Métastases cutanées tardives du carcinome urothélial de la vessie : à propos d’un cas et revue de la littérature
Lamiae Amaadour #, Mariam Benhami, Zineb Benbrahim, Fatimazahra El Mrabet, Samia Arifi, Nawfel Mellas
Service d’oncologie médicale, Centre hospitalier universitaire Hassan II de Fès, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.4.2401
Date
2017-11-24
Citer comme
Research fr 2017;4:2401
Licence
Résumé

Introduction : Les métastases cutanées des carcinomes urothéliaux de la vessie représentent une entité clinique rare, de pronostic défavorable. Observation : Il s’agissait d’un patient âgé de 54 ans, qui présentait un carcinome urothélial infiltrant de la vessie pT2. Une cystoprostatectomie radicale était réalisée. Après 11 ans, il avait consulté pour des lésions cutanées diffuses. L’étude anatomopathologique a révélé des métastases cutanées d’un carcinome urothélial de la vessie. Le patient fût décédé quelques semaines plus tard. Conclusion : Le diagnostic de métastases cutanées doit toujours être évoqué devant des lésions de la peau chez les patients ayant un antécédent de cancer même des années après le diagnostic de la tumeur primitive.

English Abstract

Introduction: Cutaneous metastases of bladder urothelial carcinoma are a rare condition with poor prognosis. Case: A 54 year-old patient was diagnosed with infiltrative urothelial carcinoma of the bladder pT2. A radical cystoprostatectomy was performed. Eleven years later, the patient presented diffuse cutaneous lesions. Histological examination revealed cutaneous metastases from bladder urothelial carcinoma. The patient died few weeks later. Conclusion: Metastatic disease should always be considered in the differential diagnosis in patients with a previous history of bladder cancer who present cutaneous nodules, even many years after the initial diagnosis of cancer at the primary site.

Introduction

Les métastases cutanées des tumeurs solides représentent une localisation secondaire peu fréquente. Leur incidence varie entre 0,2 à 10,4% [1]. Celles dues aux cancers d’origine génito-urinaire sont encore plus rares, et sont observées dans 1,1% à 2,5% des cas [2]. Les tumeurs rénales sont les tumeurs primitives le plus fréquemment en cause [3]. Par contre, les métastases cutanées d’origine vésicale sont extrêmement rares et de mauvais pronostic. Leur incidence est de l’ordre de 0,22% [4]. Les métastases cutanées d’origine génito-urinaire se présentent souvent sous forme de plaques infiltrantes ou nodules [5]. Elles peuvent survenir quelques mois ou moins, voir des années après le diagnostic de la tumeur primitive. Nous rapportons à travers cette observation un des rares cas décrits dans la littérature concernant la survenue de métastases cutanées secondaire à un carcinome urothélial de la vessie des années après la tumeur primitive.

Métastases cutanées tardives du carcinome urothélial de la vessie : à propos d’un cas et revue de la littérature Figure 1
Figure 1. Image histologique montrant une prolifération tumorale faite de petits massifs de cellules cohésives entourées par un stroma fibreux (HE, x 100)
Observation

Il s’agissait d’un patient âgé de 54 ans, tabagique chronique à 30 paquets-années, qui fût initialement admis au service d’urologie pour prise en charge d’une hématurie totale caillotante évoluant depuis 5 mois. Le patient a bénéficié d’une résection trans-urétrale biopsique dont l’étude anatomopathologique a conclu à un carcinome urothélial infiltrant le muscle classé pT2. Le scanner thoraco-abdomino-pelvien réalisé dans le cadre du bilan d’extension à distance n’a pas objectivé de localisation secondaire. Le patient a subi une cystoprostatectomie totale avec curage ganglionnaire ilio-obturateur bilatéral sans traitement néoadjuvant préalable. L’étude anatomopathologique de la pièce opératoire est revenue en faveur d’un carcinome urothélial infiltrant pT2aN0, grade 3 de l’OMS. Les limites de résection tumorale étaient saines. Le patient était adressé en consultation d’oncologie pour éventuel traitement adjuvant. En l’absence d’indication, il fût mis sous surveillance et Il est resté en rémission complète pendant 12 mois. Le patient fût perdu de vue avant de se présenter 11 ans plus tard à la consultation après altération de son état général. A l’examen clinique ont été notées des lésions cutanées nodulaires diffuses intéressant le visage, le tronc et les membres, chez un patient avec un performance status à 3.

Métastases cutanées tardives du carcinome urothélial de la vessie : à propos d’un cas et revue de la littérature Figure 2
Figure 2. Image histologique montrant des cellules tumorales modérèment irrégulières avec des cytoplasmes clairs et comportent des mitoses (HE, X 400)

Une biopsie cutanée a été réalisée et a montré une métastase cutanée compatible avec une origine urothéliale (figures 1, 2).

Un bilan d’extension consistant en un scanner thoraco-abdomino-pelvien a été réalisé et a objectivé des métastases ganglionnaires et hépatiques diffuses. Des soins palliatifs ont été instaurés. Le patient fût décédé quelques semaines plus tard.

