Leucinose : A propos de 3 cas
M Kmari (kmarimohamed at yahoo dot fr) #, R Abilkassem, A Agadr
Service de Pédiatrie, Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V, Faculté de médecine et de pharmacie de Rabat , Université Mohammed V Rabat, Rabat, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.6.2677
Date
2019-01-21
Citer comme
Research fr 2019;6:2677
Licence
Résumé

Introduction : La leucinose est une aminoacidopathie liée à un déficit des alpha cétodécarboxylases des acides aminées ramifiés (Leucine, Isoleucine et Valine). L’objectif de cette étude a été d’évaluer les aspects cliniques, thérapeutiques et évolutifs de cette aminoacidopathie. Patients et méthodes : Il s’agissait d’une étude rétrospective de 3 observations colligées au sein du service de pédiatrie à l’Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V de Rabat. Résultats : Il s’agissait de 3 cas cliniques dont deux nouveau-nés et un nourrisson. Les 3 patients présentaient une détresse neurologique avec hypotonie et convulsions. Le diagnostic était confirmé par la chromatographie des acides aminés. La prise en charge thérapeutique reposait sur un régime alimentaire strictement limité en acides aminés ramifiés. Cette prise en charge était entravée par la difficulté d’acquérir le lait de régime (coût et non disponibilité). L’évolution était fatale chez les trois patients. Conclusion: C’est une maladie rare, engageant le pronostic vital d’où l’intérêt d’un diagnostic précoce à défaut d’un diagnostic prénatal.

English Abstract

Introduction: Leucinosis is an amino acid deficiency related to alpha-ketodecarboxylase deficiency of branched amino acids (Leucine, Isoleucine and Valine). This retrospective study aims to evaluate the clinical, therapeutic and evolutionary aspects of this aminoacidopathy. Results: There were three cases including two newborns and one infant. All patients had neurological distress with hypotonia and convulsions. Chromatography of amino acids confirmed the diagnosis. Patients were put on a strictly limited diet of branched amino acids, although this care was hampered by the difficulty of acquiring diet milk due to cost and availability. All three patients died. Conclusion: It is a rare, life-threatening disease, and hence early diagnosis is essential in the absence of prenatal diagnosis.

Introduction

La leucinose est une maladie métabolique rare, de transmission autosomique récessive, secondaire à un déficit en alpha-cétodécarboxylase des acides aminés ramifiés [1]. Nous rapportons trois cas cliniques afin d’étudier les différents aspects cliniques, paracliniques et thérapeutiques de cette affection rare.

Patients et méthodes
Observation 1

Nouveau né à j4 de vie, de sexe masculin, issu d’un mariage consanguin de 1er degré, né à terme avec une bonne adaptation à la vie extra-utérine. Il a présenté un refus de tétée à j 4 de vie suivi d’un état de mal convulsif et une hypotonie généralisée avec une odeur particulière des urines (sirop d’érable). La tomodensitométrie cérébrale (TDM) était normale ainsi que le bilan infectieux. L’électroencéphalogramme (EEG) a montré un aspect de suppression BURST, la chromatographie des acides aminées dans le sang et les urines trouvait une concentration élevée en acides aminés: Valine, Leucine et Isoleucine confirmant le diagnostic de Leucinose. Il a été mis sous un régime diététique limité en acides aminés ramifiés (MSUD). L’évolution a été marquée par le décès à l’âge de 1 mois et demi après une décompensation aigue.

Observation 2

Un nourrisson d’un mois de sexe féminin, de parents consanguins, né à terme avec une bonne adaptation à la vie extra-utérine. Il a présenté à j9 de vie une hypotonie généralisée avec des crises convulsives type boxage et pédalage avec une oedeur particulière des urines (sirop d’érable), compliqué d’un état de mal convulsif nécessitant une ventilation invasive, un bilan infectieux revenu négatif ainsi que la TDM cérébrale, l’EEG a objectivait un aspect de convulsion bénigne, la chromatographie des acides aminés a montré une élévation de taux des acides aminés ramifiés : Leucine, Isoleucine et Valine confirmant le diagnostic de la Leucinose. Un traitement à base d’une composition d’acides aminés sans acides aminés ramifiés a été instauré mais l’évolution était fatale à cause décompensation aigue.

Observation 3

Nourrisson de 14 mois, né à terme, cri immédiat, de parent consanguin 1er degré avec un décès dans la fratrie à j10, admis pour un état de mal convulsif avec détresse respiratoire, une hypotonie, une hypoglycémie avec une odeur particulière des urines (sirop d’érable), le bilan infectieux est négatif, la gazométrie a objectivé une acidose respiratoire sévère, l’EEG était en faveur d’une covulsion bénigne, le reste du bilan métabolique était normal en dehors d’une cytolyse hépatique modérée. La chromatographie des acides aminés a montré une élévation plasmatique de la Valine, l’Isoleucine et de la Leucine avec présence de d’allo-isoleucine posant le diagnostic de la leucinose dans sa forme modérée. Une diète à base de Lait de régime limité en acides aminés ramifiés été instaurés avec bonne évolution.

