La maladie de Kikuchi-Fujimoto : A propos de deux cas
A Benmoussa (echouaif89 at mail dot ru) #, M Loukhnati, I Tazi I, L Mahmal
Service d’Hématologie, CHU Mohammed VI, Marrakech, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.5.2590
Date
2018-05-24
Citer comme
Research fr 2018;5:2590
Licence
Résumé

Introduction : La maladie de Kikuchi-Fujimoto (MKF), ou lymphadénite nécrosante histiocytaire, est une entité clinico-pathologique encore mal connue des cliniciens et des anatomopathologistes. C’est une maladie rare qui touche essentiellement le sujet jeune, avec une prédominance féminine. Nous rapportons deux cas cliniques et décrivons les principales caractéristiques de cette maladie rare. Observations : Premier cas : Il s’agissait d’une patiente âgée de 26 ans, sans antécédent particulier, qui présentait depuis un mois des adénopathies cervicales bilatérales. La biopsie ganglionnaire a mis en évidence une lymphadénite nécrosante histiocytaire. Une corticothérapie à faible dose était administrée avec une bonne évolution. Deuxième cas : Il s’agissait d’une patiente âgée de 31 ans, sans antécédent pathologique, qui présentait depuis deux mois un magma d’adénopathies cervicales droites. La biopsie ganglionnaire a révélé une MKF. Une corticothérapie à faible dose était instaurée, avec régression des adénopathies après une semaine. Conclusion : La MKF est une maladie rare, dont les étiologies restent inconnues. Le diagnostic de certitude repose sur l’examen anatomo-pathologique. La guérison est spontanée en quelques semaines.

English Abstract

Introduction: Kikuchi-Fujimoto's disease (KFD), or histiocytic necrotizing lymphadenitis, is a clinical pathological entity poorly described in the literature. It mainly affects the young patients with a female predominance. We report two cases of KFD and describe the main features of this rare disease. Cases: Case 1: a 26-year-old female patient with no medical history, presented bilateral cervical lymphadenopathies. Pathological examination of lymph node biopsy was in favor of histiocytic necrotic lymphadenitis. The patient received a low-dose corticosteroid therapy with a good clinical course. Case 2: a 31-year-old female patient with no medical history, presented right cervical lymphadenopathy. Lymph node biopsy diagnosed KFD. Low-dose corticosteroid therapy was given with regression of lymphadenopathy. Conclusion: KFD is a rare disease which etiologies remain unknown. The diagnosis is based on pathological examination. The healing is spontaneous in a few weeks.

Introduction

La maladie de Kikuchi-Fujimoto (KF) également appelée maladie de kikuchi ou lymphadénite histiocytaire nécrosante est une affection ganglionnaire d’évolution généralement bénigne, décrite pour la première fois en 1972 au Japon par Kikuchi et Fujimoto, chez des femmes présentant des adénopathies cervicales dans un contexte fébrile [1, 2].

C’est une entité clinico-pathologique encore mal connue par les cliniciens et les anatomopathologistes et sa physiopathogénie est mal comprise.

C’est une maladie rare qui touche essentiellement le sujet jeune avec prédominance féminine. Le tableau clinique et biologique est peu spécifique et seul l’examen anatomopathologique d’un ganglion permet le diagnostic.

L'apparition de la maladie est aiguë ou subaiguë, évoluant entre deux et trois semaines. La forme la plus fréquente de présentation est la lymphadénopathie cervicale (74% à 90% des cas), ou la lymphadénopathie susclaviculaire. Les adénopathies ont généralement une taille inférieure à 3 cm, une consistance ferme et parfois douloureuse à la palpation. Une lymphadénopathie généralisée survient en minorité (5% des cas). La participation extra-nodale est rare mais déjà décrite dans les reins, le foie, le tractus gastro-intestinal, la thyroïde, la parathyroïde, la surrénale et la moelle osseuse.

Observations
Premier cas :

Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 26 ans, sans antécédents particuliers. Elle présentait depuis un mois des adénopathies (ADP) cervicales bilatérales, sensibles, volumineuses et adhérentes au plan profond, sans autres signes associés.

A l’examen clinique, la patiente était fébrile à 38,3 ̊C, mais en bon état général. Il existait des adénopathies sous-mandibulaire gauche de 2 cm / 2 cm, et droite de 3 cm / 2 cm. Les autres aires ganglionnaires étaient libres, sans hépato-splénomégalie.

Le bilan biologique a révélé un taux d’hémoglobine à 14 g/dl, des plaquettes à 200000, des leucocytes à 3100, des polynucléaires neutrophiles à 1100, des lymphocytes à 1600, une CRP à 40, un LDH à 480 UI/l, et une vitesse de sédimentation à 30 /1h. La recherche de BK dans les expectorations était négative à l’examen direct et à la culture. La tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne était sans particularité. Les sérologies de l’hépatite B, C, VIH ainsi que le bilan immunitaire (anticorps antinucléaires, anticorps anti-DNA) étaient négatifs.

