Tuberculose primitive du larynx avec extension cutanée : A propos d'un cas
M Hmidi1 (drmounirhmidi at gmail dot com) #, A Elboukhari1, H Aatifi1, N Touiheme1, K Nador1, H Janah2, M Zalagh1
1 Service ORL et chirurgie cervico-faciale, Hôpital Militaire Moulay Ismaïl, BP S15, 50000 Meknès VN, Maroc. 2 Service de Pneumologie Hôpital Militaire Moulay Ismaïl, BP S15, 50000 Meknès VN, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.6.2676
Date
2019-01-20
Citer comme
Research fr 2019;6:2676
Licence
Résumé

Introduction : La tuberculose isolée du larynx est rare, posant un problème de diagnostic différentiel avec les lésions malignes. Nous présentons un cas inhabituel d’une tuberculose primitive du larynx, de par son mode de révélation et sa présentation clinique. Observation : Il s’agissait d’un patient âgé de 63 ans, sans antécédent particulier, admis pour exploration d’une masse cervicale antérieure. La tomodensitométrie avait objectivé un processus lésionnel des plis vocaux infiltrant les parties molles extra-laryngées avec collection cervicale antérieure. Le diagnostic de tuberculose laryngée a été confirmé par laryngoscopie directe en suspension avec biopsie du larynx, examens histologique et bactériologique. Le traitement médical à base d’antibacillaires bactéricides a été poursuivi pendant 6 mois avec une bonne évolution clinique. Conclusion : Bien qu’étant rare, les praticiens se doivent d’évoquer la tuberculose laryngée devant des signes cliniques et endoscopiques atypiques.

English Abstract

Introduction: Isolated tuberculosis of the larynx is rare. It may be confused with malignant lesions. We present a case of primary tuberculosis of the larynx with an unusual mode of revelation and clinical presentation. Case: A 63-year-old male patient, with no medical history, was admitted for exploration of anterior cervical mass. Computed tomography showed a lesion of vocal folds infiltrating the extra-laryngeal soft tissues with an anterior cervical collection. The diagnosis of laryngeal tuberculosis was confirmed by direct laryngoscopy in suspension with laryngeal biopsy, histological and bacteriological examinations. The patient received medical treatment of bactericidal antibacillaries for six months with good clinical progress. Conclusion: Although laryngeal tuberculosis is rare, practitioners should consider it in the presence of atypical clinical and endoscopic signs.

Introduction

La tuberculose est une maladie infectieuse spécifique causée par une bactérie appartenant au complexe Mycobacterium tuberculosis. Elle sévit de façon endémique et constitue toujours un problème de santé publique au Maroc. Bien que l’atteinte pulmonaire soit de loin la plus fréquente, la localisation laryngée demeure rare et peut emprunter les caractéristiques d’une lésion maligne. Son diagnostic est essentiellement histologique et/ou bactériologique et son traitement médical [1].

Nous rapportons, un cas de tuberculose primaire du larynx révélée par une tuméfaction cervicale prélaryngée avec fistulisation cutanée et une imagerie fortement évocatrice d’une origine carcinomateuse.

Tuberculose primitive du larynx avec extension cutanée : A propos d'un cas  Figure 1
Figure 1. Tuméfaction cervicale médiane d’allure inflammatoire en regard du cartilage thyroïde du larynx.
Observation

Un homme âgé de 63 ans, sans habitudes toxiques, jamais vacciné par le BCG, consultait pour une tuméfaction cervicale médiane augmentant progressivement du volume, évoluant depuis deux mois dans un contexte de dysphonie plus ancienne, d’apyrexie et d’amaigrissement chiffré à 8 kg en trois mois. L’examen physique trouvait une masse cervicale infrahyoïdienne médiane, fluctuante, fistulisée à la peau, masquant les reliefs cartilagineux du larynx, de 4 cm de grand axe, douloureuse à la palpation. La peau en regard était rouge inflammatoire. La fibroscopie laryngée montrait une lésion importante, ulcéro-infiltrante recouverte d’un enduit purulent, grisâtre occupant toute la moitié antérieure de l’étage glottique et débordant légèrement en supra-glottique. La mobilité du pli vocal gauche a été modérément diminuée. Le reste de l’examen clinique était normal notamment celui des aires ganglionnaires.

Tuberculose primitive du larynx avec extension cutanée : A propos d'un cas  Figure 2
Figure 2. Examen tomodensitométrique en coupe axiale : Processus lésionnel de la moitié antérieure du plan glottique envahissant le cartilage thyroïde et les parties molles extra-laryngées avec une collection cervicale antérieure.

