Prise en charge du mal de Pott de l’enfant dans un contexte de tuberculose multifocale
T Alihonou1 (alihonouthierry at yahoo dot fr) #, F Alihonou2, P Chigblo3, C Padonou4
1 Service de Chirurgie, Centre Hospitalier Universitaire Départemental de l’Ouémé et du Plateau, Porto-Novo, Bénin. 2 Clinique Universitaire de Pédiatrie et de Génétique Médicale, CNHU-HKM. Cotonou, Bénin. 3 Clinique Universitaire de Traumatologie Orthopédie et de Chirurgie Réparatrice, CNHU-HKM. Cotonou, Bénin. 4 Service de Pédiatrie, Centre Hospitalier Universitaire Départemental de l’Ouémé et du Plateau, Porto-Novo, Bénin
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.4.2313
Date
2017-06-27
Citer comme
Research fr 2017;4:2313
Licence
Résumé

Introduction : La tuberculose spinale de l’enfant reste endémique dans les pays en développement et constitue une des principales causes de paraplégie. Malgré les progrès réalisés dans le monde, sa prise en charge bien que codifiée, n’est pas toujours aisée particulièrement dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Observation : Il s’agissait d’une patiente âgée de 14 ans qui avait présenté une déformation rachidienne thoracique avec paraparésie flasque à 3+/5 et des troubles sphinctériens dans un contexte de dénutrition sévère et de dyspnée. L’imagerie a révélé une spondylodiscite intéressant les niveaux T7-T8 à T9-T10. Un traitement anti-tuberculeux a été instauré et un corset plâtré thoraco-lombaire a été confectionné. Le déficit neurologique s’est aggravée rapidement. L’évolution a été marquée par une disparition des adénopathies, une prise pondérale, une stabilisation de la déformation rachidienne et la persistance d’une paraparésie et d’une impériosité mictionnelle avec un recul de deux ans. Conclusion : La paraplégie pottique de l’enfant avec destruction osseuse sévère est encore non exceptionnelle au Bénin. Sa prise en charge reste confrontée à de nombreuses difficultés en particulier le retard diagnostique et les conditions d’exercice défavorisées.

English Abstract

Introduction: Child bone and joint tuberculosis remains endemic in developing countries and is one of the main causes of paraplegia. Despite the progress made in the world, its management, although codified, is not always easy especially in low- and middle-income countries. Case: We report a case of a 14-year-old girl who presented thoracic spinal deformity with flaccid paraparesis and a bladder dysfunction in a context of severe malnutrition and a dyspnoea. The imaging showed the levels involved T7-T8 to T9-T10. The patient was treated with antitubercular chemotherapy and a plastered thoraco-lumbar corset. The early outcome was marked by a rise of neurologic deficits. Two years later, there were a complete disappearance of adenopathy, a weight grip, a stabilization of the kyphotic deformity and a persistence of paraparesis and bladder dysfunction. Conclusion: Child Pott’s paraplegia with severe destruction of vertebral bodies is still encountered in Benin. The management remains confronted to several difficulties particularly the delay of diagnosis and the disadvantaged working conditions.

Introduction

La tuberculose demeure un problème majeur de santé publique particulièrement dans les pays à revenu faible et intermédiaire. Elle est l’une des 10 premières causes de mortalité dans le monde. Selon les estimations de l'Organisation mondiale de la santé, 530 000 cas de tuberculose ont été observés chez les enfants en 2012, soit 6% du nombre total de cas de tuberculose (OMS 2013) [1]. L’atteinte peut être uni ou pluri-focale surtout dans le cas d’une immunodéficience (co-infection avec le virus d’immunodéficience humaine) ou chez l’enfant [2]. Dix pour cent de ces localisations extra-pulmonaires sont ostéo-articulaires avec 56% d’atteinte rachidienne [3, 4]. La pauci-symptomatologie en début d’infection de cette forme clinique, contribue au retard diagnostique qui peut être très important. Ce diagnostic est cependant actuellement facilité par la tomodensitométrie et l’imagerie par résonance magnétique, et confirmé par la présence de bacille de Koch dans les prélèvements pulmonaires ou le liquide de ponction d’abcès et par la biopsie osseuse [5]. Le traitement du mal de Pott est généralement médical associant corset et quadrithérapie anti-tuberculeuse. La chirurgie est indiquée lorsqu’il existe un effondrement de l’équilibre sagittal du rachis et en cas d’extension majeure de l’abcès dans les structures péri-vertébrales et dans le canal aboutissant à une compression médullaire.