L’examen histologique de la biopsie ganglionnaire a révélé une population cellulaire constituée par des histiocytes macrophagiques et des lymphocytes activés, avec présence de nombreuses mitoses et des plages de nécrose éosinophile comportant des débris nucléaires apoptotiques. L’aspect était en faveur d’une lymphadénite nécrosante histiocytaire.

Une corticothérapie à faible dose était instaurée. L’évolution était bonne avec nette diminution du volume des adénopathies après quelques jours du traitement, sans notion de récidive après un an de recul.

Deuxième cas :

Nous rapportons le cas d’une patiente âgée de 31 ans, sans antécédents particuliers.

Elle présentait depuis deux mois un magma d’adénopathies (ADP) cervicales droites, sensibles, volumineuses et adhérentes au plan profond, sans autres signes associés.

L’examen clinique trouve une patiente fébrile à 38,7 ̊C, en bon état général, avec un magma d’adénopathies cervicales droites, dont la plus volumineuse mesure 3 cm / 4 cm. Les autres aires ganglionnaires étaient libres et on ne retrouvait pas d’hépato-splénomégalie.

Le bilan biologique a révélé un taux d’hémoglobine à 13 g/dl, des plaquettes à 225000, des leucocytes à 5300, des polynucléaires neutrophiles à 2500, des lymphocytes à 2000, une CRP à 15, un LDH à 290 UI/l, et une vitesse de sédimentation à 20 /1h.

La tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne était sans particularité.

Les sérologies de l’hépatite B, C, VIH ainsi que le bilan immunitaire (anticorps antinucléaires, anticorps anti-DNA) étaient négatifs.

L’examen histologique de la biopsie ganglionnaire a mis en évidence un tissu fibreux largement infiltré par une prolifération tumorale d’aspect plasmocytoïde d’architecture diffuse : Les cellules tumorales étaient rondes de taille moyenne, leurs noyaux irréguliers, sièges d’un ou deux nucléoles proéminents, leurs cytoplasmes peu abondants et éosinophiles, le stroma fibreux siège d’un infiltrat inflammatoire dense fait de lymphocytes et plasmocytes. L’immunohistochimie était en faveur d’une lymphadénite nécrosante histiocytaire.

Une corticothérapie à faible dose était administrée, avec une bonne évolution : Régression des ADP en une semaine, sans notion de récidive après 3 mois de recul.

Discussion

La MKF est plus fréquente chez les Asiatiques (les allèles DPA1*01 et DPB1*0202 des gènes HLA de classe II sont plus fréquemment rencontrés dans la population asiatique) que chez les Caucasiens et les Africains. Elle affecte principalement l’adulte jeune, en moyenne de 25 à 30 ans avec une prédominance féminine [3, 4].

Les étiologies de la maladie restent inconnues (des origines virales ou auto-immunes ont été suspectées mais aucune n’est définitivement retenue jusqu’à ce jour). Le lien étiologique avec de nombreux virus (HHV6, HTLV1, CMV, Parvovirus B19) a été suspecté à partir d’études sérologiques dont on connaît le caractère peu spécifique, mais n’a jamais été confirmé, la recherche par PCR étant souvent négative. La controverse existe en revanche pour ce qui concerne le HHV8 et surtout l’EBV pour lequel les études restent néanmoins discordantes [4].

La symptomatologie comporte des adénopathies isolées dans près de la moitié des cas qui sont le plus souvent cervicales (85 %), uni- ou bilatérales, beaucoup plus rarement localisées dans les autres aires ganglionnaires et exceptionnellement généralisées. Elles sont parfois inflammatoires et douloureuses. La fièvre est le symptôme initial chez 30% à 50% des patients. L’asthénie, les douleurs articulaires, les éruptions cutanées, l'arthrite et l’hépato-splénomégalie peuvent accompagner la maladie. Les symptômes systémiques sont plus importants en cas d’atteinte extra-nodale.

Biologiquement, aucun signe n’est pathognomonique de la MKF. Le syndrome inflammatoire n’est pas constant (50% des cas). La leuco-neutropénie et la vitesse de sédimentation accélérée sont évocatrices. On peut aussi observer une hyper-lymphocytose et la présence de lymphocytes atypiques. Plus rarement, on retrouve une cytolyse, une cholestase ou une thrombopénie. Les marqueurs d’auto-immunité sont habituellement négatifs (anticorps antinucléaires et anti-DNA natif respectivement dans 45,2 % et 18 % des cas) [3-5].

