Amylose laryngée : une cause rare de dysphonie chez le sujet âgé
Olfa Berriche1 (Olfaberriche at gmail dot com) #, Wafa Chebbi1, Sonia Hammami2, Sondes Arfa1, Nouha Hmida Ben3, Baha Zantour1, Mohamed Habib Sfar1
1 Service de médecine interne. Mahdia – Tunisie. 2 Service de médecine interne. Monastir – Tunisie. 3 Service ORL. Mahdia – Tunisie
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.922
Date
2014-06-29
Citer comme
Research fr 2014;1:922
Licence
Résumé

L'amylose localisée est caractérisée par un dépôt de protéines fibrillaires dans un site de l'organisme sans atteinte systémique. L’amylose laryngée est une forme localisée rare d’amylose. Le diagnostic est difficile et souvent retardé surtout chez le sujet âgé. Il doit être évoqué, en particulier, devant une dysphonie persistante inexpliquée. Cette observation est l’occasion de discuter de la forme à localisation laryngée de l’amylose, cette entité étant probablement sous-diagnostiquée particulièrement chez le sujet âgé.

English Abstract

Localized amyloidosis is characterized by the deposition of amyloid fibres in a particular site or organ system in the absence of systemic involvement. The larynx is a rare site of deposition for amyloidosis, especially in the elderly. Diagnosis may be delayed in patients with prolonged hoarseness. This case report illustrates the interest to suspect laryngeal amyloidosis in patients with a history of dysphonia and to discuss this entity that is probably underdiagnosed in older subjects.

Introduction

Les amyloses sont un groupe hétérogène de maladies liées à un dépôt extracellulaire de protéines capables d'adopter une conformation fibrillaire anormale. Elles peuvent être héréditaires ou acquises, localisées ou disséminées, asymptomatiques ou au contraire de pronostic redoutable [1] [2] [3].

Les amyloses localisées isolées sont rares et représentent moins de 10 % des amyloses, 22 cas sur 236 dans la série de la Mayo Clinic. Parmi celles-ci, les atteintes laryngées sont encore plus rares [4].

Nous en rapportons un cas rare de dysphonie inexpliquée trainante depuis trois ans, révélant une amylose laryngée chez une patiente de 67 ans. Par ailleurs, nous analyserons la littérature pour apprécier les caractéristiques de cette pathologie et son pronostic à long terme. Bien que cette atteinte soit rare, notre observation pourrait guider le clinicien averti pour permettre de dépister cette pathologie à un stade précoce et éviter des complications en rapport avec la dissémination systémique.

Observation

Il s’agissait d’une patiente âgée de 67 ans, sans antécédent pathologique, qui avait consulté pour une dysphonie évoluant depuis 3 ans, d’aggravation progressive depuis une semaine associée à des douleurs laryngées. À l’interrogatoire, on ne notait ni amaigrissement, ni fièvre, ni dyspnée ou lésion cutanée. L’auscultation cardio-pulmonaire était normale, il n’y avait pas d’hépato-splénomégalie. Il n’y avait pas de trouble de la sensibilité ou de la motricité des membres supérieurs. Initialement, la dysphonie avait été traitée symptomatiquement sans amélioration.

La persistance de la dysphonie avait nécessité plusieurs avis spécialisés, l’examen du larynx avec endoscopie a objectivé une lésion bourgeonnante saignant au contact au niveau de la bande ventriculaire gauche étendue à la commissure antérieure. La biopsie a conclu à une amylose laryngée. L’étude immunohistochimique n’était pas concluante. Le reste de l’examen physique a noté une macroglossie. L’électrophorèse des protides sanguins, les immunoélectrophorèses sanguine et urinaire étaient normales sans élément pour une prolifération monoclonale. L’hémoglobine était à 13 g/dl, les globules blancs à 7.000/mm3 et les plaquettes à 160.000/mm3. La calcémie était à 2,4mmol/L, la créatininémie à 70 μmol/L, la créatine phosphokinase et les enzymes hépatiques étaient normales, la protéinurie de 24 heures était négative.

Les radiographies osseuses ne montraient pas de lésions ostéolytiques osseuses. Une biopsie des glandes salivaires accessoires était sans anomalies pour la coloration au rouge Congo. La radiographie thoracique, L’échographie doppler cardiaque ainsi que l’échographie abdominale étaient normales. Le traitement se basant sur l’exérèse endoscopique de la formation bourgeonnante et la colchicine a permis une amélioration de la dysphonie. Le recul actuel est de un an.