Prise en charge du mal de Pott de l’enfant dans un contexte de tuberculose multifocale Figure 1
Figure 1. Volumineuse adénopathies axillaires gauches.

Le but de ce travail est de rapporter la prise en charge en conditions défavorisées d’un cas de mal de Pott dorsal chez l’enfant dans un contexte de tuberculose multi-focale.

Prise en charge du mal de Pott de l’enfant dans un contexte de tuberculose multifocale Figure 2
Figure 2. Gibbosité dorsale.
Observation

Il s’agissait d’une patiente âgée de 14 ans, en retard scolaire, qui était admise pour dyspnée sur un terrain de dénutrition sévère et déformation rachidienne thoracique. L’interrogatoire avait rapporté, 5 mois avant l’admission, une asthénie intense avec anorexie, un amaigrissement progressif, une fièvre vespérale non chiffrée et une arthralgie diffuse. Il existait également une toux grasse évoluant depuis environ une semaine. Dans ses antécédents, il y avait une notion de contage et une exagération progressive de la cyphose dorsale évoluant depuis 5 ans environ, et des tentatives de traitements traditionnels antérieurs. La patiente avait un poids chiffré à 17kgs, une taille à 117 cm et un indice de masse corporelle évalué à 12,41 Kg/m2. La cicatrice de vaccination Biliée de Calmette et Guérin (BCG) était présente. Il y avait une polyadénopathie bilatérale sensible axillaire (figure 1) et inguinale. L’examen pleuro-pulmonaire objectivait des signes d’une pneumopathie sévère. Sur le plan de la statique rachidienne il existait une gibbosité dorsale (figure 2) et la patiente avait une paraparésie spastique à 3+/5 avec un niveau sensitif à T10 et des troubles sphinctériens à type d’incontinence urinaire.

Prise en charge du mal de Pott de l’enfant dans un contexte de tuberculose multifocale Figure 3
Figure 3. TDM du rachis dorsal mettant en évidence une spondylodiscite étagée avec destruction osseuse, une importante cyphose et un volumineux abcès paravertébral. 3a : Coupe sagittale. 3b : Coupe coronale.

La radiographie pulmonaire mettait en évidence des opacités non systématisées diffuses dans les deux champs pulmonaires. La radiographie standard et la tomodensitométrie du rachis dorsal ont révélé une spondylodiscite intéressant les niveaux T7-T8 à T9-T10 avec une cyphose loco-régionale évaluée à 55° et une compression médullaire en regard. Un abcès paravertébral étendu de T7 à T8 était visible (figure 3).

L’examen des crachats-BAAR était négatif à deux reprises, l’intradermoréaction était positive et mesurée à 16 mm. La sérologie HIV était négative. Il existait un syndrome biologique inflammatoire. La biopsie ganglionnaire et la PCR n’ont pas été réalisées.

Le diagnostic d’une tuberculose multifocale (foyer pulmonaire, ganglionnaire et ostéo-articulaire) a été évoqué.

Un traitement anti- tuberculeux a été institué au 4ème jour d’hospitalisation : Ethambutol 15mg/kg/j + Rifampicine 10mg/kg/j + Izoniazide 5mg/kg/j +Pyrazinamide 30mg/kg/j + Streptomycine 15mg/kg 3 fois par semaine pendant 2 mois. La phase de consolidation a été poursuivie avec la Rifampicine 10mg/Kg/j et l’Isoniazide 5mg/Kg/j pendant dix mois. Un corset plâtré thoraco-lombaire a été confectionné. Une correction du déficit nutritionnel a été entreprise.

L’évolution s’est faite vers une aggravation rapide du déficit moteur et des troubles sphinctériens se traduisant par une paraplégie et une incontinence urinaire et anale.

A la sortie, après 3 mois d’hospitalisation, on notait une régression complète des adénopathies, une prise pondérale de 6 Kgs et une stabilisation de la déformation rachidienne. Le recul actuel est de deux ans avec la persistance d’une paraparésie et des troubles sphinctériens à type d’impériosité mictionnelle.

