Syndrome alterne du tronc cérébral révélant un prolactinome géant
Fayçal El Guendouz1 (el dot guendouz at gmail dot com) #, Nabil Hamoune2, Abdelaziz Hommadi2
1 Département de médecine, unité d’endocrinologie, Troisième hôpital militaire Laayoune, Maroc. 2 Département de radiologie, Troisième hôpital militaire Laayoune, Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.1092
Date
2014-10-23
Citer comme
Research fr 2014;1:1092
Licence
Résumé

L’adénome à prolactine est la tumeur hypophysaire la plus fréquente, il se présente généralement par des troubles endocriniens et des altérations du champ visuel traduisant l’extension suprasellaire vers le chiasma. Les prolactinomes envahissant la base du crâne sont rares et peuvent être confondus avec d’autres tumeurs non hypophysaire. Quelques cas ont été rapportés dans la littérature. Nous rapportons un cas de prolactinome géant et agressif, en apoplexie, se présentant par un symptôme neurologique atypique : un syndrome alterne du tronc cérébral. Il a bénéficié d’un traitement conservateur par un analogue de la somatostatine : la cabergoline, qui était efficace aussi bien sur les désordres hormonaux que sur les troubles neurologiques.

English Abstract

Prolactinomas are the most common pituitary tumors, usually presenting with endocrine disorders and visual field defects when a suprasellar extension to the optic chiasm occurs. Invasive prolactinoma presenting as skull base tumor is rare, and can be confused with other non-pituitary tumors. A few cases have been reported in the literature. We present a case with an exceptionally aggressive tumour in a state of apoplexy presenting with atypical neurological symptoms: alternating brain stem syndrome. Conservative treatment with the dopamine agonist cabergoline was given; it was effective in normalizing endocrine disturbances and neurological disorders.

Introduction

Les prolactinomes sont les tumeurs les plus fréquentes de l’hypophyse. Il n'y a pas de consensus sur la terminologie à utiliser pour décrire un adénome hypophysaire géant [1]. Ils ont été décrits comme adénome invasif, adénome malin et carcinome. Certains auteurs ont utilisé la terminologie d’adénome géant pour des tumeurs dont la taille dépasse 40 mm, ou à ceux s'étendant sur moins de 6 mm du foramen de Monro, indépendamment de leur caractère envahissant [2]. L’adénome à prolactine se présente généralement par des troubles endocriniens et des altérations du champ visuel traduisant l’extension suprasellaire. Le caractère compressif est habituel chez le sujet de sexe masculin et la femme ménopausée à cause du retard diagnostic, à l’inverse l’aménorrhée chez la femme en activité génitale motive le diagnostic à un stade précoce de microadénome. Cependant, l'invasion de la base du crâne est rare et peu de cas ont été rapportés dans la littérature [3] [4]. Nous rapportons un cas de prolactinome géant compressif sur tous les plans, révélé par un syndrome alterne du tronc cérébral. Il s’agit d’un signe neurologique atypique pour ce type de tumeur qui est décrit à notre connaissance pour la première fois dans la présente observation.

Syndrome alterne du tronc cérébral révélant un prolactinome géant Figure 1
Figure 1. IRM du cerveau, coupe sagittale, séquence T1, sans injection de gadolinium : l'adénome hypophysaire géant et invasif avec extension supra-sellaire, infra-sellaire et même retro-sellaire massive. A noter la compression postérieure de la protubérance responsable du syndrome alterne du tronc cérébral et l’hyperintensité spontanée en faveur du caractère hémorragique de l’adénome.
Observation

Patient âgé de 46 ans, sans antécédents pathologiques notables et sans notion de prise médicamenteuse, qui a accusé six mois avant son admission un tableau neurologique fait de céphalées frontales, violentes, continues, non pulsatiles et peu sensibles aux antalgiques habituels et d’une baisse de l’acuité visuelle progressive et un tableau général comportant une asthénie physique psychique et sexuelle, une anorexie et une perte pondérale. Devant l’aggravation de la symptomatologie précédente, l’apparition d’une lourdeur de l’hémicorps gauche associée à des malaises réversibles après resucrage, le patient a consulté pour prise en charge. L’examen clinique a objectivé un ptosis, un myosis et une enophtalmie minime du coté droit, une hémiparésie motrice pure du coté gauche, une baisse profonde de l’acuité visuelle à 1/10 des deux cotés non corrigeable par des verres de correction et une hémianopsie bitemporale confirmée sur l’examen du champ visuel. Le reste de l’examen ophtalmologique notamment l’oculomotricité et le fond d’œil était strictement normal. Les autres paires crâniennes étaient sans particularités. Le bilan biologique a trouvé une anémie normochrome normocytaire, une glycémie à jeun à 0,53g/l, une HBA1C à 4,3 % et une hyponatrémie à 132mEq/l. Le bilan hormonal a montré une prolactinémie à 12130 ng/ml, une cortisolémie de 8heure à 5,2 ng/ml, ACTH de 8heure à 8,9pg/dl, une thyroxinémie à 3,4μg/dl, TSHus à 1,1 mUI/l, une testostéronémie à 0,7ng/ml, FSH à 1,6mUI/ml et LH à 0,8mUI/ml. L’IRM cérébrale a objectivé une énorme tumeur de la base du crâne, mesurant 50mm/78mm/64mm (figure 1, 2, 3, 4 et 5).

