Oncocytome rénal avec implant péritonéal : à propos d’un cas avec revue de littérature
Issam Rharrassi (rharras55 at gmail dot com) #, Adil Boudhas, A Albouzidi
Service d’anatomie pathologique de l’hôpital militaire Mohamed V, Rabat, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.3.1541
Date
2016-06-30
Citer comme
Research fr 2016;3:1541
Licence
Résumé

L’oncocytome rénal est une tumeur bénigne selon la classification de l’organisation mondiale de la santé (OMS). Cependant, plusieurs cas dans la littérature on été rapportés avec des aspects invasifs et parfois même avec des localisations secondaires. Nous rapportons l’observation d’un oncocytome rénal avec implant péritonéal métastatique confirmé par l’étude microscopique et immunohistochimique. En conclusion, l’oncocytome rénal devrait être considéré comme tumeur à malignité incertaine ou atténuée avec possibilité de localisations métastatiques. Il est aussi impératif d’inclure en totalité la tumeur et réaliser un complément immunohistochimique obligatoire pour éliminer une tumeur rénale à cellules éosinophiles en particulier le carcinome chromophobe.

English Abstract

Renal oncocytomas are classified as benign renal neoplasms in the 2004 World Health Organization (WHO) classification of renal tumours. However several cases in the literature have been reported with invasive features and sometimes with metastasis. We report a case of a metastatic renal oncocytoma with peritoneal localization confirmed by microscopic and immunohistochemical study. In conclusion, renal oncocytoma should be considered as having a very low rather than no malignant potential. It’s imperative to include the full tumor and perform an immunohistochemical study to exclude other malignant renal neoplasms especially chromophobe carcinoma.

Introduction

L’oncocytome rénal est une tumeur bénigne ; elle était longtemps considérée comme une tumeur à malignité intermédiaire. Le diagnostic de certitude est histologique, nécessitant des prélèvements multiples et faisant parfois appel aux techniques immunohistochimiques ou cytogénetiques. Nous rapportons une observation d’oncocytome rénal opéré dans notre formation et ayant la particularité d’être associé à un implant péritonéal synchrone d’allure métastatique. A travers une revue de la littérature nous allons essayer de mettre le point sur cette tumeur toujours considérée comme une tumeur bénigne selon l’OMS et la possibilité de donner des métastases à distance.

Oncocytome rénal avec implant péritonéal : à propos d’un cas avec revue de littérature Figure 1
Figure 1. Coloration HE G100 montrant une prolifération tumorale d’aspect oncocytaire avec aspect monomorphe des cellules tumorales
Observation.

Mr A.A., âgé de 64 ans, sans antécédents particuliers, était hospitalisé dans le service d’urologie pour des douleurs lombaires droites isolées. L’examen clinique était normal. L’échographie abdominale mettait en évidence une masse arrondie hyperéchogène assez homogène de 11 cm de grand axe située sur le pôle inférieur du rein droit. Le scanner montrait une tumeur rénale arrondie, de 110mm de diamètre, homogène, de densité moindre que le parenchyme rénal normal, avec une cicatrice centrale en étoile. L’intervention était décidée et une néphrectomie élargie était pratiquée. Les suites postopératoires étaient simples. L’examen macroscopique de la pièce opératoire montrait une masse polaire inférieure bien limitée mesurant 11x10x7 cm qui, à l’ouverture présentait une couleur jaune brunâtre avec une cicatrice centrale de 5 cm et présence de discrets remaniements hémorragiques, la dissection de la graisse péri rénale ne trouve pas de ganglions. L’examen histologique montre une prolifération tumorale assez bien limitée agencée en cordons, en travées et tubes.les cellules tumorales sont pourvues de noyaux monomorphes finement nucléolés et d’un cytoplasme abondant éosinophile et granulaire (Fig1). Le stroma est grêle fibrovasculaire. La tumeur respectait la capsule rénale et la glande surrénale était de morphologie respectée et sans signes d’infiltration tumorale. Les tranches de section des vaisseaux rénaux et urétérale sont saines.

Oncocytome rénal avec implant péritonéal : à propos d’un cas avec revue de littérature Figure 2
Figure 2. IHC : absence d’expression de l’anti CK7

A l’étude immunohistochimique, les cellules tumorales expriment de façon intense et diffuse l’anti EMA (Fig2) ; faiblement et focalement l’anti Vimentine et n’expriment pas les anti CD10 et anti CK7(Fig3).

Oncocytome rénal avec implant péritonéal : à propos d’un cas avec revue de littérature Figure 3
Figure 3. IHC : positivité diffuse de l’anti EMA

L’examen de l’implant péritonéal montrait une infiltration du tissu conjonctivo-adipeux péritonéal par le même processus tumoral décrit au niveau rénal (Fig4). Le diagnostic final établi est celui d’un oncocytome rénal avec localisation péritonéale.

