Hyponatrémie et Inhibiteurs Sélectifs de la Recapture de la Sérotonine : approche clinique à propos d’un cas
Abdeslam Benali (abdes dot benali at yahoo dot fr) #, Fadoua Oueriagli Nabih, Amine Laffinti, Imane Adali, Fatiha Manoudi, Fatima Asri
Equipe de Recherche pour la Santé Mentale, Université Cadi Ayyad, Marrakech, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.986
Date
2014-08-08
Citer comme
Research fr 2014;1:986
Licence
Résumé

En population psychiatrique, l’hyponatrémie est secondaire à l’usage des antidépresseurs notamment les Inhibiteurs Sélectifs de la Recapture de la Sérotonine (ISRS). C’est une comorbidité fréquente et potentiellement dangereuse. Elle est due au syndrome de sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique (SIADH). Elle apparaît en début du traitement, sa survenue est majorée par des facteurs de risque qui sont à vérifier, sa traduction clinique s’étend des formes asymptomatiques aux formes plus prononcées et graves. Souvent une normalisation est obtenue à l’arrêt du traitement couplé à une restriction hydrique et un régime normo-sodé. Dans les formes sévères, des perfusions de sérum salé hypertonique sont indiquées. Ces données incitent à des mesures de surveillance clinique et biologique.

English Abstract

In psychiatric population, hyponatremia, a common and potentially dangerous comorbidity, is secondary to the use of antidepressants such as selective serotonin reuptake inhibitors due to the Syndrome of Inappropriate Secretion of Antidiuretic hormone (ISADH). hyponatremia appears at the beginning of the antidepression treatment with its clinical presentations ranging from asymptomatic to severe forms. Often, normalization is obtained after discontinuation of the treatment coupled to a hydrous restriction and a diet with normal saline supplementation. In severe cases, perfusions of hypertonic salted serum are indicated. Clinical and laboratory monitorings are required.

Introduction

L'hyponatrémie définie par une natrémie inférieure à 135 mmol /l est une comorbidité fréquente et potentiellement dangereuse chez les patients suivis en psychiatrie. L'hyponatrémie, secondaire au syndrome de sécrétion inappropriée d'hormone antidiurétique (SIADH) est un effet indésirable fréquent de l'utilisation des antidépresseurs notamment les Inhibiteurs Spécifiques de la Recapture de la Sérotonine (ISRS). Elle apparait habituellement pendant les premières semaines du traitement. Sa survenue est majorée par plusieurs facteurs de risque qu’il convient de rechercher. Le spectre sémiologique de l’hyponatrémie s’étend des formes asymptomatiques aux formes plus prononcées et graves. Le plus souvent une normalisation est obtenue rapidement à l’arrêt du traitement couplé à une restriction hydrique et un régime normo-sodé. Dans les formes sévères, des perfusions de sérum salé hypertonique sont indiquées.

Observation clinique

Madame F. est âgée de 60 ans. Elle est veuve et vit seule depuis le départ de sa fille unique à l’étranger. Elle est hospitalisée dans notre service pour un épisode dépressif majeur d’intensité sévère sans symptômes psychotiques. Elle n’a pas d’antécédents pathologiques hormis un épisode similaire traité par un antidépresseur de la classe des tricycliques pendant douze mois à l’âge de 30 ans.

Un traitement avec un antidépresseur de la classe des ISRS est entrepris. Le bilan médical à l’admission incluant une numération formule sanguine, un ionogramme sanguin, une exploration de la fonction thyroïdienne et une IRM cérébrale est normal. Trois semaines plus tard, la patiente semblait être plus ralentie, se plaignant de nausées et de céphalées, cherchant ses mots et paraissait désorientée dans le temps. Quelques heures après, elle commence à convulser. Elle est illico presto transéatée au service d’accueil et des urgences où le bilan médical ne révèle aucune anomalie, à l’exception d’une natrémie de 120 mmol/l. le dosage de l’osmolarité plasmatique et urinaire indique respectivement des valeurs de 221 et 522 milliosmoles/litre.

