de propofol ou propofol infusion syndrome (PRIS) [8] est une entité clinique rare associant une acidose métabolique avec hyperlactatémie, une rhabdomyolyse [9] [10] et une insuffisance cardiaque. Il est classiquement rapporté en réanimation après une administration de propofol prolongée et à posologie élevée. En ce qui concerne le diabète, les déterminants majeurs de la survenue d’une rhabdomyolyse sont l’hyperglycémie, l’hyperosmolarité et l’hypernatrémie. La rhabdomyolyse est une complication rare après transplantation rénale et est associée de façon significative à la perte de l'allogreffe (y compris le décès), mais l'incidence réelle de cette complication n'est pas connue. La plupart des cas signalés ont été attribués à des interactions médicamenteuses entre les inhibiteurs de la calcineurine et les Statines. Selon Demirbaş [11], la fréquence de rhabdomyolyse ne représente que 0,8% de tous les effets secondaires provoqués par l'inhibiteur de la calcineurine. La rhabdomyolyse est beaucoup plus susceptible de se produire avec la cyclosporine qu’avec le Tacrolimus.

Dans notre cas, les dosages des immunosuppresseurs n’a pas montré de surdosage pouvant expliquer unique de rhabdomyolyse après greffe combinée rein-pancréas. La sommation de l’ensemble des facteurs, favorisant la survenue de cette complication, réuni chez notre patient notamment la longue durée de l’intervention, l’obésité et le diabète dans une ambience de greffe d’organe pourrait expliquer cette rhabdomyolyse. Le diagnostic est porté habituellement sur la symptomatologie clinique et biologique, il sera évoqué devant la présence d’une ou de plusieurs causes de rhabdomyolyse. A noter que l’atteinte musculaire clinique est inconstante alors que l’atteinte musculaire biologique est quasi constante.

L’élévation de la CPK est le seul signe constamment observé. C’est un bon reflet du volume de muscles lésés, ce n’est en revanche pas une bonne prédiction de la survenue d’une IRA, qui dépend de l’association fréquente de plusieurs facteurs étiologiques.

En cas de doute, le recours à l’imagerie peut aider au diagnostic. L’échographie et surtout l’IRM confirment le diagnostic et permettent de mettre en évidence des remaniements morphologiques et de signal de muscles qui sont évocateurs de rhabdomyolyse. Les modifications du signal en mode T1 et T2 reflétant l’inflation hydrique dans le muscle ne sont pas spécifiques. Cependant ce dernier examen a une meilleure sensibilité que l’examen TDM ou à l’échographie dans la détection des muscles anormaux. De plus l’IRM apporte des informations sur l’extension de la rhabdomyolyse au sein des différents compartiments musculaires, pouvant ainsi guider les aponévrotomies. Les mesures préventives concernent tout particulièrement les interventions longues chez le patient diabétique, obèse, alcoolique ou fumeur. Elles associent :

  • - L’arrêt des inhibiteurs de l’HMG-CoA réductase 5 à 7 jours avant l’intervention chez les patients opérés d’une chirurgie majeure. Pour les greffes à partir de donneur cadavérique cette mesure reste impossible vu la non prévisibilité de l’acte chirurgical.
  • - Une installation méticuleuse en évitant les compressions et en limitant la flexion des cuisses sur le bassin et la dorsiflexion,
  • - Le contrôle régulier des territoires cutanés, nerveux et vasculaires
  • - Et le maintien d’une hémodynamique péri opératoire stable.

Une mesure importante dans la prévention de la rhabdomyolyse post-chirurgicale est l’expansion du volume extracellulaire. Celui-ci améliore le flux sanguin rénal, diminue les stimulations vasoconstrictrices et peut potentiellement limiter l’exposition aux agents néphrotoxiques par l’augmentation du flux urinaire.

Conclusion

L’incidence de la rhabdomyolyse péri-opératoire est faible ce qui fait qu’elle reste parfois trop longtemps méconnue. Une bonne connaissance des facteurs favorisants permet de la suspecter, de la rechercher en dosant les enzymes musculaires, d’appliquer des mesures préventives méticuleuses et d’effectuer un traitement adapté précoce prévenant la survenue de l’insuffisance rénale. La coexistence de certain facteurs de risque et d’une chirurgie prolongée (durée> 5 h), comme fut le cas pour notre observation pour cette greffe combinée rein- pancréas, la fera évoqué systématiquement. De la précocité du diagnostic dépend le pronostic du greffon rénal et surtout le pronostic vital parfois. Le traitement curatif est fondé principalement sur la réanimation volémique et la diurèse forcée alcaline. Il est complété par l’épuration extra rénale lorsque l’acidose et l’hyperkaliémie menacent le pronostic vital.

Références
  1. Torres-Villalobos G, Kimura E, Mosqueda J, García-García E, Dominguez-Cherit G, Herrera M. Pressure-induced rhabdomyolysis after bariatric surgery. Obes Surg. 2003;13:297-301 pubmed
  2. Osamura N, Takahashi K, Endo M, Kurumaya H, Shima I. Lumbar paraspinal myonecrosis after abdominal vascular surgery: a case report. Spine (Phila Pa 1976). 2000;25:1852-4 pubmed
  3. Ferreira J, Galle C, Aminian A, Michel P, Guyot S, De Wilde J, et al. Lumbar paraspinal rhabdomyolysis and compartment syndrome after abdominal aortic aneurysm repair. J Vasc Surg. 2003;37:198-201 pubmed
  4. Filis D, Daskalakis M, Askoxylakis I, Metaxari M, Melissas J. Rhabdomyolysis following laparoscopic gastric bypass. Obes Surg. 2005;15:1496-500 pubmed
  5. Stroh C, Hohmann U, Remmler K, Urban H, Meyer F, Lippert H, et al. Rhabdomyolysis after biliopancreatic diversion with duodenal switch. Obes Surg. 2005;15:1347-51 pubmed
  6. Fierobe L, Nivoche Y, Mantz J, Elalaoui Y, Veber B, Desmonts J. Perioperative severe rhabdomyolysis revealing susceptibility to malignant hyperthermia. Anesthesiology. 1998;88:263-5 pubmed
  7. Harwood T, Nelson T. Massive postoperative rhabdomyolysis after uneventful surgery: a case report of subclinical malignant hyperthermia. Anesthesiology. 1998;88:265-8 pubmed
  8. Bray R. Propofol infusion syndrome in children. Paediatr Anaesth. 1998;8:491-9 pubmed
  9. Stelow E, Johari V, Smith S, Crosson J, Apple F. Propofol-associated rhabdomyolysis with cardiac involvement in adults: chemical and anatomic findings. Clin Chem. 2000;46:577-81 pubmed
  10. Zarovnaya E, Jobst B, Harris B. Propofol-associated fatal myocardial failure and rhabdomyolysis in an adult with status epilepticus. Epilepsia. 2007;48:1002-6 pubmed
  11. Demirbas A, Tuncer M, Yavuz A, Gurkan A, Kacar S, Cetinkaya R, et al. Influence of tacrolimus plus mycophenolate mofetil regimens on acute rejection rate and diabetes mellitus development in renal transplant recipients. Transplant Proc. 2004;36:175-7 pubmed
ISSN : 2334-1009