Les tumeurs desmoïdes de la paroi abdominale : à propos de 3 cas
M Ramraoui1 (dr dot ramraoui at gmail dot com) #, R El Barni1, M Lahkim1, J Fassi Fihri1, A Achour1, H Doulhousn2, R Roukhsi2, A Mouhsine2, E Atmane2, A El Fikri2
1 Service de chirurgie générale. Hôpital militaire Avicenne - Marrakech Maroc. 2 Service d’imagerie médicale. Hôpital militaire Avicenne - Marrakech Maroc
# : auteur correspondant
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.2.1437
Date
2015-07-16
Citer comme
Research fr 2015;2:1437
Licence
Résumé

Les tumeurs desmoïdes ou fibromatoses agressives sont des tumeurs fibroblastiques des tissus mous. Elles sont caractérisées par une capacité infiltrante invasive, un taux de récidive locale très élevé mais sans potentiel métastatique. Nous décrivons les caractères épidémiologiques, cliniques, radiologiques, évolutifs et thérapeutiques de ces tumeurs par le biais de 3 cas cliniques et une revue de littérature.

English Abstract

Desmoid tumors (or aggressive fibromatoses) are invasive fibroblastic tumors of soft tissues. Local recurrences are frequent but without metastatic potential. We describe epidemiological, clinical, radiological, evolutionary and therapeutic features of these tumors through 3 case reports and literature review.

Introduction

Les tumeurs desmoïdes (TD) ou fibromatoses agressives sont des tumeurs fibroblastiques des tissus mous. Elles sont des tumeurs rares qui touchent préférentiellement la femme jeune. Les antécédents de chirurgie abdominale et de polypose familiale constituent les principaux facteurs de risque. L’imagerie permet d’évoquer le diagnostic de ces tumeurs, d’orienter l’attitude thérapeutique et le suivi. Le traitement repose idéalement sur la chirurgie lorsqu’elle est possible et l’évolution clinique est marquée par les récidives fréquentes [1, 2].

cas Sexe / Age(ans) ATCD Délai de Consultation (mois) Taille (cm) Traitement Suivi (mois) Evolution
1H/44Traumatisme abdominal52Résection complète8Favorable
2F/26césarienne48Résection complète  et pariétoplastie48Favorable
3F/36RAS2412Résection complète et pariétoplastie16Favorable
Tableau 1. Récapitulatif des données cliniques, chirurgicales et évolutives de nos patients.
Observations (Tableau I)
Observation 1

Il s’agissait d’un patient âgé de 44 ans, ayant l’antécédent d’un traumatisme abdominal, qui présentait depuis cinq mois une masse abdominale sus-ombilicale de 2 cm de grand axe augmentant progressivement de volume. L’échographie abdominale a objectivé une masse hypoéchogène, homogène, de contours réguliers, mesurant 19,6 mm de grand axe, développée aux dépens du muscle grand droit de l’abdomen et peu vascularisée au doppler. Une résection complète a été réalisée et l’examen anatomopathologique était en faveur d’une tumeur desmoïde. L’évolution a été marquée par l’absence de récidive locorégionale avec un recul de 8 mois.

Les tumeurs desmoïdes de la paroi abdominale : à propos de 3 cas Figure 1
Figure 1. TDM abdomino-pelvienne (en haut : coupe axiale, en bas : coupe sagittale) montrant une masse (flèches rouges) du muscle grand droit gauche de densité tissulaire, homogène, isodense au muscle avoisinant.
Observation 2

Il s’agissait d’une patiente âgée de 26 ans, ayant l’antécédent d’une césarienne, qui présentait depuis quatre mois une masse sous-ombilicale de 8 cm de diamètre augmentant progressivement de taille. L’échographie abdominale et la tomodensitométrie (TDM) abdomino-pelvienne ont mis en évidence une masse pariétale de densité tissulaire homogène isodense au muscle avoisinant, développée au sein du muscle grand droit gauche (figure 1). La patiente a eu une résection large emportant la tumeur passant en tissu sain (figure 2) avec la réalisation d’une pariétoplastie par plaque biface. L’évolution après 48 mois était favorable, sans récidive.