Ce bilan évoque une hyponatrémie secondaire à une sécrétion inappropriée de l’hormone antidiurétique (SIADH). Et le contexte est en faveur d’une origine iatrogène incriminant l’antidépresseur. En effet, le résultat de l’ionogramme sanguin était normal avant que la patiente commence à le prendre. En outre, l’osmolarité plasmatique est inférieure à la normale, indiquant une hémodilution, en plus d’être nettement inférieure à celle des urines. Les nausées et les céphalées sont des effets indésirables fréquents des ISRS, mais ces symptômes traduisent également l’hyponatrémie. L’évolution de la patiente illustre bien la rapidité avec laquelle peut se manifester un syndrome SIADH d’origine médicamenteuse.

Une restriction hydrique, l’arrêt de la prise de l’antidépresseur et l’administration d’un soluté physiologique par voie intraveineuse ont permis de normaliser la natrémie en quatre jours. L’indication de l’antidépresseur est toujours présente et tous les antidépresseurs peuvent entrainer une hyponatrémie. Même si l’hyponatrémie ne réapparaît pas nécessairement quand un ISRS en remplace un autre, nous avons opté pour un antidépresseur de la classe des tricycliques, puisque ces derniers auraient une faible incidence d'hyponatrémie [1], et la patiente ne présente pas de contre-indication et a bien répondu à ce traitement antérieurement.

Un ionogramme sanguin sera effectué sur une base hebdomadaire puis mensuelle pour guetter l’apparition d’une récidive du syndrome SIADH.

Discussion

Ce cas d’hyponatrémie illustre bien le tableau clinique que présentent de nombreux patients suivis en psychiatrie. La prévalence de l’hyponatrémie varie entre 3 et 6 % chez ces patients [2]. Divers psychotropes sont susceptibles d’induire une hyponatrémie : benzodiazépines, antipsychotiques, anticonvulsivants, inhibiteurs de la monoamine oxydase, antidépresseurs tricycliques [3] [4] et surtout les antidépresseurs de la classe des ISRS, et tout particulièrement chez les sujets âgés [5] [6]. Il n’y a pas dans la littérature de données convaincantes affirmant une différence de risque entre les différents ISRS. Le délai moyen d’apparition de l’hyponatrémie se situe entre deux et trois semaines [7] [8].

La symptomatologie de l’hyponatrémie correspond à une encéphalopathie hyponatrémique par hyperhydratation intracellulaire. Le spectre symptomatique est très large allant des symptômes les plus communs : céphalées, vision trouble, fatigue, tremblements musculaires et crampes, nausées et vomissements, diarrhée, hypersalivation, agitation, anorexie, troubles du sommeil, léthargie aux symptômes plus sévères : confusion, convulsion par œdème cérébral, coma et décès. Une modification de la symptomatologie psychiatrique peut également être observée. La gravité des symptômes est habituellement liée à la rapidité d’apparition de l’hyponatrémie.

Ces symptômes apparaissent pour une natrémie variable d’un individu à l’autre, mais rarement pour une natrémie supérieure à 130 mmol/l. Même pour une hyponatrémie inférieure à 125 mmol/l, 50 % des hyponatrémies seraient asymptomatiques [9]. Cependant, chez le sujet âgé, une hyponatrémie inférieure à 132 mmol/l est pourvoyeuse d’un risque majoré de chute [10]. Notons que les symptômes les plus communs de l'hyponatrémie (une faiblesse, une léthargie, des céphalées et une anorexie) sont aussi présents dans la dépression. Le risque est d’ignorer une hyponatrémie induite par les ISRS en mettant ses symptômes sur le compte de la dépression ce qui pourrait mener à augmenter la dose de l'antidépresseur au lieu de la réduire ou l’arrêter conduisant à une forme plus sévère. Ceci dit, la distinction entre les symptômes dépressifs et de l'hyponatrémie est assez difficile.

