Vascularite gangréneuse juvénile du scrotum au cours de la maladie de Behçet
Salem Bouomrani (salembouomrani at yahoo dot fr) #, Hassène Baïli, Maher Béji
Service de Médecine Interne, Hôpital Militaire de Gabes 6000-Tunisie, Department of Internal Medicine, Military Hospital of Gabes 6000-Tunisia
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.2.1471
Date
2015-12-06
Citer comme
Research fr 2015;2:1471
Licence
Résumé

Introduction : La vascularite gangréneuse juvénile du scrotum (VGJS) est une entité exceptionnelle d’étiologie inconnue. Son association à une maladie de Behçet (MB) n’est, à notre connaissance, jamais signalée. Observation : Il s’agissait d’un patient âgé de 23 ans, connu porteur de la MB depuis cinq ans, qui fut hospitalisé pour douleur scrotale intense survenant au décours d’un syndrome bronchique, associée à une poussée cutanéo-muqueuse et articulaire de sa maladie. A l’examen du scrotum, il existait de multiples lésions nécrotiques, noirâtres, de tailles et formes variables, parfois confluentes et très douloureuses. La biologie mettait en évidence un syndrome inflammatoire marqué et l’exérèse des lésions nécrotiques scrotales concluait à une VGJS. Le bilan étiologique de cette VGJS était négatif. Le diagnostic retenu était celui d’une poussée cutanéo-articulaire de la MB associée à une VGJS concomitante d’une pneumopathie bactérienne. Le patient était traité par ofloxacine, colchicine et glucocorticoïdes oraux avec une cicatrisation progressive et complète des lésions scrotales au bout de quatre semaines. Conclusion : Notre observation est à notre connaissance la première illustrant l’association de cette affection à la MB. Plusieurs caractéristiques communes entre ces deux vascularites laissent évoquer un lien non hasardeux: la lésion élémentaire de vascularite, le sexe masculin et l’origine géographique. La VGJS pourrait ainsi correspondre à une expression particulière de la maladie de Behçet.

English Abstract

Introduction: Juvenile gangrenous vasculitis of the scrotum (JGVS) is a rare entity of unknown etiology. Its association with Behçet's disease (BD) has never been reported. Observation: A 23-year-old tunisian male patient with BD was hospitalized for intense scrotal pain occurring after a bronchial syndrome associated with mucocutaneous and articular manifestations of BD. Scrotal examination noted multiple necrotic lesions which were very painful. Biology showed a marked inflammatory syndrome and histological examination of these scrotal lesions concluded to a JGVS. Etiological investigations for this JGVS were negative. Final diagnosis was a cutaneous and articular attacks of BD associated with a concomitant JGVS. The patient was treated with ofloxacin, colchicine and oral glucosteroïds with a gradual and complete healing of scrotal lesions after four weeks. Conclusion: Our case is to our knowledge the first illustrating the association of JGVS to the BD. Several common characteristics between these two vasculitis evoke a non hazardous link : the elementary lesion of vasculitis, the predominance of the male sex and geographical distribution. The JGVS may be considered as particular expression of BD.

Introduction

Décrite pour la première fois en 1974 par Piñol AJ. et al [1], la vascularite gangréneuse juvénile du scrotum (VGJS) est une entité exceptionnelle présentant des caractéristiques cliniques et histologiques propres permettant de la distinguer des autres causes de gangrènes des organes génitaux [2], en particulier le pyoderma gangrenosum (PG) dont elle fut longtemps considérée comme sa variante juvénile caractérisée par l’absence de récidive [3].

La revue de la littérature n’a permis de retrouver que 17 cas de VGJS rapportés sous forme d’observations isolées ou de petites séries de 2 à 5 cas. [1-10]. Toutes ces observations étaient rapportées dans la littérature espagnole et italienne excepté cette Caputo R. et al, qui était en langue anglaise [3].

L’étiologie de cette vascularite reste inconnue et l’association à une maladie de Behçet (MB) n’est, à notre connaissance, jamais signalée.

Notre observation est la première en langue française et la première rapportent l’association de la VGJS à la MB.

Observation

Homme de 23 ans connu porteur de la MB depuis cinq ans avec une atteinte cutanéo-muqueuse (aphtose buccale récurrente, pseudo folliculites nécrotiques et un Pathergy-test positif), oculaire (uvéite postérieure bilatérale et vascularite rétinienne gauche) et un typage HLA B51 positif. Il a été traité par colchicine (1mg/j) et corticoïdes systémiques (trois boli de méthylprednisolone à raison de 1g/boli pendant trois jours de suite, relayés par le prednisone à la dose de 1mg/kg/j pendant un mois et suivi d’une décroissance progressive) avec une bonne stabilisation de la maladie.

