Les mélanomes malins des fosses nasales : considérations cliniques et thérapeutiques
M Abou-elfadl (dr_abouelfadl_m at hotmail dot fr) #, A Zouak, A El bousaadani, R L Abada, S Rouadi, M Roubal, M Mahtar
Service d’ORL et de Chirurgie Cervico-faciale, Hôpital 20 Août 1953, Casablanca, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.1263
Date
2014-12-20
Citer comme
Research fr 2014;1:1263
Licence
Résumé

Parmi les tumeurs malignes des cavités nasosinusiennes, le mélanome malin muqueux présente un intérêt particulier en raison de son mauvais pronostic et sa rareté. Nous rapportons, dans cet article, cinq observations de mélanomes malins des fosses nasales, où nous soulignons l'absence de signes cliniques spécifiques, l'apport de la radiologie, et surtout le mauvais pronostic de ce néoplasme malgré une large chirurgie d'exérèse.

English Abstract

Among the malignant tumors of sinonasal cancer, mucosal melanoma is of particular interest because of its poor prognosis despite its rarity. We report in this publication, five cases of malignant melanoma of the nasal cavity. It highlights the lack of specific clinical signs, the contribution of radiology, and especially the poor prognosis of this neoplasm despite wide surgical excision.

Introduction

Le mélanome muqueux primitif de la fosse nasale est une tumeur maligne très agressive, décrite pour la première fois par Lucke en 1869 [1]. Il s’agit d’une entité rare, constituant entre 0,6 et 1% de l’ensemble des mélanomes [2]. Le diagnostic demeure tardif compte tenu de l’absence de signes cliniques spécifiques et de facteurs de risques. Son traitement est essentiellement chirurgical basé sur une résection large de la tumeur. Le pronostic est défavorable, caractérisé par des récidives, des métastases fréquentes et un bas taux de survie. Nous rapportons dans ce travail 5 cas de mélanome malin primitif de la fosse nasale pris en charge au service, tout en précisant les caractéristiques cliniques et les considérations thérapeutiques de cette tumeur.

Les mélanomes malins des fosses nasales : considérations cliniques et thérapeutiques Figure 1
Figure 1. Coupe scannographique frontale : processus tumoral de la fosse nasale gauche avec extension au maxillaire, à l’ethmoïde et au cavum.
Observation n° 1

Il s’agit d’une patiente âgée de 65 ans, n’avait pas d’antécédents particuliers, se présentait pour une obstruction nasale, des épistaxis gauches et une altération de l’état général évoluant depuis 8 mois. L’examen à l’optique rigide montrait une tumeur bourgeonnante noirâtre, obstructive de la fosse nasale gauche et de multiples adénopathies fixées, sous angulo-maxillaire gauches, la biopsie avec examen anatomo-pathologique était en faveur d’un mélanome malin. La TDM du massif facial objectivait un processus tumoral de la fosse nasale gauche avec extension au maxillaire, à l’ethmoïde et au cavum (Figure 1). L’examen de la peau et des phanères était normal. La radiographie du thorax, l’échographie abdominopelvienne et l’examen ophtalmologique ne montraient pas d’atteinte métastatique. Une radiothérapie externe était de mise, mais la patiente décédait après 3 mois.

Observation n° 2

Une patiente âgée de 62 ans, connue hypertendue, bien équilibrée sous traitement, se présentait pour une obstruction nasale et des épistaxis du côté droit évoluant depuis 4 mois, suivie d’une obstruction nasale gauche avec une altération de l’état général. La rhinoscopie à l’optique rigide montrait une tumeur mamelonnée obstructive de la fosse nasale droite avec déviation septale gauche sans adénopathies associées. La biopsie avec étude histologique était en faveur d’un mélanome malin. La TDM du massif facial objectivait un processus tumoral occupant la fosse nasale droite et les cellules éthmoïdales homolatérales, avec comblement du sinus maxillaire et du sinus sphénoïdal homolatéral, le reste du bilan d’extension était négatif. La patiente bénéficiait d’un traitement chirurgical par voie paralatéronasale réalisant une excision de la tumeur avec maxillectomie. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire confirmait la présence d’un mélanome malin ulcéré avec présence de dépôts mélaniques et remaniements inflammatoires de la fosse nasale droite. Un complément thérapeutique était réalisé sous forme d’une radiothérapie externe de 50 Gy. La patiente était en situation de rémission complète avec 12 mois de recul.