Discussion

Les amyloses sont des maladies liées au dépôt extracellulaire, dans différents organes, d'une substance amorphe, la substance amyloïde, constituée à partir de différents précurseurs protéiques [1] [3]. L'existence d'amyloses localisées est généralement en rapport avec la production in situ de chaînes légères qui se déposent près de leur lieu de synthèse. Les formes les plus fréquentes sont l'amylose localisée des paupières, l'amylose trachéo-bronchique et les tumeurs amyloïdes vertébrales [1] [5] [6]. La localisation laryngée est exceptionnelle, Quelques cas seulement ont été recensés dans la littérature [1] [2] [7]. La première observation d’amylose laryngée a été rapportée en 1875 par Burow et Neumann [7]. Parmi les tumeurs laryngées bénignes, l’amylose est une cause rare dont la fréquence peut être estimée entre 0,17 % et 1,2 % dans les différentes séries de la littérature [8] [9]. Les hommes semblent être un peu plus touchés que les femmes (56 sur 44) avec une prédominance de la tranche d’âge 40–60 ans.

A notre connaissance aucun cas de dysphonie révélant une amylose laryngée n’a été rapporté dans la littérature après l’âge de 65ans ce qui singularise notre observation qui rapporte un cas d'amylose localisée exclusivement au niveau du larynx, de présentation pseudo-tumorale avec une dysphonie d'aggravation progressive. La localisation préférentielle laryngée n’est pas clairement expliquée mais pourrait être liée en partie à une sollicitation inhabituelle des cordes vocales. Le délai entre les premiers symptômes et le diagnostic est généralement long car d’autres diagnostics plus fréquents sont d’abord évoqués (reflux gastro-œsophagien, polype..), ce délai était de trois ans dans notre observation. La découverte d’une amylose laryngée doit faire rechercher une éventuelle extension systémique. Il s’agit d’un problème important lorsqu’on connaît le pronostic défavorable des amyloses systémiques AL. La recherche d’une dissémination de l’amylose peut nécessiter des biopsies des glandes salivaires accessoires, de lésions cutanées, du rectum ou de la graisse du tissu sous-cutané abdominal. Le bilan d’extension était négatif pour notre patiente.

Le traitement de l’amylose laryngée symptomatique repose sur des gestes locaux endoscopiques chirurgicaux essentiellement par laser CO2. L’évolution vers une dissémination systémique de l’amylose avec le temps semble très peu fréquente [8] mais quelques cas avec une atteinte systémique ont cependant été rapportés [3]. Le pronostic chez les patients ayant une amylose laryngée semble nettement meilleur que celui des malades ayant une amylose systémique AL.

Dans notre observation, la patiente ne présentait pas d’amylose systémique lors du diagnostic initial et du suivi évolutif de la maladie. Néanmoins, elle a bénéficié d’une surveillance semestrielle comportant :

  • un examen clinique afin de déceler des signes cutanés et extra-cutanés orientant vers une amylose systémique ;
  • un bilan biologique incluant une électrophorèse des protides sériques et un dosage des chaînes légères libres.

Les rares décès dus à la maladie sont liés soit à une atteinte pulmonaire associée, soit à une hémorragie lors d’un traitement chirurgical [10].

Conclusion

L’amylose laryngée est une forme localisée rare d’amylose. Le diagnostic est souvent tardif surtout chez le sujet âgé, une atteinte des organes de voisinage, principalement la trachée, est parfois associée. La dissémination viscérale systémique de la maladie est inhabituelle. La surveillance clinique et biologique doit être prolongée en raison des récidives tardives locales et d’une éventuelle dissémination systémique.

Références
  1. Ayadhi oueslati Z, Ben azzouna H, Toumi S et al. Amylose laryngée à propos d'un cas. J.Tun.ORL 2001 ; 7 :36-39.
  2. Vigness S, Brasunu D, Henegar C, Tiev KP, Generaux T, Cabane J. Amylose Laryngée : une cause rare de dysphonie. Rev Med Interne 2000; 21: 1121-5.
  3. Thompson L, Derringer G, Wenig B. Amyloidosis of the larynx: a clinicopathologic study of 11 cases. Mod Pathol. 2000;13:528-35 pubmed
  4. Kyle R, Bayrd E. Amyloidosis: review of 236 cases. Medicine (Baltimore). 1975;54:271-99 pubmed
  5. Vicente Villagomez, Felicitos Santos, Ramiro Santos and al. Amyloidosis:Uncommon cause of dysphonia. Head and Neck Surgery 2004; 13: 1275-276.
  6. Quinquenel M, Le Coz A, Desrues B, Caulet-Maugendre S, Lena H, Belleguic C, et al. [Pleural amyloidosis. Apropos of a case and review of the literature]. Rev Pneumol Clin. 1996;52:39-41 pubmed
  7. A Burow, L Neumann. Amiloide Degeneration von Larynx Tumoren, Canule sieben Jahre lang getragen. Arch Klin Chir1875; 18: 242–246.
  8. McAlpine J, Fuller A. LOCALIZED LARYNGEAL AMYLOIDOSIS, A REPORT OF A CASE WITH A REVIEW OF THE LITERATURE. J Laryngol Otol. 1964;78:296-314 pubmed
  9. Michaels L, Hyams V. Amyloid in localised deposits and plasmacytomas of the respiratory tract. J Pathol. 1979;128:29-38 pubmed
  10. Kennedy T, Patel N. Surgical management of localized amyloidosis. Laryngoscope. 2000;110:918-23 pubmed
ISSN : 2334-1009