Mélanome sur nævus chez un nourrisson
A Ennajdi1 (drennajdi at gmail dot com), FZ Elfatoiki1, K Khadir1, F Marnissi2, H Sbai3, S Chiheb1
1 Service de dermatologie, CHU Ibnrochd Casablanca Maroc. 2 Service l’anatomopathologie, CHU Ibnrochd Casablanca Maroc. 3 Service de chirurgie infantile, CHU Ibnrochd Casablanca Maroc
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.3.1544
Date
2016-07-09
Citer comme
Research fr 2016;3:1544
Licence
Résumé

Les nævi congénitaux géants sont très rares chez l’enfant, ils sont potentiellement graves en raison de leur risque de transformation et leur retentissement esthétique majeur. Nous rapportons le cas d’un nourrisson qui avait développé deux lésions nodulaires douloureuses au sein d’un nævus congénital géant du tronc. L’examen anatomopathologique des nodules était en faveur d’un mélanome. Les aires ganglionnaires étaient libres et le bilan d’extension ne révélait pas de métastase. Une exérèse totale du nævus était réalisée suivie dans un second temps d’une greffe cutanée. L’évolution était favorable avec absence de rechute et un bon résultat esthétique. L’originalité de notre observation réside dans la rareté aussi bien du nævus congénital géant que du mélanome dans la population pédiatrique. Elle permet de soulever l’intérêt de l’exérèse précoce de ce type de nævus afin de prévenir la transformation maligne qui malgré qu’exceptionnelle, reste de pronostic redoutable. Le traitement du mélanome fait appel à la chirurgie en premier lieu, un traitement adjuvant peut être discuté en fonction du stade de la tumeur alors que sa prévention doit porter sur plusieurs axes en fonction du contexte clinique, avec sensibilisation et information personnalisée des sujets à risque.

English Abstract

Giant congenital nevi are very rare in children. They are potentially serious because of their risk of malignant transformation and major aesthetic impact. We report the case of an infant who had developed two painful nodular lesions within a congenital giant nevus of the trunk. Pathological examination of the nodules revealed a melanoma. An assessment of extent did not reveal a distant or node metastasis. Complete excision of nevi was performed followed by a second time of skin’s graft. The evolution was favorable with no recurrences and good cosmetic result. The originality of our observation derived from the rarity of giant congenital nevi and melanoma in the pediatric population. It is interesting to perform early excision of the congenital nevus in order to prevent a malignant transformation. The treatment of melanoma involves at first surgery. Adjuvant therapy may be discussed depending on the stage of the tumor. Prevention melanoma should include different axis depending on clinical context, with awareness and personalized information of high-risk population.

Introduction

Les naevi pigmentaires congénitaux géants sont rares, leur incidence est estimée à 2/10000 naissance [1] et leur risque de transformation maligne avoisine 2,5 [2], ils ne sont responsables que d’une faible proportion des mélanomes de l’enfant. En effet le mélanome est exceptionnel chez l’enfant, il représente 1 à 4% des tumeurs malignes pédiatriques et 1% des mélanomes rapportés surviennent chez l’enfant [3, 4]. Nous rapportons un cas de mélanome sur un nævus congénital géant chez un nourrisson de 14 mois et discutons les aspects épidémiologiques, diagnostiques et les modalités thérapeutiques de cette rare entité.

Mélanome sur nævus chez un nourrisson  Figure 1
Figure 1. Deux lésions nodulaires au sein du nævus congénital géant.
Observation

Nourrisson de 14 mois, de sexe féminin, connue porteuse d’un nævus congénital géant découvert à la naissance, siégeant au niveau de la région sus ombilicale. A l’âge de 12 mois, apparition de deux lésions nodulaires douloureuses sur nævus qui augmentaient progressivement de taille.

Mélanome sur nævus chez un nourrisson  Figure 2
Figure 2. Résultat clinique après exérèse du nævus et greffe cutanée

L’examen clinique retrouvait un nourrisson en bon état général apyrétique, qui présentait une lésion nævique, hétérochrome, occupant toute la moitié supérieure de l’abdomen, surmontée par deux lésions nodulaires douloureuses, la première érythémateuse mesurant 3 cm au grand axe et la deuxième à pigmentée mesurant 5cm/4cm (figure 1).

Les aires ganglionnaires étaient libres, pas d’hépatosplénomégalie, le reste de l’examen était sans particularité.