Syndrome alterne du tronc cérébral révélant un prolactinome géant Figure 2
Figure 2. ➢IRM du cerveau, coupe sagittale, séquence T1, après injection de gadolinium : Rehaussement hétérogène du processus intra et suprasellaire. Ce processus comble la citerne péri mésencéphalique et entraine un effet de masse sur le pédoncule cérébrale droit.

A noter le caractère compressif de la tumeur sur les différents plans (refoulement du chiasma optique en haut, destruction de la loge sellaire et l’os sphénoïdal en bas, comblement des deux sinus caverneux latéralement, extension vers les cellules ethmoïdales en avant et refoulement du pédoncule cérébrale droit en arrière) et la présence d’une hémorragie intratumorale confirmée par l’écho de gradient (figure 5).

Syndrome alterne du tronc cérébral révélant un prolactinome géant Figure 3
Figure 3. ➢IRM cérébrale, coupe axiale, séquence T1, après injection de gadolinium : prise de contraste hétérogène du processus hypophysaire, qui comble les deux sinus caverneux, s’étend en antérieur vers les cellules ethmoïdales et refoule en arrière le pédoncule cérébrale droit.

Le diagnostic de prolactinome géant, compressif et en apoplexie était enfin établi. Le traitement comportait la cabergoline à la dose de 2 mg/semaine associé à l’hydrocortisone 60mg/j. Après trois jours le patient a bénéficié d’une réduction de la dose d’hydrocortisone à 30mg/j et d’une introduction de la L.thyroxine (75μg/j). L’évolution neurologique et ophtalmologique était spectaculaire, avec disparition des céphalées, du ptosis, du myosis, de l’enophtalmie et de l’hémiparésie après que deux semaines de traitement. La normalisation du champ visuel et la récupération de l’acuité visuelle antérieure ont pris un mois. Sur le plan endocrinien, le patient a récupéré sur le plan général avec disparition de l’asthénie, des malaises hypoglycémique et de l’anémie, la fonction hypophysaire s’est normalisée rapidement après un mois de traitement (figure 6), d’où l’arrêt de la substitution hormonale par hydrocortisone et L thyroxine. La réévaluation radiologique après un mois de traitement était en faveur d’une réduction du volume tumoral de 50%. Malheureusement le recul réel était court, il n’est que de 3mois car le patient est perdu de vu et nous ne disposons pas d’évaluation radiologique à long terme.

Syndrome alterne du tronc cérébral révélant un prolactinome géant Figure 4
Figure 4. ➢IRM du cerveau, coupe coronale, séquence T2 : le processus géant envahis les deux sinus caverneux et refoule en haut le chiasma optique. A noter le caractère hypo intense dans cette pondération en faveur de l’hémorragie intratumorale.
Discussion

Le syndrome de Claude Bernard Horner désigne un déficit oculo-sympathique de diagnostic facile devant la triade clinique : ptosis (paralysie du muscle lisse de Müller), myosis (paralysie du muscle dilatateur de l’iris) et énophtalmie. Le syndrome alterne du tronc cérébral est définit par la présence, du côté de la lésion, de signes d'atteinte d'un ou plusieurs nerfs crâniens, et de l'autre côté de la lésion par des signes d'atteinte d'une voie longue. Dans notre cas, il existe un syndrome de Claude-Bernard-Horner du coté droit, traduisant une atteinte du X Droit et une lésion de la voie pyramidale du coté opposé (déficit moteur gauche). Il est expliqué par le refoulement postérieur du pédoncule cérébral droit qui est évident sur la coupe axiale de l’IRM (figure 3). A notre connaissance, il s’agit de la première description du syndrome alterne comme mode de révélation d’un prolactinome géant. Les caractéristiques radiologiques des macroprolactinomes ne sont pas spécifiques, de sorte que les lésions peuvent être facilement confondues avec d'autres tumeurs de la base du crâne tel que les chordomes, les chondrosarcomes, les carcinomes du nasopharynx et les métastases [3].

