Introduction : La thrombose veineuse cérébrale est une complication rare du traumatisme crânien. Seuls quelques cas ont été rapportés dans la littérature avec une grande diversité des tableaux cliniques. Observation : Il s’agissait d’un patient âgé de 54 ans, qui fut opéré d’une hémorragie cérébrale suite à un traumatisme crânien. Durant le suivi post-opératoire, un déficit neurologique s’était installé suite à la constitution d’une thrombose veineuse cérébrale post-traumatique. Le patient a été mis sous anticoagulation curative avec nette amélioration clinique. Conclusion : L’association d’une thrombose veineuse cérébrale et de lésions hémorragiques au cours d’un traumatisme crânien engendre une difficulté diagnostique et thérapeutique pouvant détériorer le pronostic des patients.
Introduction: Cerebral venous thrombosis is a rare complication of head trauma. Only few cases have been reported in the literature with a great diversity of clinical presentations. Case: We report the case of a 54-year-old male patient who underwent a surgery for cerebral haemorrhage due to head trauma. The postoperative course was marked by the onset of a neurological deficit due to a post-traumatic cerebral venous thrombosis. The patient received a curative anticoagulation with clear clinical improvement. Conclusion: The combination of cerebral venous thrombosis and haemorrhagic lesions during head trauma is challenging for both diagnosis and management. It may worsen the prognosis as well.
La thrombose veineuse cérébrale post-traumatique est une complication rare. Seule une trentaine de cas ont été rapportés dans la littérature, contrastant avec la grande fréquence des traumatismes crâniens. Cela entraine un retard diagnostique vu le contexte traumatique, ainsi qu’un défi thérapeutique secondaire aux lésions cranio-encéphaliques hémorragiques souvent associées [1].
Il s’agissait d’un patient âgé de 54 ans, sans antécédent pathologique, victime d’un accident domestique (réception d’une pierre sur le crâne lors de travaux de construction) occasionnant chez lui un traumatisme crânien ouvert avec un score de Glasgow (GCS) initial à 13.
L’examen à l’admission a retrouvé un patient stable sur le plan hémodynamique et respiratoire, obnubilé avec des pupilles égales et réactives, et une plaie fronto- pariétale du scalp sans déficit neurologique associé. Une tomodensitométrie cérébrale initiale a révélé deux plaies craniocérébrales frontoparietale et occipitale gauches avec plusieurs fragments intra crâniens (Figure 1), deux hématomes extra-duraux frontoparietale et occipital en regard des traits de fractures, un hématome sous-dural pariétal gauche avec une hémorragie méningée minime (Figures 2, 3).
Le patient a été admis au bloc opératoire. Sous anesthésie générale, l’équipe chirurgicale a réalisé une incision pariétale avec mise en place d’écarteurs hémostatiques, puis une rugination de la gala et réalisation de deux trous de trépan élargis à côté des fracas. Le patient a eu une levée de l’embarrure à l’aide de décolle avec suspension de la dure-mère à la galéa et hémostase. Le geste s’est déroulé sans incident. Patient fut transféré en réanimation pour complément de prise en charge.
En post-opératoire, le patient est resté stable sur le plan hémodynamique et respiratoire. Six heures après, le patient a été extubé. L’examen clinique du patient a retrouvé un état d’obnubilation avec un score de Glasgow à 13 et une monoparésie du membre supérieur droit. Un scanner cérébral de contrôle n’a pas objectivé d’aggravation secondaire des lésions hémorragiques pouvant expliquer le déficit neurologique. L’évolution à 48 heures a été marquée par une amélioration de l’état de conscience GCS 15. Par ailleurs, on a noté une aggravation du déficit avec une hémiplégie droite. L’angioscanner cérébral a objectivé une thrombose du sinus longitudinal supérieur (Figures 4, 5). Une opacification des troncs supra aortiques ainsi qu’un bilan de thrombophilie (dosage de la protéine C et S, antithrombine III, homocystéinémie) étaient sans particularités.
Un traitement curatif par héparine à bas poids moléculaire a été instauré au cinquième jour après stabilisation des différentes lésions hémorragiques lors du contrôle scanographique (Figure 6) associé à la kinésithérapie motrice. Une nette amélioration du déficit neurologique a été observée, puis le patient fut transféré au service de neurochirurgie après le septième jour. Un retour à domicile a été programmé au quinzième jour. A sa sortie, le patient présentait encore une hémiparésie droite d’où la continuation de l’anticoagulation à base d’antivitamine K avec la rééducation physique avec un suivi clinique mensuelle à l’hôpital du jour.