L’examen anatomopathologique des deux lésions nodulaires objectivait une prolifération tumorale nodulaire faite de nappes de cellules globuleuse ou fusiforme présentant des cytoplasmes abondants se chargeant parfois de pigments et des poussières de noyau. Les figures mitotiques sont nombreuses et anormales avec un indexe mitotique de 24 pour 10 champs au fort grossissement. Le stroma est fibro-myxoide. La prolifération ulcère l’épiderme et infiltre en profondeur l’hypoderme avec une épaisseur maximale de 18 mm. Il n’est pas vu d’embols vasculaires ni d’engainement péri-nerveux. Il est noté la présence en surface d’une prolifération nævi-cellulaire. La composante dermique est pagétoide composée, se disposant en thèques jonctionnelles avec de larges foyers de différenciation neuroide. L’étude immunohistochimique objectivait la positivité des marqueurs PS100, HMB45 et Melan A. L’index de prolifération évalué par Ki67 est estimé à 80% dans les zones les plus mitotiques.

Ainsi, l’aspect histologique était compatible avec un mélanome nodulaire de niveau V de Clark et d’indice de Breslow de 18 mm ulcérant l’épiderme.

Un bilan d’extension complet, comprenant une échographie des aires ganglionnaires, une radiographie thoracique et une tomographie par émission de positrons (PET scan), ne révélait pas de métastases.

Une reprise chirurgicale était réalisée avec des marges de 3cm avec une exérèse totale du nævus congénital, suivie dans un second temps d’une greffe cutanée (figure 2).

Une surveillance rapprochée de la patiente, pendant 3 ans ne révélait pas de récidive et le résultat esthétique final était très satisfaisant.

Discussion

Les nævi congénitaux (NC) sont des proliférations mélanocytaires bénignes présentes à la naissance ou apparaissant dans les premières semaines post-natales.

En fonction du plus grand diamètre de la lésion à la naissance, on différencie trois groupes ; petit (inférieur à 1,5 cm), moyen (entre 1,5 cm et 20 cm), grand (supérieur à 20 cm). Cette dernière catégorie comprend les NC « Géants » dont le plus grand diamètre en taille adulte projetée mesure plus de 40cm [5].

Une définition chirurgicale consiste à considérer comme géant le nævus dont l’exérèse-suture est impossible en un seul temps opératoire ou dont la taille est supérieure à une paume de la main de I ‘individu pour une Localisation au visage, ou deux paumes au niveau du tronc. La surface du nævus s'étend progressivement avec la croissance, ce qui nécessite de la rapporter à la surface cutanée totale. Ainsi, considérés comme géants les nævi occupant plus de 17 % de la surface corporelle totale [5].

Les NC de petite taille sont présents chez environ 1% des nouveau-nés. A l’inverse, les NC de grande taille sont beaucoup plus rares, puisque les quelques études épidémiologiques rapportent une proportion de NC de grande taille variant de 1/20500 [6] pour une étude sud-américaine à 1/500000 pour une étude nord-américaine [7]. Néanmoins, ils font l’objet d’une abondante littérature en raison de leur gravité potentielle. Celle-ci est autant le fait de leur retentissement esthétique, psychologique ou social, que du risque de transformation maligne ou d’atteinte neurologique. Les études rétrospectives ont montré que le risque de survenue d’un mélanome prédominait durant les premières années de vie. Deux grandes études prospectives comportant un suivi moyen de 4,7 et 4 ans ont observé 3 et 10 cas de mélanomes sur 80 et 205 nævus congénitaux de grande taille (soit 3,8 % et 4,9 % respectivement) [8, 9]. Cette transformation reste difficilement prévisible. Le seul facteur de risque identifié par l’une de ces études est l’existence de très nombreux nævus satellites (> 50) [9]. Le risque semble également plus important pour les très grands nævus (dits « géants ») du tronc ce qui était le cas pour notre patiente.

La dégénérescence a lieu le plus souvent dans les zones glabres. Elle est évoquée devant des douleurs, une ulcération, une infiltration, une métastase. Elle survient le plus souvent durant I’enfance, avant I ‘âge de 10 ans, mais il n'y a pas de limite d’âge supérieure, et un mélanome peut en fait survenir à tout âge [5]. Lorsqu’ils apparaissent au sein du NC, il s’agit d’une lésion nodulaire profonde de survenue récente ou d’un nodule préexistant qui se modifie. La lésion est ulcérée ou non, pigmentée ou non. Par conséquent, toute lésion nodulaire ou ulcération apparaissant au sein d’un NC doit faire l’objet d’un prélèvement pour examen anatomo-pathologique [10]. Le mélanome peut également survenir sous une zone greffée de NC opéré, et également de façon non négligeable en dehors du NC : au niveau viscéral (rétropéritoine), et surtout dans le système nerveux central [2]. Chez notre patiente, devant l’apparition récente des deux lésions nodulaires douloureuses évolutives, au sein du nævus congénital géant, le diagnostic de mélanome sur nævus était évoqué.