Les tumeurs desmoïdes de la paroi abdominale : à propos de 3 cas Figure 2
Figure 2. Aspect de pièce ouverte de résection large emportant la tumeur et passant en tissu sain.
Observation 3

Il s’agissait d’une patiente âgée de 36 ans, sans antécédent pathologique, présentant une masse para-ombilicale droite de 12 cm de diamètre évoluant depuis 24 mois de façon progressive. L’échographie abdominale et la TDM abdominale ont mis en évidence une volumineuse masse de densité tissulaire isodense aux muscles pariétaux, à grand axe horizontal de 117 mm, développée au sein du muscle grand droit du côté droit (figure 3). Une résection en monobloc passant en zone saine associée à une pariétoplastie par plaque biface a été réalisée. L’évolution après 16 mois était favorable, sans récidive locale.

Les tumeurs desmoïdes de la paroi abdominale : à propos de 3 cas Figure 3
Figure 3. TDM abdominale montrant une volumineuse masse (117 mm) du muscle grand droit du côté droit de densité tissulaire, isodense.
Discussion

La tumeur desmoïde (TD), ou fibromatose agressive ou fibromatose musculo-aponévrotique, est une entité rare avec une incidence annuelle de 2 à 4 nouveaux cas par million d’habitants. Elle représente 0,03% de l’ensemble des néoplasies et 3% des tumeurs fibreuses [1, 2]. Elle peut survenir à tout âge avec un pic entre 30 et 40 ans. Elle touche les deux sexes avec une prédilection féminine et un sexe ratio variant de 2F/1H à 5F/1H selon les différentes séries [3]. Dans notre série l’âge moyen est de 35,3 ans et le sexe ratio est de 2 F/1H rejoignant les données de la littérature. La notion de traumatisme ou de chirurgie abdominale représente son principal facteur de risque. Sa prédilection chez la femme jeune en âge de procréer, la régression spontanée après ménopause ou traitement œstrogènique expliquent la cause hormonale [1]. Environ 5% de ces tumeurs desmoïdes se voit chez les sujets atteints de polypose adénomateuse familiale (PAF). Le risque apparait généralement dans 75 % des cas après une chirurgie abdominale et ceci dans les 03 ans après l’intervention ou dans les 5 ans après la colectomie [1, 3, 4]. Dans notre série, on note la notion de traumatisme abdominal chez l’homme et une césarienne chez une femme. Dans 40% des cas, ces tumeurs sont abdominales dont 85% de localisation pariétale, à point de départ musculo-aponévrotique, souvent aux dépens du muscle grand droit ou oblique interne de l’abdomen, 15 % seulement sont de localisation profonde : mésentérique, pelvienne ou rétro-péritonéale [5]. Les formes extra-abdominales prédominent au niveau de la paroi thoracique, des ceintures scapulaire et pelvienne, des extrémités et de la région cervicale [2]. Dans notre série, les 3 tumeurs décrites sont de localisation abdominale pariétale. Cliniquement, Il peut s’agir d’une masse pariétale ferme, dure, peu douloureuse, de taille variable et dépassant rarement la ligne médiane. Les formes intra-abdominales se révèlent par des douleurs abdominales, une augmentation progressive du volume abdominal ou à l’occasion d’une complication : occlusion intestinale, infarctus entéro-mésentérique ou urétéro-hydronéphrose [1]. Dans notre série, l’apparition d’une masse abdominale augmentant progressivement de volume était le mode révélateur. L’imagerie fait appel essentiellement sur la TDM et l’imagerie par résonance magnétique (IRM) qui sont utiles pour l’évaluation de la taille et de l’extension des tumeurs desmoïdes, l’étude des structures avoisinantes et l’évaluation d’une récidive tumorale [2, 3]. L’échographie, examen de première intention, objective typiquement une masse hypoéchogène, relativement bien limitée, lisse dans sa localisation pariétale et irrégulière et infiltrante dans les autres formes. La TDM met en évidence une masse plus au moins bien limitée de densité tissulaire, iso ou discrètement hypodense par rapport au muscle avoisinant, se rehaussant de façon homogène, parfois hétérogène dans les tumeurs volumineuses avec des plages de nécrose, microhémorragies et de métaplasie. L’IRM permet une meilleure caractérisation tissulaire, une étude meilleure des rapports avec les structures adjacentes (nerfs, vaisseaux, organes profonds) et la différenciation des remaniements postopératoires ou après traitement médical d’une récidive tumorale [6]. Il s’agit souvent d’une masse ovoïde ou infiltrante, à limites généralement lobulées ou parfois irrégulières, présentant un iso ou hyposignal homogène en séquence pondérée T1 et un signal variable souvent en hypersignal en séquence T2, la prise de contraste est intense et hétérogène après injection de gadolinium. La présence de bandes en hyposignal, en rapport avec des faisceaux de collagène, sur toutes les séquences est très caractéristique. Un diamètre supérieur à 10 cm, une localisation mésentérique multiple, un envahissement de l’intestin grêle, ou de l’artère mésentérique supérieure et l’hydronéphrose bilatérale constituent les facteurs de mauvais pronostic [6]. Dans notre série, l’échographie abdominale était l’examen de 1ère intention chez tous nos patients. Le complément tomodensitométrique, réalisé chez les 02 femmes a permis de préciser le siège exact et les rapports de la tumeur. L’exérèse chirurgicale large à visée curative, quand elle est possible, est le traitement de choix malgré le risque de récidive élevé. En effet, quand la tumeur est résécable, une chirurgie R0 doit être réalisée [7]. Néanmoins, la résection complète ne peut être jugée macroscopiquement car la tumeur n’est pas encapsulée [8]. Cependant, cette chirurgie s’accompagne de risque de plaie péritonéale, de défects pariétaux larges, de risque d’éventration ou d’infection et de risque de plaies urétérales et vasculaires dans les formes profondes. En cas de non résécabilité ou de contre-indication, le traitement médical repose sur l’hormonothérapie et les AINS permettant une stabilisation voire plus rarement une régression de la taille de la tumeur. Des cures de chimiothérapie ou encore une radiothérapie externe peuvent être proposées dans les formes agressives, résistantes au traitement médical ou jugées inextirpables comme traitement palliatif ou néo-adjuvant [2, 9]. Dans notre série, tous nos patients ont bénéficié d’une exérèse large passant en tissu sain avec réalisation de pariétoplastie par plaque biface chez les 2 femmes. Les suites opératoires étaient simples et aucun traitement adjuvant n’a été utilisé. Macroscopiquement, il s’agit d’une masse de taille variable dépassant rarement le plan musculaire, de texture ferme, d’aspect brillant et blanchâtre à la coupe. L’étude histologique met en évidence une prolifération monoclonale de cellules fibroblastiques fusiformes entourées et séparées les unes des autres par des fibres de collagène disposées en faisceaux [2]. Dans notre série, le diagnostic de tumeur desmoïde a été confirmé par l’étude anatomopathologique. La surveillance post-thérapeutique repose sur l’examen clinique et l’imagerie notamment l’IRM qui permet de mieux visualiser les récidives locales. Ces récidives apparaissent dans les cinq ans qui suivent la chirurgie dans 33 à 75 % des cas, et dépendent de la qualité d’exérèse, de la phase de croissance au moment du traitement chirurgical, du siège et de l’extension de la tumeur [1]. Tous nos patients ont bénéficié d’une surveillance clinique et scanographique sur des périodes variables allant de 8 mois à 4 ans avec un recul moyen de 2 ans et aucune récidive locorégionale n’a été observée.

Conclusion

Les tumeurs desmoïdes sont des fibromatoses agressives du fait de leur caractère infiltrant avec un haut potentiel de récidive. Leur diagnostic doit être évoqué devant toute masse tissulaire pariétale abdominale développée sur une cicatrice de laparotomie. L’imagerie permet de poser le diagnostic, de guider la prise en charge thérapeutique et de suivre l’évolution. Le traitement repose idéalement sur une exérèse chirurgicale large suivie d’une reconstruction pariétale utilisant au besoin un renfort prothétique.

Déclaration
Conflit d’intérêt

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt.

Contributions des auteurs

Tous les auteurs ont contribué à la rédaction de ce manuscrit et lu et approuvé la version finale.

Références
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ISSN : 2334-1009