Psoriasis lingual : à propos de deux observations pédiatriques
  1. Asmaa Dibi #
    Service de Pédiatrie IV- Hôpital d’Enfants de Rabat CHU Ibn Sina - Maroc
  2. Fatima Jabourik
    Service de Pédiatrie IV- Hôpital d’Enfants de Rabat - Maroc
  3. A Bentahila
    Service de Pédiatrie IV- Hôpital d’Enfants de Rabat - Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.699
Date
2014-04-14
Citer comme
Research fr 2014;1:699
Licence
Résumé

Introduction : Le psoriasis est une pathologie inflammatoire chronique qui représente environ 5 % des affections dermatologiques pédiatriques. Même si les manifestations cutanées du psoriasis sont bien décrites, les données sur son implication orale surtout chez l’enfant restent limitées et rares. Nous rapportons dans ce travail deux observations pédiatriques de psoriasis lingual.

Observations : Il s’agit d’un garçon de 12 ans et d’une fille de 8 ans, qui présentaient de façon chronique une gêne alimentaire avec des douleurs linguales. L’examen de la langue a montré chez le garçon la présence de fissures avec de multiples sillons sur la face dorsale de la langue et des lésions érythémato-squameuses psoriasiques au niveau des membres inférieurs et chez la fille une langue surinfectée avec présence de plaques érythémateuses sur la face dorsale avec un aspect de carte géographique. Les anticorps antithyroïdiens étaient élevés avec TSH, T3 et T4 normaux chez les deux malades. Le traitement du psoriasis lingual était à base de bain de bouche avec une tamponnade linguale associée à une antibiothérapie dans le cas surinfecté.

Conclusion : Le psoriasis lingual chez l’enfant est une affection dermatologique inflammatoire chronique rare qui est resté ignoré pendant longtemps. La principale manifestation clinique est la langue géographique. Le pronostic est heureusement bénin dans l’immense majorité des cas justifiant un traitement non agressif.

English Abstract

Introduction: Psoriasis is a chronic inflammatory disease that represents about 5% of pediatric dermatological diseases. Although cutaneous manifestations of psoriasis are well described, data on its oral involvement, especially in children are limited and rare. We report two cases of pediatric lingual psoriasis.

Cases report: A 12 year boy and an 8 year girl who had chronically food discomfort with lingual pain. The examination of the boy showed cracks with multiple grooves on the dorsum of the tongue and erythematous scaly lesions of psoriasis in the lower limbs. Whereas the girl had a superinfected tongue with erythematous plaques on the dorsum and a geographic aspect. Thyroid antibodies were elevated with normal TSH, T3 and T4 in both patients. The lingual psoriasis treatment was based on mouthwash with lingual tapenade combined with antibiotic therapy in the superinfected tongue case.

Conclusion: The lingual psoriasis in children is an uncommon chronic inflammatory skin disease that was ignored for a long time. The main clinical manifestation is geographic tongue. The prognosis is fortunately benign in the vast majority of cases for which treatment should not be aggressive.

Introduction

Le psoriasis est une pathologie inflammatoire chronique qui représente environ 5 % des affections dermatologiques pédiatriques [1]. Même si les manifestations cutanées du psoriasis sont bien décrites, les données sur son implication orale surtout chez l’enfant restent limitées. Pendant de nombreuses années, il a été affirmé que le psoriasis n'affecte pas la muqueuse buccale. Aujourd'hui l'implication de la cavité buccale est bien admise bien que rare. Nous abordons dans ce travail par le biais de deux observations et une revue de la littérature certains aspects étiopathogéniques, cliniques et thérapeutiques de cette affection linguale mal connue chez l’enfant.

Psoriasis lingual : à propos de deux observations pédiatriques Figure 1
Figure 1. Présence de multiples sillons sur la face dorsale de la langue.
Observations
Observation 1 :

Il s’agit d’un garçon âgé de 12 ans, issu d’un mariage consanguin, ayant une notion de dermatite cutanée traitée depuis l’âge de 2 mois par des dermocorticoïdes, sa mère était suivie pour une thyroïdite. L’enfant présentait de façon chronique une gêne alimentaire avec des douleurs linguales en rapport surtout avec les aliments acides et pimentés, concomitantes à l’apparition des lésions érythémato-squameuses prurigineuses au niveau des membres inférieurs qui évoluaient par poussées. L’examen clinique a trouvé un enfant apyrétique, en bon état général, avec des conjonctives légèrement décolorées. L’examen de la langue a montré la présence de fissures avec de multiples sillons sur la face dorsale de la langue (Figure1). L’examen cutané a trouvé une peau sèche sans xérose, des lésions érythémato-squameuses au niveau des membres inférieurs (zone prétibiale) d’allure psoriasique et quelques lésions de grattage au niveau des avant-bras (Figure2). Les examens complémentaires ont montré une anémie hypochrome microcytaire avec ferritinémie basse, une fonction hépatique et rénale normale, une glycémie normale, une protidémie à 80 g/l, une VS à 24 la première heure, le fibrinogène à 6,2g/dl, TSH, T3 et T4 normaux, les anticorps antithyroïdiens étaient élevés. La radiographie du poumon et l’échographie cervicale étaient sans particularité.