Discussion

La leucinose ou maladie des urines à odeur de sirop d’érable est une aminoacidopathie liée à un déficit des alpha cétodécarboxylases des acides aminés ramifiés (Leucine, Isoleucine, Valine) entrainant un blocage enzymatique au niveau de la décarboxylation oxydative de ces trois acides aminés avec leur accumulation dans le sang, les urines et les tissus accompagnés des cétoacides correspondants (Figure 1) [1]. C’est une maladie rare dont la fréquence est estimée à 1/200000 naissances, décrite pour la première fois par Menkes en 1954 et se transmet sur le mode autosomique récessif [2].

Les décompensations sévères sont dues à un excès d’acides aminés ramifiés secondaire soit à une charge orale en protéines, soit le plus souvent à un catabolisme protéique endogène accru, provoqué en période néonatale par un stress physiologique, ou plus tard par un jeûne prolongé, une infection, une intervention chirurgicale, une anesthésie, une corticothérapie ou une chimiothérapie [3]. Il existe un risque de décompensation aiguë sévère dès que la leucinémie dépasse 80 mol/l [4].

On distingue différentes formes cliniques :

  • La forme classique à début néonatale est une forme grave, répondant à un déficit enzymatique subtotal (moins de 1 % d’activité résiduelle), et se manifestant dans la première semaine de vie après intervalle libre de 3 à 5 jours par des troubles de conscience, un refus de téter, des signes neurologiques d’intoxication (l’hypertonie périphérique, les mouvements anormaux à type de pédalage ou boxage et un syndrome pyramidal) accompagnés de l’odeur caractéristiques des urines (sirop d’érable, caramel brûlé). Cette forme représente la détresse neurologique métabolique néonatale type I ( c’est le cas de nos observations 1 et 2). Le taux de leucine dépasse généralement 26 mg /100 ml, alors que ceux de la valine et isoleucine sont moins élevés. Cette forme est illustrée par les deux premières observations [5].
  • La forme subaiguë à révélation plus tardive, dans les premiers mois de la vie, correspond à une activité résiduelle supérieure en cétodécarboxylase (1 à 3 % pour Morton et al. [5], 3 à 30 % pour Strauss et al. [6] ), le tableau est celui d’une encéphalopathie avec retard mental, hypotonie majeure, rejet de la tête en arrière et atrophie cérébrale comme l’illustre notre 3ème observation [7].
  • La forme intermittente, qui peut survenir à tout âge, correspond à une activité résiduelle allant jusqu’à 20 % [8]. Ces patients tolèrent généralement un régime normal en leucine. Ils peuvent présenter un tableau clinique classique de leucinose lors de situations d’hypercatabolisme protéique. Les anomalies biochimiques sont présentes uniquement au moment de ces accès [9].
  • La forme thiamine-sensible est exceptionnelle. Elle est caractérisée par la normalisation spectaculaire en quelques jours des taux de leucine sous thiamine (vitamine B1) à la dose de 20 à 50 mg par 24 heures [9].

Par ailleurs la notion de consanguinité au 1er degré était notée dans tous les cas. L’existence de mort dans la fratrie est retrouvée dans une observation. La détresse neurologique prend le devant du tableau clinique dans tous les cas ainsi que l’odeur particulière des urines .L’acidose métabolique avec l’hypotrophie sont notées dans une observation qui correspond à la forme subaigüe.

Le diagnostic positif repose sur l’élévation plasmatique et urinaire de la Leucine, Isoleucine et Valine avec présence d’alloisoleucine [2, 3]. Dans notre série, La chromatographie des acides aminés a été réalisée chez tous nos malades confirmant le diagnostic par l’élévation de la leucine, de l’isoleucine et de la valine. L’Electroencéphalogramme a objectivé l’aspect de suppression BURST chez le 1er patient. A noter que l’analyse moléculaire par la recherche de mutation de l’alfacétoacide déshydrogénase, qui a quatre sous-unités composantes (E1a, E1b, E2, E3), confirme le diagnostic [2, 10].

Le traitement a pour objectif de limiter l’accumulation des dérivés toxiques en amont du blocage enzymatique, en freinant la production de ces dérivés (protéolyse et apports alimentaires) et en favorisant leur utilisation (synthèse protéique) [10]. La précocité de mise en œuvre du traitement est un facteur pronostique déterminant sur la morbi-mortalité [11].

Lors des formes à début néonatal, si le traitement a débuté avant 72 heures de vie, la morbi-mortalité et le coût hospitalier sont réduits [1].

Le traitement d’urgence de la forme aiguë repose sur l’alimentation entérale hypercalorique dépourvu des acides aminés ramifiés de même que le traitement au long cours repose sur le régime diététique strictement limité en acides aminés ramifiés qui doit être poursuivi à vie [4].