Il fut hospitalisé pour douleur scrotale intense survenant au décours d’un syndrome bronchique et associée à une poussée cutanéo-muqueuse et articulaire de sa maladie (multiples aphtes buccaux, pseudo-follicules nécrotiques au niveau du dos et des cuisses, talalgies inflammatoires et arthrite de la cheville droite).

L’examen notait une fièvre à 39°C, plusieurs aphtes buccaux au niveau des faces internes des joues et des bords libres de la longue, des lésions de pseudo folliculites nécrotiques au niveau du dos et des faces antéro-internes des cuisses, une arthrite de la cheville droite et de multiples lésions nécrotiques, noirâtres, de tailles et formes variables, parfois confluentes et très douloureuses du scrotum (Fig 1).

Vascularite gangréneuse juvénile du scrotum au cours de la maladie de Behçet Figure 1
Figure 1. Aspect initial de la VGJS : multiples lésions nécrotiques de tailles variables du scrotum.

La biologie notait un syndrome inflammatoire marqué : C-réactive protéine à 200 mg/l et vitesse de sédimentation à 75 mmH1, en rapport avec une pneumopathie basale bilatérale évolutive à la radiographie. La numération formule sanguine, la fonction rénale et les tests hépatiques étaient normaux. L’exérèse des lésions nécrotiques scrotales concluait à une VGJS. Par ailleurs le dosage des marqueurs tumoraux, des fractions du complément, des protéines C, S et du facteur V de la coagulation, le dosage pondéral des immunoglobulines et l’électrophorèse des protéines sériques, la recherche de cryoglobulines ainsi que le bilan immunologique (auto anticorps anti nucléaires, anti DNA natif, anti nucléosome, anti cytoplasme des polynucléaires neutrophiles, anti cardiolipine et anti β2 glycoprotéine1) n’ont pas révélé d’anomalies. Les sérologies virales et bactériennes (syphilis, hépatites virales B et C, virus de l’immunodéficience humaine, cytomégalovirus, herpes simplex 1 et 2, Epstein-Barr virus, parvovirus B19) ainsi que les prélèvements locaux (examen direct et culture) étaient négatifs.

Les urines étaient stériles à l’examen direct et à la culture. Il n’a pas été noté de notion de traumatisme récent des organes génitaux externes, d’application de topiques locaux, de piqures d’insectes ou de prise de toxiques. L’échographie-doppler n’a pas objectivé d’anomalies testiculaire ni épididymère.

Vascularite gangréneuse juvénile du scrotum au cours de la maladie de Behçet Figure 2
Figure 2. Aspect de la VGJS à deux semaines du traitement: multiples lésions ulcérées propres et en voie de cicatrisation.

Vu les manifestations articulaires associées, la normalité de l’imagerie des sacro-iliaques et du rachis lombo-dorsal (radiographie standard et tomodensitométrie) et la négativité du HLA B27 ont permis d’écarter une éventuelle spondylarthropathie sous-jacente.

Vascularite gangréneuse juvénile du scrotum au cours de la maladie de Behçet Figure 3
Figure 3. Aspect de la VGJS à quatre semaines du traitement: cicatrisation complète des lésions.

Le diagnostic retenu était celui d’une poussée cutanéo-articulaire de la MB associée à une VGJS concomitante d’une pneumopathie bactérienne.

Le patient était traité par ofloxacine (400mg/j), colchicine (2mg/j) et glucocorticoïdes oraux (dose initiale de 0.5mg/kg/j pendant un mois suivie d’une décroissance progressive) avec une évolution très favorable: normalisation des paramètres biologiques, nettoyage pulmonaire radiologique et cicatrisation progressive et complète des lésions scrotales au bout de quatre semaines (Fig 2 et 3).

Discussion

La VGJS est une pathologie exclusive du sujet jeune en particulier l’enfant et l’adolescent [3, 6]. Elle est rare chez l’adulte [6, 7]. Son origine reste encore indéterminée [3] ; Une infection des voies aériennes supérieures (bronchite ou pharyngite) précédente est souvent retrouvée dans l’historique du patient et est incriminée comme cause favorisante [3, 6]. Elle demeure un diagnostic non classique des ulcérations génitales [5, 8] et pose le diagnostic différentiel avec les autres causes d’ulcérations scrotales : la gangrène de Fournier, la péri-artérite noueuse, l’infection herpétique, les traumatismes scrotaux, le PG et la maladie de Behçet [2, 3, 6].