Psoriasis lingual : à propos de deux observations pédiatriques Figure 2
Figure 2. Lésions érythémato-squameuses au niveau des membres inférieurs d’allure psoriasique.

Le patient a été traité pour son psoriasis cutané par un dermocorticoïde, un émollient, une crème hydratante, une crème lavante antiseptique à PH neutre. Pour le psoriasis lingual il a eu un bain de bouche avec une tamponnade linguale.

Observation 2 :

Il s’agissait d’une fille âgée de 8 ans, issue de mariage consanguin, son père était suivi pour un psoriasis. La patiente était traitée depuis l’âge de 6 mois pour une candidose buccale. Elle avait une gêne alimentaire chronique avec douleurs et picotements lors du contact avec tout aliment. Elle avait présenté plusieurs poussées par an, non améliorées sous traitement symptomatique. L’examen lingual a montré une langue surinfectée avec présence de plaques érythémateuses sur la face latéro-dorsale avec un aspect de « carte géographique » (Figure3). Le reste de l’examen cutanéo-muqueux était normal. L’examen ganglionnaire a trouvé une adénopathie sous-angulo-maxillaire. Les examens complémentaires ont montré une fonction hépatique et rénale normale, une protidémie : 75g /l, une VS à 18 à la première heure, le fibrinogène à 5.6g/dl. TSH, T3 et T4 normaux, Ac antithyroïdiens élevés. L’échographie cervicale a objectivé une hypertrophie du lobe thyroïdien droit, la scintigraphie a montré une fixation homogène avec hypertrophie du lobe droit. L’examen histologique de la langue a montré la disparition des papilles avec infiltrat inflammatoire lympho-plasmocytaire et des micro-abcès. Le diagnostic du psoriasis lingual isolé a été retenu. La malade a eu un traitement à base de sérum bicarbonaté, un antiseptique buccal, un antifongique local et un macrolide pendant 2 semaines suivie d’une corticothérapie orale après la guérison de la surinfection.

Psoriasis lingual : à propos de deux observations pédiatriques Figure 3
Figure 3. langue surinfectée avec présence de plaques érythémateuses sur la face latéro-dorsale.
Discussion

Le psoriasis lingual chez l’enfant est une affection dermatologique inflammatoire chronique rare qui est resté longtemps ignoré. L’incidence réelle de cette dermatose a été sous-estimée du fait de la méconnaissance de ses expressions cliniques.

C’est à partir de 1903 qu’on commençait à rattacher certaines lésions orales au psoriasis, et actuellement, c’est une entité bien admise par les dermatologues. Sa prévalence, dans la population générale, oscille entre 1 et 2,5 p. 100, avec une prédilection chez l'enfant [2]. Dans notre cas nous n’avons vu que deux enfants porteurs de cette affection sur une période de deux ans soit un cas par an.

L’étiologie de la maladie est inconnue mais divers facteurs sont impliqués. Dans nos deux observations la consanguinité était présente et l’un des enfants avait le père suivi pour psoriasis et les deux patients ont eu un taux d’anticorps antithyroïdiens élevé ce qui renforce l’implication des facteurs héréditaires mais aussi immunologiques cités dans la littérature en particulier l'association fréquente à l'antigène HLA Cw6 [3].

La langue géographique est une des manifestations les plus fréquentes et les plus connues du psoriasis oral puisqu’elle est quatre fois plus fréquente chez les enfants atteints de psoriasis que dans la population générale [1] [4]. Initialement, il a été avancé que la langue géographique était plus volontiers associée au psoriasis pustuleux [5], puisque un aspect de langue géographique est rapporté dans 10 p. 100 des cas de psoriasis commun et jusqu'à 80 à 100 p. 100 des cas de psoriasis pustuleux généralisé [6], vs 2,5 p. 100 de la population générale, cependant, deux cas de langue géographique associée à un psoriasis non pustuleux ont été récemment décrits [7]. Dans nos observations, le premier malade a présenté une langue fissurée associée à un psoriasis cutané et le deuxième une langue géographique isolée. En fait, pour certains, la langue géographique pourrait exister seule, sans manifestations cutanées associées et constituer par elle-même la forme orale du psoriasis [5]. La langue géographique est caractérisée par des lésions érythémateuses squameuses sur la face dorsale de la langue, leur disposition irrégulière, usuellement sur la partie latéro-dorsale de la langue, réalise l'aspect classique en « carte de géographie ». Chaque lésion comporte une bordure surélevée blanc-jaune, et un centre inflammatoire lisse, correspondant à la disparition des papilles filiformes. L'existence de petites mottes rouges, éparses, dans cette zone dénudée, traduit la persistance des papilles fongiformes. Ces lésions se déplacent au cours de la journée, justifiant l'appellation de glossite migratoire bénigne. Plus apparentes le matin, avec une progression moyenne de 0,5 mm par jour, leur évolution dans le temps et dans l'espace reste variable et imprévisible [8]. La glossite ne s'accompagne généralement pas de signes fonctionnels ou se limite, tout au plus, à des sensations de goût métallique, de brûlures au contact d'aliments chauds ou épicés, voire de xérostomie. Sigal et Mock ont cependant rapporté 2 cas avec une dysphagie et des douleurs insomniantes chez l'enfant [9].