Ce régime a été prescrit chez tous nos malades, mais non poursuivi devant la difficulté de l’acquérir dans notre contexte.

Le traitement du nourrisson dans la forme néonatale [1] et le traitement des décompensations aiguës lors d’épisodes de catabolisme protéique se font en hospitalisation et reposent, en urgence et à tout âge, sur :

  • Le traitement de la cause de la décompensation (sauf bien entendu dans le traitement de la forme néonatale où la cause principale est le stress métabolique induit par la naissance) [9].
  • Le traitement d’éventuels vomissements associés [10] après correction des troubles hémodynamiques et ioniques du patient, ce qui peut nécessiter 24 à 48 heures, l’apport d’une alimentation artificielle.

hypercalorique, glucido-lipidique et sans acides aminés [11]. Une insulinothérapie continue peut être nécessaire en fonction de la tolérance glucidique. La voie d’administration est choisie en fonction de la sévérité du tableau initial. En pratique, on peut initialement mettre en place une nutrition parentérale sur cathéter central puis progressivement passer à une nutrition entérale en fonction de la tolérance digestive [11].

L’apport nutritionnel doit couvrir les besoins hydriques adaptés à l’âge et au poids du patient, les besoins caloriques avec un rapport glucides/lipides équilibré (35 à 50 % de lipides) [7], les besoins en vitamines, minéraux et oligoéléments [11]. Pour une nutrition entérale, l’utilisation d’un nutriment glucido-lipidique contenant oligoéléments, vitamines et minéraux facilite la mise en route du traitement. Le régime sans protéines doit être transitoire (environ 48 heures), car son maintien prolongé engendrerait une carence en acides aminés essentiels [11].

La phase suivante consiste à réintroduire progressivement les protéines. Un apport de 0,8 g/kg par jour doit permettre de couvrir les besoins de base en acides aminés essentiels [12]. En fonction de la voie d’administration, on peut utiliser, en nutrition parentérale, un mélange d’acides aminés à 10 % (8 ml/kg par jour) ou en nutrition entérale, un ajout de lait adapté à l’âge de l’enfant ou un mélange de nutrition entérale [11]. Les apports hydriques, glucido-lipidiques, vitaminiques, en minéraux et en oligoéléments doivent être maintenus [13].

l’épuration exogène (dialyse péritonéale, exsanguino-transfusion, ou d’une manière plus optimale hémodialyse ou hémofiltration) [7, 13], dont les indications sont : les diagnostics tardifs (supérieurs à dix jours de vie) avec intoxication massive, l’aggravation des signes neurologiques malgré un traitement médical et diététique bien conduit ou une concentration plasmatique de leucine supérieure à 1700 mol/l [14].

L’objectif du traitement est une décroissance de la concentration en leucine qui doit être inférieure à 750 mol/L en 24 heures, une concentration plasmatique en valine et en iso-leucine inférieure à 400–600 mol/L et une natrémie normale [5, 11, 14].

Traitement au long cours repose sur une prise en charge diététique associée à des supplémentations.

Chez le nourrisson, les besoins sont couverts par le lait maternel ou artificiel (dont la quantité est calculée à partir de l’apport souhaité en leucine), complété avec un « lait de régime dépourvu de leucine, isoleucine et valine, disponible sur prescription médicale . La diversification est ensuite faite avec un apport contrôlé en fruits et les légumes (apports en leucine, isoleucine et valine), et toujours complétée par une supplémentation en autres acides aminés essentiels [9, 14].

La surveillance est basée sur la clinique (croissance staturo-pondérale, développement psychomoteur, absence de signes d’intoxication...) et biologique (dosages répétés des acides aminés ramifiés, bilan nutritionnels…) [9]. Des tests neurocognitifs doivent être proposés en cas de mauvaises performances scolaires [10].

L’évolution dépend de la forme clinique, dans la forme à début néonatale l’évolution sans traitement est caractérisée par l’aggravation rapide vers un coma profond et plus au moins grave pour la forme subaiguë ce qui concorde avec les résultats de nos observations [13].

La recherche de mutations doit être proposée chez les deux parents d’un enfant atteint. Le diagnostic prénatal pour les grossesses à risque est possible par amniocentèse entre 15 et18 semaines de grossesse [14].

Conclusion

La leucinose est une maladie rare, mettant en jeu le pronostic vital par le biais d’une décompensation aigue. Le diagnostic précoce s’impose à fin de mettre en route le régime diététique strictement limité en acides aminés ramifiés à vie. Dans notre contexte, le diagnostic de leucinose reste difficile et sa prise en charge est entravée par la difficulté d’acquérir le lait de régime (coût et non disponibilité).

Déclaration
Conflits d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts.

Contribution des auteurs

Tous les auteurs ont contribué à la réalisation de ce travail et ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.

Références
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