Syndrome alterne du tronc cérébral révélant un prolactinome géant Figure 5
Figure 5. ➢IRM du cerveau, coupe axiale, séquence T2* (écho de gradient) : aspect hypo signal témoignant de dépôt d’hémosidérine (hémorragie intratumorale).

L’hyperprolactinémie tumorale (> 200μg/l) est toujours présente, elle permet de confirmer le diagnostic [3] comme dans la présente observation, elle permet aussi de faire le diagnostic différentiel avec les tumeurs de la région. En effet, la prolactinémie reste en dessous de 200 μg/l en cas d’autres tumeurs de la région avec compression de la tige pituitaire. Une chirurgie diagnostique peut être envisagée en cas de discordance entre la taille du macroadénome et le niveau de l’hyperprolactinémie pour certains. Pour d’autre un test thérapeutique au agonistes dopaminergiques est suffisant pour le diagnostic différentiel avec les tumeurs de la région hypothalamo-hypophysaire (il n’y a pas de réduction tumorale avec le traitement médical dans ce cas). En plus de cette hyperprolactinémie le patient a présenté aussi des anomalies biologiques non spécifiques d’insuffisance antéhypophysaire : une anémie normochrome normocytaire, des malaises hypoglycémiques secondaires au déficit mixte en ACTH et en GH et une légère hyponatrémie. Le diagnostic de prolactinome en apoplexie était suspecté cliniquement devant les signes d’hypopituitarisme suscités, de céphalées et de troubles visuels et il a été confirmé par l’hypopituitarisme biologique (figure 6) et les images d’hémorragie intratumorale radiologique (figure 1, 2, 3, 5).

Syndrome alterne du tronc cérébral révélant un prolactinome géant Figure 6
Figure 6. Evaluation hormonale avant et 1mois après le traitement.

Le traitement médical par les agonistes dopaminergiques est de première intension dans les prolactinomes invasifs, la chirurgie n’est indiquée qu’en cas d’intolérance ou de résistance au traitement médical [5]. Les prolactinomes en apoplexie ont la particularité de guérir généralement bien avec un traitement conservateur (agoniste de la dopamine plus traitement hormonal substitutif selon les besoins) [6]. C’était le cas pour notre patient qui a bénéficié d’un traitement par cabergoline (agoniste dopaminergique) à la dose de 2 mg/semaine associé à un traitement substitutif de l’axe corticotrope d’abord puis de l’axe thyréotrope, avec une bonne évolution : clinique vu l’amélioration du tableau général et la disparition des signes neurologique, biologique après la normalisation de la fonction hormonale hypophysaire et radiologique vu la réduction tumorale).

Conclusion

Notre Observation illustre un cas historique de prolactinome géant de part son volume, son extension et ses signes neurologiques atypiques. La réalisation d’une prolactinémie, élément clé du diagnostic positif de ce type de tumeur peut s’avérer nécessaire devant toute tumeur de la base du crâne, surtout que le tableau clinique endocrinien est très pauvre dans ce type de tumeur chez le sujet de sexe masculin, afin d’éliminer un prolactinome nécessitant un traitement conservateur.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références
  1. Garibi J, Pomposo I, Villar G, Gaztambide S. Giant pituitary adenomas: clinical characteristics and surgical results. Br J Neurosurg. 2002;16:133-9 pubmed
  2. Fisher B, Gaspar L, Noone B. Giant pituitary adenomas: role of radiotherapy. Int J Radiat Oncol Biol Phys. 1993;25:677-81 pubmed
  3. Minniti G, Jaffrain-Rea M, Santoro A, Esposito V, Ferrante L, Delfini R, et al. Giant prolactinomas presenting as skull base tumors. Surg Neurol. 2002;57:99-103; discussion 103-4 pubmed
  4. Jefferson G. Extrasellar Extensions of Pituitary Adenomas: (Section of Neurology). Proc R Soc Med. 1940;33:433-58 pubmed
  5. Yu C, Wu Z, Gong J. Combined treatment of invasive giant prolactinomas. Pituitary. 2005;8:61-5 pubmed
  6. Sibal L, Ball S, Connolly V, James R, Kane P, Kelly W, et al. Pituitary apoplexy: a review of clinical presentation, management and outcome in 45 cases. Pituitary. 2004;7:157-63 pubmed
ISSN : 2334-1009