La tomodensitométrie (TDM) cervicale identifiait un processus lésionnel de la moitié antérieure du plis vocaux lysant le cartilage thyroïde et infiltrant les parties molles extra-laryngées associé une collection cervicale antérieure (Figure 1). Des adénopathies infra-centimétriques jugulo-carotidiennes bilatérales étaient présentes.

Un drainage de la collection suppurée prélaryngée avec biopsie-exérèse du tissu nécrosé étaient pratiqués suivis de biopsies multiples réalisées lors de la laryngoscopie indirecte en suspension (LDS) (Figure 2). L'examen histologique des fragments biopsiques objectivait la présence d’infiltrats inflammatoires renfermant de nombreux granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires avec nécrose caséeuse sans signes de malignité associé. L’analyse cytobactériologique retrouvait des bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR) confirmant le diagnostic de tuberculose laryngée.

Tuberculose primitive du larynx avec extension cutanée : A propos d'un cas  Figure 3
Figure 3. Image peropératoire du patient : Drainage de la collection suppurée prélaryngée.

La radiographie thoracique ne montrait pas de lésions pulmonaires et l’intradermoréaction (IDR) à 10 UI de tuberculine était positive à 14 mm. Par ailleurs, les recherches de bacille de Koch (BK) par tubage gastrique étaient négatives à l’examen direct, et les cultures sur milieu de Löwenstein-Jensen étaient stériles après 2 mois d’incubation. La sérologie VIH était négative. Le diagnostic de de tuberculose primitive du larynx était alors porté.

Un traitement antibacillaire était instauré conformément au protocole national de la lutte antituberculeuse : une quadrithérapie de 2 mois associant rifampicine, isoniazide, pyrazinamide et éthambutol suivie d’une bithérapie de 4 mois à base de rifampicine et d’isoniazide.

L’évolution a été marquée par une amélioration clinique avec assèchement de la suppuration et régression des lésions vers la fin des 2 premiers mois du traitement. Le recul était de 20 mois, sans récidive constatée.

Discussion

Au cours de ces trois dernières décennies, l’incidence de la tuberculose connaît une augmentation même dans les pays occidentaux, jusque-là exemptés. Cette recrudescence peut être expliquée en partie par l’émergence du syndrome d’immunodéficience acquise (sida) et par l’apparition des souches bacillaires multirésistantes [1]. La tuberculose laryngée (TL) est rare même en zone d’endémie, cependant elle continue à être décrite : dans une étude récente, Kurokawa et al. ont cité 17 cas de TL [2]. Elle fait partie des localisations atypiques de la maladie et sa fréquence ne dépasse pas 1 % de l’ensemble des localisations extra-thoraciques [2]. Rarement primitive, elle est communément attribuée à l’inhalation de particules infectées dans le cadre d’une tuberculose pulmonaire associée, mais peut toutefois être consécutive à une dissémination hématogène et lymphatique à partir d’autres sites [3]. Cette atteinte s’observe à tout âge, mais l’homme semble être plus touché que la femme avec un âge de survenue se situant entre la 4ème et la 6ème décade [2-6]. Elle est favorisée par la malnutrition, le diabète, le sida, le tabagisme et l’alcoolisme [2-6]. Dans notre cas, aucun facteur favorisant n'a pu être identifié.

Cliniquement, le mode de révélation habituel de la TL est le plus souvent une dysphonie progressive, néanmoins l’odynophagie et la dyspnée peuvent parfois être associées [7]. Les signes généraux (altération de l’état général, fièvre, asthénie, amaigrissement) sont souvent absents excepté dans les formes évolutives avec dyspnée et dysphagie. Dans le cas présent, c’est la présence d’une tuméfaction abcédée avec fistulisation cutanée pré-laryngée qui a orienté vers le diagnostic de tuberculose laryngée révélant ainsi un stade avancé et constituant une présentation inhabituelle de nos jours même dans un pays d’endémie comme le nôtre. L’examen du larynx repose essentiellement sur la laryngoscopie directe avec réalisation de biopsies multiples qui restent la clé du diagnostic. L’aspect laryngoscopique est polymorphe et non spécifique. Il peut s'agir, au minimum, d'une simple hyperhémie ou d’œdème, au maximum, d’une lésion ulcérée, ulcéro-infiltrante voire une masse envahissante pseudo-tumorale pouvant faire évoquer à tort une étiologie néoplasique [2, 6, 7]. Les plis vocaux représentent la localisation la plus fréquente suivies par le pli ventriculaire, l’épiglotte, la région infra-glottique et la commissure postérieure [2-6].