Après un suivi d’un mois, le patient a récupéré la marche avec aide mais il garde toujours une faiblesse musculaire.
L’apparition d’un évènement neurologique en post-opératoire chez ce patient (une monoparésie du membre inférieur droit à la sixième heure de la levée d’embarrure) est évocatrice soit d’une aggravation secondaire des lésions hémorragiques (hématomes extra-duraux), soit de la survenue d’un événement ischémique peropératoire. Cependant ces deux hypothèses ont été éliminées après la réalisation d’un scanner cérébral, et la découverte d’une thrombose veineuse cérébrale à l’angioscanner. Dans la littérature, la fréquence des thromboses veineuses cérébrales post-traumatiques reste variable. Dans une étude observationnelle multicentrique [1, 2], 7 cas de thrombose veineuse cérébrale parmi 624 traumatisés crâniens (1,1%) ont été rapportés. Dans une autre étude concernant des traumatisés crâniens graves [3], la réalisation systématique d’un angio-scanner cérébral avec des temps veineux a objectivé un taux de 19,5% de thrombose veineuse cérébrale. Il a été également démontré dans la même étude que les traumatismes ouverts étaient le plus souvent en cause notamment lorsque le trait de fracture s’étend à un sinus veineux, ce qui était le cas pour notre patient.
La physiopathologie de la thrombose veineuse cérébrale après un traumatisme crânien n’est pas bien établie, et plusieurs hypothèses sont émises. La plus probable est la libération d’activateur de la coagulation à partir du cerveau lésé notamment la thromboplastine [4], ou encore suite au syndrome inflammatoire post traumatique [5]. L’association fréquente du trait de fracture en regard du sinus thrombosé, le cas de notre patient, fait évoquer également l’hypothèse de lésions pariétales et de phénomènes compressifs locaux du sinus veineux avec des altérations endothéliales à l’origine de mécanismes thrombogènes. En fait, quand le trait de la fracture passe par le sinus longitudinal, c’est un facteur de risque de thrombose veineuse cérébrale [6].
Les thromboses veineuses cérébrales sont caractérisées par leur présentation clinique très polymorphe et souvent trompeuse. Le délai d’installation est variable allant de quelques heures jusqu’au-delà d’un mois [7]. Le symptôme le plus souvent rapporté est des céphalées associées à d’autres signes neurologiques (signes focaux, manifestations épileptiques ou des troubles de vigilance). Un tableau d’hémorragie méningée, un syndrome d’HTIC [7], une crise comitiale ou des troubles psychiatriques sont rapportés [8]. Chez notre patient, le diagnostic a été posé par un défaut de rehaussement du sinus longitudinal supérieur (signe de Delta) à l’imagerie cérébrale. En fait, le diagnostic peut être suggéré par une tomodensitométrie montrant une hyperdensité spontanée sur le trajet d’un sinus veineux, difficile à visualiser en raison de la présence de l’hématome extradural occipital chez notre patient. Cependant, l’examen le plus spécifique est l’imagerie par résonnance magnétique couplée aux séquences angiographiques qui permet de confirmer la présence d’un thrombus dans un ou plusieurs sinus [9]. La recherche d’une coagulopathie sous-jacente, négative dans notre cas, est nécessaire car elle prédispose à la survenue d’une thrombose veineuse cérébrale après traumatisme crânien [10]. L’atteinte du sinus latéral semble plus fréquente que celle du sinus longitudinal supérieur au cours des thromboses veineuses cérébrales d’origine traumatique [6]. Les veines profondes sont plus rarement touchées. Il n’existe pas de conçus sur la stratégie thérapeutique. L’instauration d’une anticoagulation efficace constitue le traitement de choix mais peut s’avérer problématique en cas de présence de lésions cranio-encéphaliques hémorragiques associées non consécutives à la thrombose veineuse cérébrale [1-6]. Chez notre patient l’anticoagulation préventive a été instaurée 36 heures après le traumatisme, tandis que l’anticoagulation curative n’a été débutée qu’au 7ème jour notamment après la stabilisation des lésions hémorragiques intracrâniennes préexistantes. L’évolution était bonne mais une telle évolution favorable n’est pas toujours rapportée car un retard diagnostic reste fréquent dans ce contexte [11]. Le taux de mortalité est compris entre 4.3 et 30%, et dans les cas de survie, des séquelles neurologiques déficitaires peuvent être observées [6].
Le traumatisme crânien est une cause rare de thrombose veineuse cérébrale. Devant toute symptomatologie neurologique post-traumatique, il faut savoir évoquer une thrombose veineuse cérébrale notamment après l’élimination des causes classiques.
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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