Névrite optique rétrobulbaire révélant un syndrome de Gougerot-Sjögren primitif
Olfa Berriche1 (Olfaberriche at gmail dot com) #, Wafa Chebbi1, Kessomtini Wassia2, Arfa Sondes1, Baha Zantour1, Sonia Hammami3, Mohamed Habib Sfar1
1 Service de Médecine Interne, CHU Taher Sfar Mahdia, 5100 Mahdia, Tunisie. 2 Unité de Médecine Physique, CHU Taher Sfar Mahdia, 5100 Mahdia, Tunisie. 3 Service de médecine interne. Monastir – Tunisie
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.945
Date
2014-07-08
Citer comme
Research fr 2014;1:945
Licence
Résumé

Le syndrome de Gougerot Sjögren primitif (SGS) est une pathologie fréquente caractérisée par l'existence d'un syndrome sec en l'absence de connectivite associée. L'association à une neuropathie optique bilatérale est rare. Nous rapportons le cas d'une neuropathie optique secondaire SGS primitif. Il s'agit d'une patiente âgée de 59 ans qui a présenté subitement une baisse de l'acuité visuelle aux deux yeux. L'examen ophtalmologique a retrouvé une acuité visuelle limitée à 1/20 en bilatéral. Le fond d'œil a objectivé une neuropathie optique ischémique La neuropathie optique au cours du syndrome de SGS primitif est rare, mais doit faire partie des manifestations ophtalmologiques les plus communes de cette pathologie.

English Abstract

Primary Sjögren's syndrome is frequently characterized by a sicca syndrome without associated connective tissue disease. Association with a bilateral optic neuropathy is uncommon. We report a case of bilateral optic neuropathy in a 59-year-old woman who suddenly presented a bilateral visual loss. The ophthalmological examination noted a visual acuity of 1/20 in the two eyes with bilateral optic ischemic neuropathy. A primary Sjögren's syndrome was diagnosed. Optic neuropathy associated with Sjögren's syndrome is rare. Visual prognosis depends on the rapidity of diagnosis and treatment.

Introduction

Le SGS est une maladie auto-immune caractérisée par une infiltration lymphocytaire des parenchymes glandulaires et extraglandulaires. Il peut être primitif ou secondaire à une affection inflammatoire (PR, lupus, sclérodermie…).

Le SGS primitif est la deuxième maladie auto-immune en fréquence après la polyarthrite rhumatoïde.

Les manifestations neurologiques sont rapportées dans un peu plus de 10 % des cas [1], les atteintes étant préférentiellement périphériques [2].

Les épisodes de névrites optiques cliniques sont rarement révélateurs du SGS. Ils constituent une urgence diagnostique et thérapeutique. En effet, notre observation est une occasion pour attirer l’attention des cliniciens vis-à-vis de ce tableau clinique, car de la précocité du diagnostic et du traitement dépendra le pronostic visuel souvent mis en jeu chez ces patients.

Observation

Il s’agissait d’une patiente âgée de 59 ans, admise pour exploration d’une névrite optique bilatérale diagnostiquée à l'occasion d'une baisse bilatérale de l'acuité visuelle évoluant depuis 1 mois. L'examen ophtalmologique objectivait une baisse de l'acuité visuelle à 1/20 aux 2 yeux le fond d'œil montrait « une pâleur papillaire sectorielle à droite et un œdème papillaire à gauche ». L'IRM orbitaire retrouvait « des hyper signaux des 2 nerfs optiques». L'IRM cérébrale était normale.

L'interrogatoire révélait l'existence d'une xérostomie et xérophtalmie le test de Schirmer était positif. La biopsie des glandes salivaires objectivait « une sialadénite chronique stade IV de Chisholm ». La scintigraphie des glandes salivaires mettait en évidence un syndrome sec des 2 parotides. Les bilans immunologique (AAN, Anti-CCP, FR, anticorps antithyroïdiens et anticorps des hépatites auto-immunes), thyroïdien, et hépatique étaient normaux. Les sérologies virales des hépatites B et C étaient négatives.

Le diagnostic de SGS primaire avec atteinte neurologique centrale était retenu. La patiente était traitée par des bolus de méthylprédnisolone (1g/j, 3 jours de suite), relayés par une corticothérapie orale à dose de 1mg/jour. Le recul actuel est de 2 mois. L'évolution était bonne.

Discussion

Le SGS est une exocrinopathie auto-immune associée à une atteinte extra-glandulaire multisystémique : cutanée, rénale, pulmonaire et neurologique.

Comme pour les autres atteintes extra-glandulaires de la maladie, la fréquence des manifestations neurologiques est variable selon les études (10–70 %) mais se situe en moyenne entre 15 et 25 % [1] [2]. Les manifestations neurologiques rencontrées peuvent toucher le système nerveux périphérique et/ou central [3] [4].

Une névrite optique rétrobulbaire peut être la manifestation inaugurale du SGS et survenir en l’absence de syndrome sec [5]. Ces névrites optiques peuvent également accompagner des atteintes médullaires, réalisant un tableau de neuromyélite optique de Devic.