Discussion

L’atteinte rachidienne est la plus fréquente des tuberculoses ostéo-articulaires [6]. La paraplégie qui peut en résulter est une complication grave qui survient en cas de spondylodiscite avec épidurite compressive et/ou fracture pathologique avec déformation en cyphose des vertèbres infectées [7]. Elle pose un problème diagnostique et thérapeutique complexe comportant plusieurs aspects intriqués : la mise en évidence du Bacille de Koch (BK) ou sa "signature immunologique", le traitement étiologique de la maladie infectieuse bacillaire, le traitement de la compression médullaire et le traitement de la déformation et de l’instabilité vertébrale.

La présentation radio-clinique du mal de Pott est relativement homogène mais peu spécifique. Dans les localisations thoraciques, comme chez notre patiente, il s’agit le plus souvent d’une paraplégie fébrile ou subfébrile d’installation progressive sur un mode subaigu ou chronique avec un passé récent de rachialgies associée dans 50% des cas à un amaigrissement, une asthénie et des sueurs nocturnes. Les atteintes neurologiques sévères, comme dans le cas de notre patiente, peuvent s’observer dans 20 à 30% des cas [8]. Sur le plan biologique, un syndrome inflammatoire est présent. L’IDR à la tuberculine est le plus souvent positive [9].

La radiographie standard du rachis, surtout dans les pays à revenu faible, garde toute sa place dans l’arsenal diagnostic et peut conduire à une décision thérapeutique urgente. La tomodensitométrie, avec les reconstructions sagittales et coronales, apporte cependant une meilleure précision dans l’analyse des destructions osseuses et de la cyphose vertébrale qui en résulte. Actuellement, l’IRM présente la meilleure sensibilité et spécificité pour deux raisons : Elle permet de visualiser l’étendue de l’abcès et l’atteinte médullaire avant que celle-ci ne s’exprime cliniquement. Les séquences STIR permettent une détection précoce de l’œdème inflammatoire [10]. Cette imagerie retrouve une spondylodiscite intéressant classiquement le disque et le segment antérieur des vertèbres adjacentes avec tendance à la fracture pathologique et une déformation en cyphose [11, 12]. Les localisations affectant isolément l’arc postérieur du corps vertébral sont rares mais également décrites. Chez notre patiente, en l’absence de l’IRM non disponible au Bénin seules la radiographie standard et la tomodensitométrie du rachis dorsal ont été réalisées.

La confirmation diagnostique d’une atteinte tuberculeuse du rachis est soit anatomopathologique avec la mise en évidence sur le prélèvement tissulaire d’un granulome tuberculoïde polymorphe épithélioïde et gigantocellulaire avec ou sans nécrose caséeuse, soit par l’identification de l’ADN mycobactérien par polymerase chain reaction (PCR) [13]. Les tuberculoses ostéo-articulaires étant paucibacillaires, la preuve bactériologique est plus rarement obtenue comme le confirme la négativité du crachat Baar à deux reprises chez la patiente.

Les conditions socio-économiques modestes de la patiente, son tableau de dénutrition sévère ainsi que la notion de contage (école fréquentée à proximité d’un centre de prise en charge de patients tuberculeux), ont certainement contribué à l’apparition de la maladie tuberculeuse et à la sévérité de l’atteinte multi-focale.

L’établissement du diagnostic définitif ne devant pas retarder la mise en place du traitement anti-bacillaire, ce dernier a été débuté au 4ème jour après admission sur la base d’un faisceau d’arguments orientant vers un mal de Pott dans un contexte de localisation tuberculeuse multiple : anamnèse, corrélations radio-cliniques, la présence d’un syndrome inflammatoire biologique et la positivité de l’IDR à la tuberculine.

Devant notre inexpérience en chirurgie du rachis thoracique par voie antérieure et la faiblesse de notre plateau technique, le but de notre traitement était essentiellement de stériliser les foyers et de stopper la destruction osseuse. Nous n’avons pas pu proposer une laminectomie de décompression à cette patiente. Ce geste devant être complété par une arthrodèse postérieure afin de corriger la déformation et de stabiliser le rachis [12, 14]. Nous avons donc opté pour une contention plâtrée permettant la consolidation des lésions osseuses sous traitement antituberculeux.

Conclusion

La paraplégie pottique de l’enfant avec destruction osseuse sévère est encore non exceptionnelle au Bénin. Sa prise en charge reste confrontée à de nombreuses difficultés en particulier le retard de diagnostic et les conditions d’exercice défavorisées.

Références
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ISSN : 2334-1009