Oncocytome rénal avec implant péritonéal : à propos d’un cas avec revue de littérature Figure 4
Figure 4. Coloration HE G40 montrant l’implant péritonéal
Discussion

L’oncocytome rénal est une tumeur bénigne qui survient en général à l’âge adulte, en moyenne entre 50 et 55 ans, avec une prédominance masculine et un sex-ratio variant de 1,6 à 28. Les signes cliniques de l’oncocytome rénal sont non spécifiques. Les patients symptomatiques représentent 16 à 18% seulement et 66% sont de découverte fortuite lors d’un examen radiologique. D’après la littérature, l’oncocytome représente 5 à 7% des tumeurs du rein. Il a été reconnu comme une tumeur bénigne et séparée des carcinomes rénaux seulement lors de la Conférence de consensus de 1998 [1]. L’oncocytome est une tumeur très caractéristique, macroscopiquement ronde, rouge, brune, compacte, rarement kystique, bien limitée, habituellement sans remaniement hémorragique, ni nécrotique. Il comporte fréquemment une cicatrice centrale qui serait en rapport avec la croissance lente de cette tumeur. Bien que cette dernière ne soit pas spécifique, ce signe est assez évocateur et se retrouve surtout dans les tumeurs de grande taille. La tumeur a une histologie et une architecture très particulières, faites de vastes nappes et travées dans un fond fibromyxoïde, parfois inexistant, parfois abondant et contenant des tubes rénaux résiduels. Les oncocytes sont typiquement des cellules à cytoplasme éosinophile, très riche en mitochondries avec un noyau central rond, régulier et nucléolé, à la chromatine finement répartie et un nucléole bien visible. Il n’existe pas d’inclusion intranucléaire, ni d’aspect chiffonné du noyau. Il existe de nombreuses variantes cytologiques : petites cellules oncoblastiques, foyers de cellules atypiques, noyaux irréguliers, ou architecturales : aspect kystique, pseudopapillaire... Des massifs tumoraux peuvent pénétrer dans le tissu adipeux dans 20 % des cas, ce qui n’en fait pas pour autant un critère péjoratif, de même que l’existence d’images d’emboles et l’extension aux veines rénales [2]. Certains oncocytomes rénaux peuvent être multifocaux (oncocytose) et montrer quelques changements faisant évoquer un éventuel carcinome chromophobe [2, 3]. Notre souci était d’éliminer une éventuelle tumeur hybride comportant à la fois des secteurs typiques d’oncocytome et des secteurs suggestifs d’un carcinome chromophobe, d’où l’intérêt de faire une analyse histologique de l’ensemble de la masse tumorale. Sur l’ensemble des recoupes et prélèvements réalisés l’aspect était identique sans territoires suspects de correspondre à un carcinome chromophobe ou un carcinome à cellules rénales dans sa variante à cellules éosinophiles prédominantes qui peut exister au sein d’un oncocytome [4, 5]. La détermination du stade et du grade ne s’applique pas aux oncocytomes (puisque ce sont des tumeurs bénignes). La coloration de Hale montre une coloration uniquement apicale des cellules, différente de l’aspect microvacuolaire cytoplasmique observé dans les carcinomes à cellules chromophobes (Tableau 1). En immuno-histochimie, l’oncocyte est EMA+ (marquage cytoplasmique granulaire au pôle apical), AE1AE3±, CK7−, CD10±, CD117±, vimentine−. En raison de la grande richesse en mitochondries, des marquages immuno-histochimiques aberrants peuvent être observés (nécessité de bloquer les peroxydases endogènes intracytoplasmiques).la cytokeratine 7 a été rapportée comme étant positive dans le carcinome chromophobe et négative dans l’oncocytome , l’EMA est exprimée à la fois par l’oncocytome et le carcinome chromophobe. Il n’y a le plus souvent pas d’anomalie cytogénétique, mais il a pu être observé une perte du bras court du chromosome 1, ou de l’Y, une translocation du chromosome 11 [3]. Les techniques de biologie moléculaire ont souligné la différence d’expression (protéines de jonctions membranaires) entre oncocytome et carcinome chromophobe [3]. Certaines équipes font actuellement le diagnostic d’oncocytome par une biopsie couplée à l’imagerie, afin de proposer au malade une surveillance plutôt qu’une intervention chirurgicale. Dans une étude rétrospective, Lieber et al. [6] ont colligé 90 tumeurs rénales qui répondaient aux critères de l’oncocytome et proposé un système de grading (tableau 1).

Oncocytome rénal avec implant péritonéal : à propos d’un cas avec revue de littérature Figure 4
Figure 4. Coloration HE G40 montrant l’implant péritonéal