Observation n°

Une patiente âgée de 50 ans, n’avait pas d’antécédents pathologiques, consultait pour une masse noirâtre accouchée par la narine gauche, obstruction et épistaxis abondante du même côté avec douleur maxillaire gauche évoluant depuis 9 mois. L’inspection de la face montrait une tumeur noirâtre obstructive accouchée par la narine gauche sans adénopathies associées.

La biopsie était en faveur d’un mélanome malin pigmenté et ulcéré. La TDM objectivait un syndrome tumoral de la fosse nasale gauche avec une lyse de la cloison naso-sinusienne et un comblement d’allure inflammatoire du sinus maxillaire gauche et des cellules ethmoïdales. Le reste du bilan d’extension est négatif. La patiente bénéficiait d’une chirurgie d’exérèse première par voie paralatéronasale (tumorectomie + maxillectomie) suivie d’une radiothérapie post opératoire. L’évolution était marquée par une énorme récidive gingivale avec des adénopathies sous-maxillaires gauches et des métastases hépatiques. Un traitement palliatif était indiqué. La patiente décédait quelques mois plus tard.

Les mélanomes malins des fosses nasales : considérations cliniques et thérapeutiques Figure 2
Figure 2. Coupe scannographique axiale : processus tissulaire comblant la fosse nasale gauche et le massif ethmoïdal, s’étendant jusqu’au cavum.
Observation n° 4

Il s’agit d’un patient âgé de 25 ans, sans antécédents notables, consultait pour une obstruction nasale et des épistaxis du côté gauche évoluant depuis une année, l’examen montrait une tumeur la fosse nasale gauche accouchée par la narine sans adénopathies associées dont la biopsie avec étude histologique était en faveur d’un mélanome malin. La TDM du massif facial objectivait un processus tissulaire comblant la fosse nasale gauche, le massif ethmoïdal et s’étendant jusqu’au cavum, entraînant une érosion des parois osseuses avec lyse de la paroi médiale du sinus maxillaire et élargissement de l’ostium (Figure 2). L’examen de la peau et des phanères était normal. Le reste du bilan d’extension est négatif. Le patient bénéficiait d’un traitement chirurgical par paralatéronasale avec exérèse à distance de la tumeur et maxillectomie. Un traitement complémentaire par radiothérapie externe était envisagé. L’évolution était marquée par une récidive locale et ganglionnaire 6 mois plus tard.

Observation n° 5

Il s’agit d’une patiente âgée de 60 ans, sans antécédents pathologiques, était admise pour des épistaxis unilatérales gauche, évoluant depuis 2 mois dans un contexte de conservation de l’état général. La rhinoscopie montrait une masse bourgeonnante noirâtre à base d’implantation septale gauche. Il n’y avait pas d’adénopathie cervicale palpable. Le diagnostic de mélanome malin était confirmé par la biopsie. La TDM objectivait une tumeur limitée de la fosse nasale gauche sans extension au voisinage. Une exérèse tumorale large par voie paralatéronasale complétée par une radiothérapie. La patiente est en rémission avec un recul de 6 mois.

Discussion

Le mélanome malin présente un intérêt particulier en raison de son pronostic sombre. La localisation au niveau des fosses nasales est la plus fréquente des mélanomes muqueux de la région cervico-faciale [3]. La moyenne d’âge des patients est supérieure à 40 ans [4]. Dans notre série, l’âge moyen de nos patients était de 52,4 ans. Il se caractérise par l’absence de facteurs de risques, une sémiologie non spécifique et des protocoles thérapeutiques non codifiés.

