Le syndrome de Jervell et Lange-Nielsen à propos d’un cas et revue de la littérature
T El hankari (tarik-hr at hotmail dot com) #, Z Lakhal, A Bouzerda, M Sabry, A Chaib, M ZBIR
Service de cardiologie, hôpital militaire d'instruction Mohamed V Rabat, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.2.1397
Date
2015-04-07
Citer comme
Research fr 2015;2:1397
Licence
Résumé

Le syndrome de Jervell et Lange-Nielson(JLN) est une affection héréditaire rare associant une anomalie de la repolarisation ventriculaire transmurale, marquée par un allongement idiopathique de l’espace QT et une surdité bilatérale de perception due à des mutations homozygotes ou hétérozygotes composites dans les gènes KCNQ1 ou KCNE1. Nous rapportons le cas d’un enfant de 08 ans, de parents consanguins au premier degré, suivi pour une surdité bilatérale de perception et qui présente depuis plusieurs années des malaises lipothymiques et syncopes avec un allongement de l’espace QT à 600 ms. L’enquête familiale trouve une sœur porteuse d’un syndrome de QT long congénital et 3 cousins avec consanguinité de premier degré décédés par mort subite. Le syndrome de Jervell et Lange-Nielson est une maladie grave dont la connaissance a largement profité des progrès récents de la biologie moléculaire. Les patients présentant ce syndrome sont exposés à un risque élevé d’événements cardiaques et de mort subite. Le défibrillateur implantable est une option qui doit être considérée rapidement chez ces patients.

English Abstract

The Jervell and Lange syndrome (JLN) is a rare inherited disorder involving the association of deafness and a prolonged QT interval caused by homozygous mutations or compound heterozygotes in KCNQ1 or KCNE1 genes. We report the case of a 8 year-old child presenting a deafness and reporting syncope and malaise lipothymic with an electrocardiogram showing a QT cat 600 ms. The family survey found a sister carrier of the Jervell and Lange syndrome and 3 cousins died by suddenly death. The Jervell and Lange syndrome is a serious illness, which has known a recent progress of molecular biology. This syndrome presents high risk of cardiac event and suddenly death. The implantable defibrillator is an option that should be quickly considered in these patients.

Introduction

Le syndrome de Jervell et Lange-Nielsen (SJLN) est caractérisé par une surdité congénitale et un allongement de l’intervalle QT sur l’électrocardiogramme. C’est la forme la plus sévère du syndrome QT long congénital (SQTL), avec un début précoce des manifestations cliniques, un QTc très allongé et une mauvaise réponse aux béta-bloquants. Cliniquement et génétiquement hétérogène, il est associé à un risque de troubles du rythme ventriculaire graves (torsades de pointes, fibrillation ventriculaire) pouvant entraîner perte de connaissance, syncopes et mort subite [1].

Observation

Nous rapportons le cas clinique d’un enfant de sexe masculin, âgé de 08 ans, de parents consanguins au premier degré, suivi pour une surdité de perception depuis l’âge de 08 mois. L’enfant s’est présenté à la consultation de cardiologie pour plusieurs épisodes de malaise lipothymique et syncopes déclenchés par les émotions et l’exercice physique qui se sont multipliés pour atteindre une fréquence de 5 événements par mois. Son tracé électrique (figure 1) réalisé à l’admission enregistrait un rythme régulier sinusal, PR à 160ms, une fréquence cardiaque à 75 c/min, des QRS fins avec un espace QT à 600ms. l’examen clinique trouve une surdité congénitale. La radiographie thoracique est sans anomalie. L’échocardiographie a montré un ventricule gauche non dilaté, de bonne fonction systolique. L’enquête familiale trouve une sœur porteuse d’un syndrome de Jervell et lange Nielson pour laquelle elle a fait l’objet d’une implantation d’un défibrillateur automatique implantable et 3 cousins avec consanguinité de premier degré décédés par mort subite. L’enfant a été mis sous traitement B bloquant et adressé dans un centre spécialisé pour implantation d’un défibrillateur automatique implantable.

Le syndrome de Jervell et Lange-Nielsen à propos d’un cas et revue de la littérature Figure 1
Figure 1. Aspects électriques de syndrome QT long congénital chez notre patient. (Espace QT à 600ms).
Discussion