Discussion

Les métastases cutanées des carcinomes urothéliaux de la vessie sont extrêmement rares [6]. Elles sont directement liées au degré d’infiltration de la tumeur, sa taille et son grade [6, 7]. Néanmois, elles peuvent être aussi secondaires à des tumeurs primitives superficielles et invasives [7, 8]. Les métastases cutanées surviennent le plus souvent quelques mois ou moins voir des années après la découverte de tumeur primitive [9]. Selon les données de la littérature, elles apparaissent après un délai moyen de 18 mois [10]. Un seul cas de métastases cutanées survenues plusieurs années (10 ans) après le diagnostic de la tumeur primitive était rapporté dans la littérature. Notre cas en est le second. Les sites métastatiques d’origine uro-génitale les plus fréquemment observés sont les ganglions lymphatiques régionaux, le foie, le poumon, et l’os. La dissémination métastatique peut se faire par voie hématogène, lymphatique, par contiguïté, ou par manipulation iatrogène à l’origine de l’implantation de cellules tumorales. Ce dernier mécanisme est le plus fréquemment responsable de métastases cutanées [2, 3, 11].

Les métastases cutanées peuvent revêtir différents aspects cliniques non spécifiques, expliquant ainsi le retard diagnostique de la tumeur en cause. Il peut s’agir de lésions inflammatoires de type érysipéloïdes, de plaques infiltrantes parfois ulcérées, de lésions scléreuses ou des nodules cutanés ou sous cutanés comme dans le cas de notre patient [3, 5]. Ceci dit, elles peuvent mimer plusieurs d’autres lésions dermatologiques. Il peut s’agir d’une seule lésion nodulaire, ou de multiples nodules cutanés [3]. Leurs sièges de prédilection sont la face, le cou, le tronc ou les extrémités [2, 10].

L’étude anatomo-pathologique, qui se fait suite à une biopsie, permet de confirmer la nature secondaire des lésions cutanées. Elle permet de montrer des nids de cellules malignes avec un cytoplasme éosinophile. La plupart de ces cellules expriment à l’étude immunohistochimique les cytokératines 7 et 20. Des études ont montré que l’uroplakine III peut être détectée dans 50 à 60% des carcinomes urothéliaux primaires et des carcinomes métastasiques d’origine urothélial [10, 12].

Le traitement des métastases cutanées d’origine urothéliale rejoint celui des autres formes métastatiques des tumeurs malignes de la vessie. La chimiothérapie palliative reste la seule option thérapeutique pour les patients qui peuvent la tolérer. L’objectif du traitement dans ces cas est de retarder l’évolution de la maladie tumorale en maintenant une bonne qualité de vie. Les combinaisons à base de cisplatine, notamment le protocole cisplatine/gemcitabine ou le protocole méthotrexate/vinblastine/doxorubicine/cisplatine, sont les standards thérapeutiques en cas de tumeur de la vessie localement avancée non résécable ou métastatique, chez les patients en bon état général (performance status inférieur à 2) [12]. En effet, la chimiothérapie palliative offre un taux de réponse tumorale jusqu’à 70%, mais la survie des patients reste médiocre ne dépassant pas 14 mois [11, 12].

D’autres options thérapeutiques s’offrent aux patients qui ne peuvent pas tolérer le cisplatine, notamment les associations à base carboplatine ou une monochimiothérapie à base de taxane ou de gemcitabine. Récemment, de nouvelles thérapies ciblées se sont révélées efficaces dans cette indication. En effet le pembrolizumab et l’atezolumab, anticorps monoclonaux ciblant le PD-1 (programmed cell death 1) et le PDL-1 (programmed cell death Ligand 1) respectivement, ont montré un bénéfice en survie chez les patients inéligibles à un traitement par cisplatine, avec un taux de réponse tumorale jusqu’à 27% [13, 14].

Dans le cas des patients avec un faible performance status (supérieur à 2), les soins palliatifs restent la seule option thérapeutique.

Les patients symptomatiques peuvent bénéficier d’une résection cutanée atypique [15]. La radiothérapie locale est aussi une option valable en cas de métastases cutanées symptomatiques ne répondant pas à la chimiothérapie.

Dans notre cas, le patient n’était pas éligible à une chimiothérapie palliative à cause de l’altération de son état général et l’évolution fatale de sa maladie.

Le pronostic des métastases cutanées d’origine uro-génitale, notamment rénale ou vésicale est péjoratif. Leur apparition est souvent prédictive d’une dissémination tumorale dans d’autres organes. La plupart des patients ont une survie qui n’excède pas généralement 12 mois [16].

Conclusion

Nous avons rapporté un rare cas de métastases cutanées ayant survenue très tardivement après le diagnostic initial d’un carcinome urothélial de la vessie. Ainsi, le diagnostic de métastases cutanées doit toujours être évoqué devant des lésions cutanées chez les patients ayant un antécédent de cancer. Dans la majorité des cas, comme chez notre patient, les soins palliatifs sont la seule option thérapeutique valable, et le pronostic est défavorable. Par conséquent, tout praticien, oncologue ou urologue doit rester vigilant par rapport à cette rare présentation clinique et même d’en informer les patients afin de permettre un diagnostic précoce et d’offrir les meilleures chances de traitement.

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ISSN : 2334-1009