Sur le plan macroscopique, l’aspect le plus typique est celui d’un bourgeon charnu, polypoïde pouvant être hémorragique. Il existe deux types de mélanomes : les mélanomes pigmentés (coloration brune noire) et les mélanomes achromiques (coloration rosée). Sur le plan microscopique, les tumeurs sont composées de différents types cellulaires (cellules épithélioïdes, en fuseau, indifférenciées) [5].

Histologiquement, les mélanomes muqueux sont différents des mélanomes cutanés. Il peut être difficile de les distinguer des autres tumeurs des cavités nasosinusiennes comme les carcinomes, lymphomes, rhabdomyosarcomes, neuroblastomes olfactifs [5].

Les caractéristiques immunohistochimiques sont similaires à celles des mélanomes cutanés. Les marqueurs tumoraux les plus fréquemment positifs sont les suivants : la protéine S-100, la tyrosinase, l’HMB-45 et la vimentine [2] [5].

Le septum nasal représente le site tumoral primitif dans 75 % des formes endonasales, notamment sa partie antéroinférieure, suivi par la paroi externe (cornet inférieur, puis moyen) [2] [6].

Le délai moyen entre les premiers symptômes et l’examen clinique est de quatre mois (extrêmes : 12 à 24 mois) [2]. Ce délai est de huit mois pour Lee et al. [2]. Il était en moyenne de sept mois pour nos patients. Les signes d’appels cliniques, non spécifiques, alarment rarement le patient. Il s’agit surtout d’obstruction nasale (50 %) et d’épistaxis (20 %) [1] [2]. Les douleurs sont rares et les adénopathies sont exceptionnelles.

L’examen cutané cervicofacial et général permet de vérifier l’absence d’un mélanome cutané, confortant ainsi le caractère primitif du mélanome main muqueux nasosinusien. L’endoscopie, nasale permet un bilan topographique (siège), une évaluation de l’extension tumorale (postérieure vers le nasopharynx) et la pratique de biopsies.

L’imagerie est un élément fondamental dans la décision thérapeutique. La tomodensitométrie (avec et sans injection) comporte des coupes horizontales permettant d’étudier l’extension tumorale au niveau du cavum, sphénoïde, fosse infra temporale mais aussi l’atteinte du septum, de la cloison intersinusonasale. Les coupes frontales permettent d’étudier l’extension verticale de la tumeur (lame criblée, plancher de l’orbite, palais). L’IRM est plus performante pour préciser les limites des extensions dans les cavités sinusiennes (la rétention liquidienne se manifeste par un hypersignal) et extranasosinusiennes (séquence T1 sans et avec gadolinium et soustraction de graisse). Elle est également plus performante pour le bilan d’extension orbitaire (graisse et muscles oculomoteurs), à la fosse infratemporale (graisse, muscles) et au sinus caverneux.

Un bilan général de la maladie est réalisé, il comprend une radiographie pulmonaire, une échographie abdominopelvienne et une scintigraphie osseuse.

Il n’y a pas de classification consensuelle pour les mélanomes malins muqueux. La classification de Micheau et Marandas a l’avantage de la simplicité : stade I : local, stade II : régional, stade III : général [2]. Elle est peu précise et ne permet pas de prévisions pronostiques selon la taille de la tumeur, les critères histologiques, le siège et l’extension.

La chirurgie constitue l'essentiel du traitement, elle est menée par un abord large, privilégié par l’ensemble des auteurs: paralatéronasale, degloving, voies mixtes ORL et neurochirurgicales en cas d’extension haute, qui permet une exérèse large, avec une marge de sécurité de 2 cm au minimum, une bonne exposition de la région naso-sinusienne et le contrôle de l'extension tumorale [2].