Le Syndrome de Jervell et Lange-Nielson (SJLN) est une maladie rare mais grave. Elle a été décrite pour la première fois en 1957 dans une publication par Anton Jervell et son associé Fred Lange-Nielson. Les auteurs y avaient déjà insisté sur la forte incidence des morts subites survenant à un âge précoce [2]. D’autres cas familiaux décrits par Romano [3], présentaient les mêmes caractéristiques cliniques, à l’exception des troubles auditifs. Ceci a menée Fraser en 1964 à suggérer une relation génétique entre les deux formes. Les deux syndromes ont alors été considérés comme étant deux variantes d’une seule affection baptisée: le syndrome du QT long congénital(SQTL) [4]. En clinique, il reste à identifier des paramètres diagnostiques plus sensibles que l’allongement de l’intervalle QT sur l’électrocardiogramme de base et à mieux évaluer le pronostic de la maladie [5]. Sa gravité potentielle justifie un dépistage des sujets atteints, une illustration parfaite de troubles du rythme ventriculaire adrénergiques, son origine génétique a été confirmée avec six loci et cinq gènes identifiés actuellement. Sa connaissance a largement profité des progrès récents de la biologie moléculaire grâce à un traitement B bloquant à vie, la mortalité subite à dix ans a diminué de 75 à 5 %, et elle est actuellement de 0,2 à 0,5 % par an [6]. Pour Ackerman et al. [7], seulement 60 % des sujets atteints de syndrome du QT long congénital (SQTL) ont des signes cliniques typiques, alors que 9 % des SQTL congénitaux débutent par un arrêt cardiaque. La découverte précoce d’un SQTL asymptomatique lors d’un bilan génétique ou de tout autre bilan malformatif ou de surdité, est plutôt l’apanage du sujet jeune. Notre observation souligne néanmoins la gravité potentielle du malaise, équivalent de mort subite. Schwartz et al. [8], dans un suivi épidémiologique prolongé de 18 ans, d’un registre d’électrocardiogramme réalisé en maternité au 3–4e j de vie sur plus de 34 000 enfants, ont montré que 50 % des enfants décédés de mort subite présentaient antérieurement un allongement du QT (figure 2). Les études génétiques récentes trouvent des mutations en rapport avec un SQTL dans 10 à 15 % des cas, sur des séries autopsiques de morts subites inexpliquées [9, 10]. Le diagnostic repose sur des explorations électrophysiologiques d’interprétation parfois délicate, mais également sur une enquête génétique exhaustive. Il permet une attitude préventive et thérapeutique bien codifiée en fonction du génotype [11]. Depuis le premier gène découvert en 1997, 10 gènes et plus de 200 mutations ont été impliqués dans ce syndrome [12, 13].

Le syndrome de Jervell et Lange-Nielsen à propos d’un cas et revue de la littérature Figure 2
Figure 2. Aspect électrocardiographique du syndrome du QT long congénital, associant une anomalie de la morphologie de l’onde et un allongement del’intervalle QT corrigé.

Le Syndrome du Jervell Lange-Nielson (SJLN) est la variété la plus sévère de toutes les formes de QT long congénital. Il est important de noter que les bases génétiques sont en évolution constante. La plupart des patients atteints de ce syndrome présentent une mutation sur le gène KCNQ1, alors la plupart des patients asymptomatiques atteints de ce syndrome sont porteurs d’une mutation au niveau du KCNE1 [14].

Devant la gravité potentielle du (SJLN), savoir dépister les formes à haut risque de mort subite se révèle nécessaire pour la décision thérapeutique. Les facteurs incriminés dans le (SJLN) comportent [15]  : le génotype KCNQ1, l’âge de début de la symptomatologie avant un an, le sexe masculin, un intervalle QT supérieur à 550 ms. A la lumière de ces facteurs nous avons estimé que notre patient comportait un risque élevé de mort subite.

Le Syndrome du Jervell Lange-Nielson (SJLN) représente une illustration parfaite de trouble de rythme ventriculaire d’origine adrénergique. Il est absolument nécessaire de traiter d’emblée par les B-bloquants toutes les formes symptomatiques. Cependant, la réponse aux B-bloquants visant à limiter l’activation du système sympathique se révèle totalement différente. En effet, une étude a montré que les patients porteurs de (SJLN) ont continué à présenter des troubles du rythme majeurs (27%) sous B-bloquants, alors que 51% sont restés symptomatiques [16]. Ces mauvais résultats sont constatés quand les B-bloquants sont associés à la sympathectomie cervicothoracique gauche(LCSD) ou à l’appareillage par un pacemaker pour prévenir une éventuelle bradycardie [15]. La seule solution demeure donc le DAI (défibrillateur automatique implantable), seule capable de prévenir une mort subite. Mais il faut l’associer à une sympathectomie cervicothoracique gauche (LCSD) pour diminuer le nombre de chocs induits par le DAI (défibrillateur automatique implantable). Cette conduite est celle qui a prévalu pour la prise en charge de notre patient.

Conclusion

Le syndrome de Jervell et Lange-Nielsen est une maladie rare mais grave, il est associé à un risque élevé d’événements cardiaques et de mort subite. Sa gravité potentielle justifie un dépistage des sujets atteints. La collaboration entre généticiens, physiologistes et cliniciens devrait permettre de mieux préciser la relation phénotype–génotype, et d’affiner les indications thérapeutiques. Le défibrillateur automatique implantable est le seule capable de prévenir la mort subite chez les patients à haut risque. Il faut par ailleurs proscrire tout médicament pouvant allonger la durée de l’intervalle QT. Enfin, en cas de suspicion de Syndrome du QT long congénital (STQL), il est impératif que tous les membres de la famille directe aient un électrocardiogramme avec enregistrement Holter et soient génotypés afin d’identifier les sujets porteurs de mutation encore asymptomatiques. Dans les années à venir, la génétique devrait permettre la découverte d’autres gènes morbides et d’améliorer la connaissance de la relation gène–fonction.

Références
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ISSN : 2334-1009