Gold standard, la TDM, permet essentiellement une analyse topographique. Elle est peu spécifique au diagnostic positif mais permet dans les formes diffuses, de réaliser un bilan d’extension locorégional et par conséquent, planifier la stratégie thérapeutique [2, 6]. Chez notre patient, la TDM s’avérait indispensable pour apprécier l’infiltration cartilagineuse de la lésion ainsi que son extension vers l’étage infra-glottique.

Le diagnostic de certitude est histologique et/ou microbiologique et ne peut être établi que par l’identification de bacilles tuberculeux dans les prélèvements biopsiques. En effet, le diagnostic bactériologique repose sur l’isolement du BAAR soit à l’examen direct, soit par la mise en culture sur milieux spécifiques. Dans les cas litigieux, on a recours à la polymérase chain réaction (PCR) avec mise en évidence de l’ADN bactérien. En histologie, le diagnostic repose sut la mise en évidence de granulomes épithélioïdes et giganto-cellulaires centrés par de la nécrose caséeuse [4-6].

Dans le but d'éliminer une forme secondaire de tuberculose laryngée, un complément d'investigation est recommandé avant de retenir le diagnostic d'une forme primitive. Le bilan doit comprendre une radiographie thoracique, une fibroscopie bronchique, une recherche de bacilles de Koch dans les crachats ou dans les tubages gastriques ; une intra-dermo-réaction à la tuberculine. Notre patient ne présentait pas de tuberculose pulmonaire (la radiographie thoracique était normale, les recherches de bacille de Koch par tubage gastrique étaient négatives).

Outre les autres lésions granulomateuses (granulomatose de Wegener, sarcoïdose, syphilis leishmaniose), le diagnostic différentiel de la TL se pose principalement avec le cancer du larynx, dont l’aspect endoscopique et même histologique peut être trompeur, d’autant plus que l’éventualité d’une coexistence simultanée entre un carcinome et une et tuberculose reste probable [8, 9].

Le traitement doit être initié au plus vite, et reposera sur une antibiothérapie antituberculeuse : isoniazide, rifampicine, pyrazinamide et streptomycine ou éthambutol pendant 6 à 9 mois en fonction de l’évolution [4-6]. La place de la chirurgie reste restreinte en dehors d’un geste chirurgical à minima comportant un drainage des collections prélaryngées suppurées associé à une excision du tissu nécrosé comme cela était le cas chez notre patient. Elle s’adressera principalement aux formes très dyspnéisantes avec sténose fibreuse séquellaire du larynx [5, 6]. Sitôt le diagnostic posé, l’amélioration des symptômes et l’amendement des lésions sont en général obtenus en quelques mois si le traitement médical instauré est bien conduit [2-6].

Enfin, il faut souligner l’intérêt de QuantiFERON-TB et de T-SPOT-TB (Enzyme Linked ImmunoSpot) dans la stratégie diagnostique et de dépistage de la tuberculose latente [10]. Ces tests reposent sur la détection et la quantification de l’interféron gamma synthétisé par les lymphocytes après une stimulation antigénique par Mycobacterium tuberculosis. Ils permettent d’éliminer les faux positifs de l’IDR, évitant ainsi des traitements inutiles et coûteux ainsi que les effets indésirables des médicaments antituberculeux [10].

Conclusion

La tuberculose laryngée notamment dans sa forme primaire est une affection rare et reste souvent une surprise diagnostique. Elle doit rester présente à l’esprit du praticien du fait de sa similitude clinique, endoscopique et radiologique avec le cancer du larynx. Il faudrait l’évoquer devant toute dysphonie chronique progressive surtout dans un pays à forte endémie de tuberculose. Le diagnostic de certitude est histologique et/ou bactériologique. Le traitement est médical et repose sur l’antibiothérapie antibacillaire, qui, si elle est initiée précocement, permet la guérison et évite des procédés chirurgicaux invasifs.

La vaccination de masse par le BCG, le dépistage des populations à haut risque ainsi que les campagnes de sensibilisations restent les meilleurs moyens pour éradiquer ce fléau en zone d’endémie.

Déclaration
Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts.

Contribution des auteurs

Mounir Hmidi a participé à la prise en charge thérapeutique de la patiente et a rédigé l’article.

Ali Elboukhari, Hicham Janah, Nabil Touiheme, Karim Nador, Hicham Aatifi et Mohammed Zalagh ont participé à la prise en charge thérapeutique du patient et ont contribué à la correction finale de l’article. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

Références
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ISSN : 2334-1009