L’examen anatomopathologique des lésions nodulaires confirmait ce diagnostic, en montrant un mélanome nodulaire de niveau V de Clark et Mihm et d’indice de Breslow de 18 mm ulcérant l’épiderme.

En effet, les mélanomes développés sur un NC se développent en profondeur dans la majorité des cas, et non à la jonction dermo-épidermique et sont souvent inclassables, à cellules épithélioïdes, cellules fusiformes ou plus souvent à petites cellules rondes. Le diagnostic de ces derniers est particulièrement difficile. Les mélanocytes tumoraux simulant des lymphoblastes se disposent en nappes ou en travées sur un fond myxoïde. Il y a en général de nombreuses mitoses et des poussières de noyau correspondant à de l’apoptose [11, 12]. Un nombre élevé de mitoses, des atypies cyto-nucléaires marquées et des foyers de nécrose sont également des signes inquiétants [13]. Chez notre patiente l’index mitotiques élevé, les atypies cellulaires avec des poussières de noyaux étaient des éléments en faveur du diagnostic.

En cas de mélanome avéré, le bilan dépendra de l’infiltration en profondeur (épaisseur selon Breslow). La dissémination métastatique du mélanome se faisant essentiellement par voie lymphatique, l’échographie de l’aire ganglionnaire régionale de drainage est une option si la palpation est difficile. Elle sera réalisée à partir d’une lésion de stade IIa [13]. À partir du stade III (envahissement ganglionnaire), un bilan plus complet à la recherche de métastases est recommandé comprenant une tomodensitométrie cérébrale et thoraco-abdominopelvienne. La place de la tomodensitométrie par émission de positons est plus discutée mais le mélanome est une lésion hyper-métabolique fixant de manière intense le 18FDG. Sa réalisation peut être utile à partir du stade III. L’intérêt de pratiquer une procédure du ganglion « sentinelle » est controversé [13].

Chez notre patiente, vu le pronostic sombre du mélanome sur nævus congénital, on avait réalisé un bilan d’extension plus exhaustif.

Le premier temps du traitement du mélanome est l’exérèse complète et large avec des marges qui varient en fonction de l’infiltration en profondeur. Pour les stades I et II (absence de métastase quelle que soit la profondeur d’envahissement), seule une exérèse large de la lésion est consensuelle [13].

L’indication d’un traitement adjuvant dans le mélanome localisé reste discutée. Elle peut être envisagée pour les mélanomes à haut risque évolutif (épaisseur selon Breslow supérieure à 1,5mm et existence d’un envahissement ganglionnaire). Chez notre patiente le bilan d’extension était négatif, par conséquent elle a bénéficié d’une exérèse large de l’ensemble du nævus suivie d’une greffe cutanée dans un second temps.

Actuellement, après un recul de 3 ans, on note l’absence de récidive locale ou régionale du mélanome avec un très bon résultat esthétique.

Plusieurs types de moyens sont proposés dans le traitement du nævus congénital géant, notamment la dermabrasion ou le laser qui permettent l’exérèse des nævi dans la couche superficielle du derme uniquement [14, 15] alors que l’excision du nævus permet son exérèse dans toutes les couches du derme. La reconstruction peut être faite par excision-suture [16], excision-greffe [17], ou encore expansion suivie d’excision [18].

Chez notre patiente, l’excision était suivie par greffe. Le résultat esthétique était très satisfaisant.

L’exérèse prophylactique systématique des nævi congénitaux géants est actuellement préconisée dans de nombreux centres en raison du risque de transformation maligne secondaire qui survient souvent avant 5 ans. La prévention carcinologique n’est toutefois souvent pas parfaite car il est rare de pouvoir ôter la lésion dans sa totalité, notamment en profondeur, et les foyers de transformation maligne s’observent dans la moitié des cas dans des localisations extra-cutanées (rétropéritonéale, méningées) [19].

Conclusion

Le mélanome cutané est une tumeur extrêmement rare chez l’enfant et sa fréquence augmente avec l’âge. Toutefois Certaines formes cliniques pédiatriques peuvent survenir sur des terrains particuliers (nævus congénital, xeroderma pigmentosum).

La prise en charge précoce du nævus congénital géant fait partie des moyens préventifs des mélanomes. Elle fait actuellement l’unanimité en raison du risque de transformation maligne du nævus et du préjudice esthétique. La plus grande élasticité du tissu sous-cutané en cette période plaide aussi pour une exérèse précoce.

Les figures :

Références
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