Dans les autres formes de psoriasis, la langue plicaturée appelée aussi langue scrotale ou fissurée est la plus fréquente [10]. Elle se présente par de multiples sillons sur la face dorsale de la langue à différencier principalement des candidoses buccales, le lichen, et l’hamartome spongieux muqueux. Il existe souvent une fissure médiane profonde, à partir de cette fissure médiane, partent de nombreuses fissures transversales, obliques et longitudinales.

Les aspects histologiques varient dans le temps et dans l'espace, parallèlement aux changements cliniques [11]. L’immunohistochimie montre un aspect superposable à celui du psoriasis. Les caractères histologiques d’une lésion psoriasique orale ne sont pas tres différentes de ceux d’une lésion cutanée. Les principales modifications sont l’élongation des crêtes épithéliales avec épaississement de leur base, l’œdème des papilles, l’amincissement relatif du corps muqueux de Malpighi suprapapillaire avec présence minime de pustules spongiformes au début, et plus tard d’une exfoliation et d’un affaissement des papilles, l’absence de cellules granuleuses, la parakératose, l’infiltration du chorion et des papilles par des cellules inflammatoires, surtout des neutrophiles, la dilatation des vaisseaux [12].

Chez nos deux patients, le diagnostic était essentiellement clinique pour le cas de langue fissurée alors que pour la langue géographique un examen histologique était nécessaire pour éliminer les autres pathologies de la langue notamment la candidose et le lichen, vue que la lésion linguale était surinfectée et sans association cutanée.

La prise en charge du psoriasis lingual associé au psoriasis cutané est associée au traitement du psoriasis, quand il est isolé le traitement est surtout symptomatique par des topiques à base de rétinoïdes, antihistaminiques, anti-inflammatoires et antiseptiques, et l’éviction des produits et aliments irritants. Parfois il se complique de surinfection ou lichénification ce qui nécessite un traitement spécifique. Actuellement, il n’existe pas de traitement capable d’empêcher l’apparition de cette maladie qui évolue par poussées et qui est généralement de bon pronostic.

Références
  1. Migliari D, Penha S, Marques M, Matthews R. Considerations on the diagnosis of oral psoriasis: a case report. Med Oral. 2004;9:300-3 pubmed
  2. Clabaut A, Viseux V. [Management of childhood psoriasis]. Ann Dermatol Venereol. 2010;137:408-15; quiz 401, 417 pubmed publisher
  3. Gonzaga H, Torres E, Alchorne M, Gerbase Delima M. Both psoriasis and benign migratory glossitis are associated with HLA-Cw6. Br J Dermatol. 1996;135:368-70 pubmed
  4. Tomba R, Hajja H, Nehme E. Manifestations buccales du psoriasisAnnales de dermatologie et de vénéréologie 2010 ; 137 : 695-702.
  5. Femiano F. Geographic tongue (migrant glossitis) and psoriasis. Minerva Stomatol. 2001;50:213-7 pubmed
  6. Zachariae H. Pathologic findings in internal organs in psoriasis. Int J Dermatol. 1994;33:323-6 pubmed
  7. Yamamoto T, Nishioka K. Oral psoriasis in a patient with hepatitis C virus infection. Eur J Dermatol. 2002;12:75-6 pubmed
  8. Grosshans E, Gerber F. [Kinetics of lesions in geographic tongue]. Ann Dermatol Venereol. 1983;110:1037-40 pubmed
  9. Sigal M, Mock D. Symptomatic benign migratory glossitis: report of two cases and literature review. Pediatr Dent. 1992;14:392-6 pubmed
  10. Guilhou JJ. Le psoriasis. Dermatologie et infections sexuellement transmissibles. 4e édition Paris: Masson; 2004. p. 272-3.
  11. Marks R, Radden BG. Geographic tongue : a clinicopathological review. Aust J Derm 1981; 22:75-9.
  12. Fischman S, Barnett M, Nisengard R. Histopathologic, ultrastructural, and immunologic findings in an oral psoriatic lesion. Oral Surg Oral Med Oral Pathol. 1977;44:253-60 pubmed
ISSN : 2334-1009