Son tableau clinique peut associer, outre les lésions scrotales typiques, une fièvre, une odynophagie, des douleurs abdominales diffuses, un syndrome inflammatoire biologique et une hyperleucocytose manifeste à polynucléaires neutrophiles [2, 3, 6, 8]. La lésion scrotale peut être unique [6, 10] ou le plus souvent multiple [1-5, 7, 8].

Sa prise en charge est encore trop controversée. Elle peut reposer sur une antibiothérapie systémique à base de fluoroquinolones (principalement la ciprofloxacine) [2, 3] seules [2] ou associée à une corticothérapie à faible dose (4mg/j en IM) [3], ou bien se limiter au simple traitement local à base des soins avec le sérum salé et l’application de la vaseline pommade [6].

Son évolution est toujours favorable au bout d’une vingtaine de jours à un mois [1-6]. La disparition peut parfois se faire au prix d’une cicatrice atrophique séquellaire [3].

Le diagnostic différentiel classique de cette affection inclue la maladie de Behçet [2, 3, 6] (ulcérations génitales, âge jeune et prédominance masculine).

En effet, ces deux affections se partagent plusieurs similitudes : le sexe masculin, l’origine méditerranéenne prédisposante et la lésion histologique élémentaire qui est la vascularite. Cette hypothèse se trouve renforcée par l’observation de Pulido-Pérez A. et al où l’étude histologique des lésions scrotales au cours de la VGJS avait objectivé en plus de l’aspect classique de cette affection, une infiltration des parois vasculaires des vaisseaux de petit calibre par des polynucléaires neutrophiles rappelant l’aspect de vascularite leucocytoclasique de la maladie de Behçet [6].

Conclusion

La VGJS est une affection très rare et d’étiologie inconnue qui est particulièrement rapportée dans les pays du pourtour méditerranéen (Espagne et Italie). Notre observation est à notre connaissance la première illustrant l’association de cette affection à la MB. Plusieurs caractéristiques communes entre ces deux vascularites laissent évoquer un lien non hasardeux: la lésion élémentaire de vascularite, le sexe masculin et l’origine géographique. La VGJS pourrait ainsi correspondre à une expression particulière de la maladie de Behçet.

Références
  1. Piñol Agude J, Ferrárciz C, Ferrando J. [2 new cases of juvenil gangrenous vascularitis of the scrotum]. Med Cutan Ibero Lat Am. 1974;:101-5 pubmed
  2. García Ligero J, Garcia Garcia F, Navas Pastor J, Chaves Benito A, Sempere Gutierrez A, Rico Galiano J, et al. [Juvenile gangrenous vasculitis of the scrotum. Report of a new case and review of the literature]. Actas Urol Esp. 2001;25:230-2 pubmed
  3. Caputo R, Marzano A, Di Benedetto A, Ramoni S, Cambiaghi S. Juvenile gangrenous vasculitis of the scrotum: Is it a variant of pyoderma gangrenosum?. J Am Acad Dermatol. 2006;55:S50-3 pubmed
  4. Devesa Múgica M, de la Torre Fraga C, Selas Pérez A, Castro Iglesias A, López Lobato M. [Gangrenous juvenile vasculitis of the scrotum. Report of 2 cases]. Actas Urol Esp. 1994;18:237-40 pubmed
  5. González González S, Pernas Gómez P, Quintas Martínez R, Fuentes Ceballos E, Martinón Sánchez F. [Juvenile gangrenous vasculitis of the scrotum: an unusual diagnosis of genital ulcers]. An Pediatr (Barc). 2012;76:239-40 pubmed publisher
  6. Pulido-Pérez A, Parra-Blanco V, Avilés-Izquierdo J. [Sudden-onset scrotal ulcer]. Actas Dermosifiliogr. 2012;103:239-40 pubmed publisher
  7. Arce Gil J, Acaso Til H, Angerri Feu O, Caffaratti Sfulcini J, Garat Barredo J, Villavicencio Mavrich H. [Juvenile gangrenous vasculitis in the adult]. Actas Urol Esp. 2008;32:574 pubmed
  8. Julve Villalta E, Márquez Moreno A, Cabra de Luna B. [Juvenile gangrenous vasculitis of the scrotum]. Arch Esp Urol. 2003;56:303-4 pubmed
  9. Pinto-Almeida T, Rosmaninho A, Lobo I, Alves R, Selores M. Juvenile gangrenous vasculitis of the scrotum: an exceptional cause of scrotal ulcers. Eur J Dermatol. 2012;22:689-90 pubmed publisher
  10. Minassian M, Marsalli M, Errázuriz ML, Jaque A, Droppelmann N. Vasculitis gangrenosa juvenil del escroto: caso clínico y revisión de la literatura. Revista Pediatría Electrónica. 2008;5(1):52-7.
ISSN : 2334-1009