Dans l’observation d’Alexander et al. [6], sept patients ont présenté une baisse d’acuité visuelle en rapport avec une névrite, parfois bilatérale. Cette atteinte était infra clinique dans quatre cas, mise en évidence par des potentiels évoqués visuels (PEV). Les PEV réalisés dans cette étude, portant sur 20patients avec des manifestations neurologiques centrales évocatrices de SEP, étaient pathologiques dans 59% des cas.

Les anomalies IRM du nerf optique comme celles observées chez notre patiente sont rapportées seulement dans trois cas [7], [5]. Ces anomalies sont à type d'hyper signal en séquence pondérée T2.

La physiopathologie de cette atteinte pourrait faire discuter une vascularite du nerf optique. En effet, l'étude histologique du tissu cérébral obtenu par biopsie ou autopsie chez des patients ayant des manifestations neurologiques du syndrome sec montre la présence d'une vasculopathie cérébroméningée inflammatoire [8].

Le rôle d'auto-anticorps notamment les anticorps anti-SSA et anti-SSB peut également être incriminé [8]. Cependant, un lien entre syndrome sec et la neuropathie optique ne peut pour l'instant être affirmé avec certitude, vu la rareté des publications à ce sujet.

À la lumière des publications qui font état de cette association, les lésions du nerf optique sont souvent unilatérales, le syndrome sec est dans la majorité des cas au deuxième plan après la neuropathie [5] ; ce qui suggère de rechercher un syndrome sec latent dans le bilan d'une névrite optique tout comme le cas pour notre patiente.

Ainsi, la Névrite optique rétro bulbaire est une manifestation non exceptionnelle du syndrome de SGS qu’il est important de ne pas méconnaître. Il faut garder à l’esprit que certaines données comme l’âge de survenue, l’origine ethnique ou la négativité du bilan initial, doivent conduire à évoquer ce diagnostic et inciter à réaliser au moins une biopsie des glandes salivaires et un test de Schirmer, car les anticorps sont souvent négatifs dans le neuro-Sjögren.

Dans la littérature, l'évolution de l'atteinte oculaire est variable : une évolution favorable est rapportée dans la majorité des cas où la corticothérapie a été débutée précocement [9], à l'inverse une évolution défavorable avec cécité a été observée dans le cas où ce même traitement a été instauré tardivement [10].

Conclusion

Devant une névrite optique rétro bulbaire secondaire à un syndrome sec, la gravité de l'atteinte oculaire et le risque de cécité incitent à instaurer sans retard une corticothérapie. La voie d'administration, la durée de traitement et la conduite à tenir devant une rechute ou une récidive ne sont pas encore codifiées.

Références
  1. Garcia-Carrasco M, Ramos-Casals M, Rosas J, Pallares L, Calvo-Alen J, Cervera R, et al. Primary Sjögren syndrome: clinical and immunologic disease patterns in a cohort of 400 patients. Medicine (Baltimore). 2002;81:270-80 pubmed
  2. Delalande S, De Seze J, Fauchais A, Hachulla E, Stojkovic T, Ferriby D, et al. Neurologic manifestations in primary Sjögren syndrome: a study of 82 patients. Medicine (Baltimore). 2004;83:280-91 pubmed
  3. Escudero D, Latorre P, Codina M, Coll-Cantí J, Coll J. Central nervous system disease in Sjögren's syndrome. Ann Med Interne (Paris). 1995;146:239-42 pubmed
  4. Lafitte C, Amoura Z, Cacoub P, Pradat-Diehl P, Picq C, Salachas F, et al. Neurological complications of primary Sjögren's syndrome. J Neurol. 2001;248:577-84 pubmed
  5. Kadota Y, Tokumaru A, Kamakura K, Kohyama S, Okizuka H, Kaji T, et al. Primary Sjögren's syndrome initially manifested by optic neuritis: MRI findings. Neuroradiology. 2002;44:338-41 pubmed
  6. Alexander E. Central nervous system (CNS) manifestations of primary Sjögren's syndrome: an overview. Scand J Rheumatol Suppl. 1986;61:161-5 pubmed
  7. Oketani M, Ideguchi H, Ohkubo T, Ohno S, Shirai A, Sasaki T, et al. [A case of Sjögren's syndrome with retrobulbar optic neuritis and cutaneous vasculitis]. Ryumachi. 1999;39:847-52 pubmed
  8. G. Kaplan, X. Mariette. Syndrome de Gougerot-Sjögren :Maladies et syndromes systémiques, Flammarion Médecine–Sciences, Paris 2000 : 544–545.
  9. P. Rapoport, H. Merle, D. Smadja, M. Gerard, E. Alliot.Une neuropathie optique bilatérale révélatrice d’un syndrome de Gougerot-Sjögren primitif .J. Fr. Ophtalmol. 1997 ; 20:767–770.
  10. Tesar J, McMillan V, Molina R, Armstrong J. Optic neuropathy and central nervous system disease associated with primary Sjögren's syndrome. Am J Med. 1992;92:686-92 pubmed
ISSN : 2334-1009