Dans leur série, aucun cas de grade 1 n’a développé de métastase, par contre 28 patients classés grade 2 décèdent à cause de lésions métastatiques, aucun cas classé grade 3 n’a été signalé. Dans une autre étude concernant 113 cas, Fairchild et al [7] on conclu qu’aucune métastase n’a été signalée avec les tumeurs de grade 1 et de ce fait l’oncocytome de grade 1 est considéré comme une lésion précancéreuse, alors que les oncocytomes de grade 2 paraissent plus agressifs et ont une évolution similaire à celle des carcinomes rénaux classiques. Lewi et al [8] dans leur série de 223 tumeurs rénales ont rapporté 22 cas d’oncocytomes dont 11 étaient de grade 1, 4 patients ont développé des métastases et 3 sont décédés. Deux des patients qui ont développé des métastases sont de grade 1 et les deux autres de grade 2, ceci pour dire que les deux grades que ce soit 1 ou 2 sont susceptibles de donner des métastases. Amin et al [9] ont évalué 80 tumeurs parmi 93 et on conclu que l’oncocytome est une tumeur bénigne aux caractères macroscopiques et microscopiques bien distincts et selon eux, parmi les raisons qui pourraient expliquer le comportement agressif de certains oncocytomes serait l’absence de critères standards de diagnostic, le manque d’échantionnage et la possibilité de la survenue concomitante d’un carcinome rénal au sein d’un oncocytome. Le cas rapporté dans cet article présente tous les critères diagnostiques d’un oncocytome sans signes d’invasion de la graisse péri rénale et sans infiltration de la surrénale ou des vaisseaux rénaux, et si on se rapporte au grading déjà souligné sur le tableau 1, on peut classer notre patient grade 1, et en multipliant les prélèvements, aucune composante carcinomateuse n’a été soulignée et particulièrement un carcinome chromophobe. La découverte d’une métastase péritonéale chez notre patient ne semble pas être corrélée au grade puisque on a vu précédemment dans les séries rapportées que les deux grades 1et 2 peuvent développer des métastases. Le patient a été revu en consultation et son bilan d’extension ne montrait pas de localisations secondaires sachant que les métastases surviennent en général tardivement avec un délai de 10 à 14 ans.la néphrectomie semble être le traitement de choix comme dans notre cas et il n’y pas place à la néphrectomie partielle.

Cell atypia Nuclear atypia Mitotic fi gures
grade 1closely packed, regular appearing cellsrounded smooth nuclei0
grade 2more cellular variationirregular nuclei0
grade 3cellular variationsignificant nuclear atypiapossible mitotic figures
Tableau 1. Grading system of renal cell oncocytomas [6].
Conclusion

En conclusion, certains oncocytomes partageant les caractéristiques génétiques ou moléculaires du carcinome chromophobe peuvent expliquer les rares cas avec des aspects histologiques invasifs ou des métastases, bien que la présence de ces caractéristiques n’implique pas forcément un comportement malin. Actuellement avec l’avènement des techniques immunohistochimiques avec un large panel d’anticorps et ultrastructurales, on arrive à classer et différencier l’oncocytome des autres carcinomes rénaux sans pouvoir prédire un potentiel malin. Nous sommes convaincus que l’oncocytome rénal doit être considéré comme ayant un très faible potentiel malin, et soulever à nouveau la question de savoir s’il peut être considéré comme une lésion précancéreuse du carcinome chromophobe. Il est impératif d'analyser la totalité de la tumeur, si possible. La cytoponction ou la biopsie à l’aiguille fine sont des méthodes inappropriées de diagnostic. Ceci implique la coopération entre cliniciens et des pathologistes afin d’apporter les meilleurs soins aux patients. La néphrectomie radicale pourrait être considérée comme le traitement de choix, en particulier chez les patients ayant des petites tumeurs. Par contre la coexistence d’un carcinome à cellules rénales, une invasion de la graisse péri rénale, ou un comportement malin, pourrait indiquer une chirurgie radicale.

Références
  1. Reuter VE, Davis CJ, Moch H. Onkocytoma. In: Eble JN, Sauter G, Epstein JI (eds). World Health organisation classification of tumours: pathology and genetics of tumours of the urinary system and male genital organs. Lyon: IARC Press 2004: 42– 43.
  2. Zhou M, Netto GJ, Epstein JI. Oncocytoma. In: Zhou M, Netto GJ, Epstein JI (eds). Uropathology. Philadelphia: Elsevier Saunders 2012: 267– 269.
  3. Ordonez NG, Rosai J. Chromophobe renal cell carcinoma. Oncocytoma 1195– 1197. In: Rosai J (ed.). Rosai and Ackerman’s surgical pathology I. 10th ed. Mosby Elsevier Inc 2011: 1189– 1191, 1195– 1197.
  4. Hora M, Ouda Z, Hes O et al. Onkocytom ledviny – nador jednoznačně benigni. Ces Urol 2000; 4(2): 30– 32.
  5. Hes O, Michal M, Sulc M, Podhola M, Miculka P, Neubauer L, et al. [Oncocytoma of the kidney--morphologic variation in 102 cases]. Cesk Patol. 2001;37:51-6 pubmed
  6. Lieber M, Tomera K, Farrow G. Renal oncocytoma. J Urol. 1981;125:481-5 pubmed
  7. Fairchild T, Dail D, Brannen G. Renal oncocytoma--bilateral, multifocal. Urology. 1983;22:355-9 pubmed
  8. Lewi H, Alexander C, Fleming S. Renal oncocytoma. Br J Urol. 1986;58:12-5 pubmed
  9. Amin M, Crotty T, Tickoo S, Farrow G. Renal oncocytoma: a reappraisal of morphologic features with clinicopathologic findings in 80 cases. Am J Surg Pathol. 1997;21:1-12 pubmed
ISSN : 2334-1009