Les éléments anamnestiques suffiront souvent à attribuer l’hyponatrémie au psychotrope. Cependant, quand le diagnostic différentiel avec une suspicion de potomanie n’est pas évident, un argument clinique, l’absence de polyurie dans le cas du SIADH, contrairement à celui de la potomanie et un argument biologique, l’élévation de l’osmolarité urinaire comparativement à l’osmolarité plasmatique permettent de trancher [11].

D’autres pathologies notamment tumorales, traumatiques, neurologiques et pulmonaires, peuvent provoquer un syndrome SIADH. L’examen clinique soigneux et les bilans paracliniques hiérarchisés éclaireront la démarche diagnostique.

Bien que le plus souvent l’hyponatrémie sous antidépresseurs soit attribuée au SIADH, ceci reste non étayé. Ces médications peuvent affecter l’homéostasie hydroélectrolytique de trois manières : par augmentation de la sécrétion centrale de l'hormone antidiurétique (ADH), par potentialisation des effets de l’ADH sur les récepteurs rénaux et par la modification de la sensibilité des osmorécepteurs centraux, favorisant ainsi la sécrétion d’ADH. Bien que les mécanismes de l’hyponatrémie sous antidépresseurs restent inconnus, des études suggèrent que la sérotonine stimulerait la sécrétion d’ADH [3].

Il ya plusieurs facteurs de risque de l'hyponatrémie. Ce sont essentiellement, le sexe féminin, [8] [12] l'âge plus avancé, un IMC bas [7] [12], la prescription de diurétiques thiazidiques, la prise concomitante d’antidépresseurs tricycliques et des inhibiteurs calciques [13] et une natrémie de base inférieure à 138 mEq/l [12].

Sur le plan évolutif, Le plus souvent l’hyponatrémie disparaît dans les deux semaines suivant l’arrêt du traitement incriminé et ne réapparaît pas nécessairement quand un ISRS en remplace un autre. Un monitorage de la natrémie suffit parfois à constater une normalisation sans interruption du médicament. D’autres fois, le traitement de l’hyponatrémie nécessite l’arrêt de la molécule incriminée puis la correction des anomalies hydroélectrolytiques. Le traitement immédiat dépendra de la sévérité de l’hyponatrémie. Le plus souvent une normalisation est obtenue rapidement à l’arrêt du traitement en cause associé à une restriction hydrique et un régime normo-sodé puisqu’il s’agit d’une hyponatrémie de dilution. Dans les cas rares d’hyponatrémie symptomatique sévère, des perfusions de sérum salé hypertonique sont indiquées en milieu spécialisé. La normalisation de la natrémie doit se faire sur une période variant entre 24 et 48 heures, en augmentant la natrémie par palier de10 mmol/l en 24 heures. Une correction trop rapide peut entraîner des complications neurologiques graves, au premier rang desquelles la myélinolyse centropontique [14]. Par la suite la natrémie devra être attentivement surveillée, et particulièrement pour les antipsychotiques dont la période à risque semble bien plus prolongée que pour les antidépresseurs. Parfois le traitement psychotrope s’avère indispensable malgré l’hyponatrémie induite. Plusieurs méthodes ont été utilisées pour prévenir la survenue de cet effet secondaire, essentiellement la restriction hydrique, mais aussi l’emploi d’un inhibiteur de l’ADH (la déméclocycline), de fludrocortisone ou de lithium [3].

Conclusion

Les données épidémiologiques soulignent la fréquence relativement élevée d’hyponatrémie en population psychiatrique secondaire à l’usage des antidépresseurs notamment ceux de la classe des ISRS. Ce constat incite à des mesures de surveillance tant clinique que biologique. En particulier, l’initiation d’un traitement par ISRS chez un patient aux multiples facteurs de risque doit être précédée par un dosage électrolytique préalable suivi d’un monitorage biologique au cours des premières semaines du traiteme

Références
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ISSN : 2334-1009