Le diagnostic de certitude repose sur l’examen anatomopathologique d’une adénopathie, qui est caractérisée histologiquement par des ganglions avec des foyers de nécrose paracorticale entourés d'agrégats histiocytaires. Trois histoires histologiques sont décrites: prolifératives, nécrosantes et xanthomateuses, qui correspondent à des phases évolutives ou séquentielles, à différents agents étiologiques ou même à des différences dans les réponses inflammatoires des patients. Ces trois formes sont :

  • - la forme nécrosante qui est la plus fréquente, de diagnostic différentiel parfois difficile avec le lupus,
  • - la forme proliférative lympho-histiocytique pseudo-tumorale (dans laquelle l’association d’histiocytes, de monocytes plasmocytoïdes, d’immunoblastes, de débris de caryorrhexie et l’absence de neutrophiles serait caractéristique),
  • - et la forme xantho-granulomateuse qui est plus rare [5].

Sur le plan Immunohistochimique : prédominance des cellules T, surtout CD8+, les histios sont CD 68+ MPO +, KSHV/HHV8+, avec un phénotype cytotoxique (positivité de Granzyme B, perforine, TIA1) [5].

Il peut y avoir une confusion diagnostique avec un lymphome et une métastase d'adénocarcinome. Le diagnostic différentiel de MKF doit être fait avec le LED (lupus érythémateux systémique), les lymphomes, l'adénocarcinome, l'infection par Yersinia spp, la toxoplasmose, la mononucléose, le SIDA, la vascularite et la maladie de Kawasaki. En raison de l'atteinte multisystémique et de la résolution spontanée des lymphadénopathies, la sarcoïdose peut également entrer dans le diagnostic différentiel.

La MKF présente certaines caractéristiques communes avec le LED, telles que le sexe et l'âge des patients, ainsi que les altérations histologiques, considérées par certains comme un syndrome ressemblant au lupus. Il a été discuté que cette maladie pourrait être une manifestation du LED ou une de ses complications, nécessitant la surveillance de ces patients par des tests immunologiques tels que l'ANA (Les patients peuvent présenter FAN, anti-RNP, anti-ADN et anticoagulant lupus positif). D’autres maladies auto-immunes telles que le syndrome des anticorps antiphospholipides, la polymyosite, la maladie de Still, l’uvéite, la sclérodermie, la thyroïdite, l’hémorragie pulmonaire peuvent être associés à la MKF [6].

Il n'y a pas de traitement efficace. L’évolution spontanée est généralement bénigne avec guérison sans séquelles en quelques semaines à quelques mois. Les patients avec des symptômes plus graves ou persistants ont été traités avec des corticostéroïdes. Les anti-inflammatoires stéroïdiens sont suffisants pour contrôler les symptômes (une corticothérapie brève, à des doses variables allant de 20 mg/jour à plus de 1 mg/kg/j). Il est plus rare d’avoir recours aux immunoglobulines intraveineuses, à l’hydroxychloroquine, voire à l’étoposide en cas de syndrome d’activation lympho-histiocytaire associé [7]. Vu la possibilité de rechute de la maladie et de développer un LED, un suivi à long terme s’impose.

Conclusion

La MKF est une maladie bénigne et son évolution spontanée se fait en quelques semaines vers la guérison et qui pourrait être accéléré par l’exérèse chirurgicale des adénopathies. Les antibiotiques n’influencent pas le cours de la maladie. Parfois, les anti-inflammatoires stéroïdiens sont suffisants pour contrôler les symptômes, dans le but de diminuer les signes systémiques ou pour raccourcir la durée de la maladie.

Références
  1. Kucukardali Y, Solmazgul E, Kunter E, Oncul O, Yildirim S, Kaplan M. Kikuchi-Fujimoto Disease: analysis of 244 cases. Clin Rheumatol. 2007;26:50-4 pubmed
  2. Dorfman R. Histiocytic necrotizing lymphadenitis of Kikuchi and Fujimoto.. Arch Pathol Lab Med. 1987;111:1026-9 pubmed
  3. Bosch X, Guilabert A, Miquel R, Campo E. Enigmatic Kikuchi-Fujimoto disease: a comprehensive review. Am J Clin Pathol. 2004;122:141-52 pubmed
  4. Tsang W, Chan J, Ng C. Kikuchi's lymphadenitis. A morphologic analysis of 75 cases with special reference to unusual features.. Am J Surg Pathol. 1994;18:219-31 pubmed
  5. Ohshima K, Shimazaki K, Kume T, Suzumiya J, Kanda M, Kikuchi M. Perforin and Fas pathways of cytotoxic T-cells in histiocytic necrotizing lymphadenitis.. Histopathology. 1998;33:471-8 pubmed
  6. [Kikuchi-Fujimoto necrotizing histiocytic lymphadenitis without granulocytic reaction].. Rev Med Interne. 1996;17:807-9 pubmed
  7. Lee K, Yeon Y, Lee B. Kikuchi-Fujimoto disease with prolonged fever in children. Pediatrics. 2004;114:e752-6 pubmed
ISSN : 2334-1009