Pour Thompson et collaborateurs [3], une exérèse chirurgicale mutilante n'est pas justifiée dans cette affection dont le pronostic est incertain.

La radiothérapie est préconisée, par certains auteurs dans les formes inopérables, en cas d'exérèse chirurgicale incomplète et dans les formes récidivantes [7]. La dose délivrée varie de 50 à 60 Gy.

L'attitude vis-à-vis des aires ganglionnaires reste controversée [3] [8]. Certains auteurs préconisent le curage uniquement en cas d'adénopathies palpables.

L’évolution est souvent défavorable. Les récidives se voient dans 60 à 80% des cas. Le taux de survie à 5 ans varie de 10 à 47% [1] [2]. Les métastases sont fréquentes et se voient surtout au niveau des poumons, du cerveau et du foie. Elles sont rares au moment du diagnostic mais sont rencontrées dans 40 à 50% des cas au cours de l’évolution. Les facteurs pronostiques cliniques sont la taille de la tumeur, les récidives et les métastases ganglionnaires et à distance. Les prédicteurs histologiques de mauvais pronostic sont l’extension de la tumeur dans les tissus profonds, la présence d’une composante indifférenciée (petites cellules ou cellules bizarres) supérieure à 25%, une architecture papillaire ou sarcomatoïde, la présence de nécrose et les emboles vasculaires [1].

La surveillance est capitale, trimestrielle la première année, semestrielle la deuxième année, annuelle à partir de la troisième année. Elle comprend une endoscopie nasale avec un examen cervical (aires ganglionnaires), une IRM ou une tomodensitométrie cérébrale et du massif facial, une radiographie du thorax et une échographie abdominopelvienne.

Conclusion

Malgré la rareté, le mélanome des fosses nasales requiert un interet particulier vu son mauvais pronostic. De ce fait, il apparaît essentiel d’effectuer un examen rhinoscopique minutieux devant toute symptomatologie sinusienne trainante. La chirurgie demeure le traitement de première intention. La radiothérapie, en traitement adjuvant, semble améliorer le contrôle local selon certaines études. L’immunothérapie n’a pas fait preuve d’efficacité dans les formes muqueuses des mélanomes. La chimiothérapie est utile dans le contexte palliatif.

Références
  1. Rekik W, Goucha A, Hamdane M, Debbabi B, El May A, Gammoudi A. [Malignant melanoma of the nasal cavity]. Pan Afr Med J. 2012;12:68 pubmed
  2. Kharoubi S. [Malignant melanoma of nasal fossae: clinical and therapeutic considerations about three cases]. Cancer Radiother. 2005;9:99-103 pubmed
  3. Laraqui NZ et al. Le mélanome malin des fosses nasales : Médecine du Maghreb 1995 n° 50.
  4. Patrick R, Fenske N, Messina J. Primary mucosal melanoma. J Am Acad Dermatol. 2007;56:828-34 pubmed
  5. Thompson L, Wieneke J, Miettinen M. Sinonasal tract and nasopharyngeal melanomas: a clinicopathologic study of 115 cases with a proposed staging system. Am J Surg Pathol. 2003;27:594-611 pubmed
  6. El mahfoudi A. et al. Mélanome malin des fosses nasales (a propos d'un cas): Revue Marocaine du Cancer. 2011;3(2):29-33.
  7. Krengli M, Jereczek-Fossa B, Kaanders J, Masini L, Beldi D, Orecchia R. What is the role of radiotherapy in the treatment of mucosal melanoma of the head and neck?. Crit Rev Oncol Hematol. 2008;65:121-8 pubmed
  8. Castillo L, Poissonnet G, Haddad A, Dassonville O, Santini J, Demard F. Mélanomes malins nasosinusiens : bilan et stratégie thérapeutique. Cahiers d’ORL 1998:426–32 Tome XXXIII N°8.
ISSN : 2334-1009