Les fibromes desmoïdes des membres : à propos de 15 cas
J Boukhris (jalalboukhris at yahoo dot fr), S Bouabid, D Benchebba, B Chagar
Service de Traumatologie Orthopédie II – HMMV – Rabat - Maroc
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.1.1036
Date
2014-09-20
Citer comme
Research fr 2014;1:1036
Licence
Résumé

Les fibromes desmoides des membres sont des tumeurs bénignes à malignité locale. Ce contraste fait toute la difficulté de la décision thérapeutique. Notre travail porte sur 15 cas de fibromes desmoides des membres colligés au sein de notre formation durant une période de dix ans, de 2004 à 2013. Le tableau clinique était dominé par un syndrome tumoral isolé pendant une longue durée. Les examens radiologiques précisaient le siège exact et les rapports de la tumeur avec les éléments avoisinants en particulier les pédicules vasculo-nerveux. Le traitement était chirurgical dans tous les cas. Un traitement hormonal adjuvant a été utilisé dans deux cas (Tamoxifène). Dans un cas, une amputation a été réalisée. L’évolution était marquée par un taux élevé de récidives (62,5%). Des interventions itératives ont été parfois nécessaires. La radiothérapie n’a été utilisée dans aucun cas.

English Abstract

Desmoid fibromas are benign tumors with local malignity. This contrast makes any therapeutic decision difficult. This study focuses on 15 cases of desmoid fibroma of limbs treated in our department for a period of ten years from 2004 to 2013. The clinical presentation was dominated by a tumoral syndrome. Radiological examinations identified the exact locations and limits, especially with neurovascular pedicles. Surgical treatment was indicated in all cases. Adjuvant hormonal therapy was used in two cases (Tamoxifen). A single amputation was performed. The evolution was characterized by a high recurrence rate (62.5%). Iterative procedures were sometimes necessary. No radiotherapy has been used in any case.

Introduction

Les tumeurs desmoides (T.D) ou fibromatoses profondes sont des tumeurs des tissus mous histologiquement bénignes développées à partir du tissu conjonctif des fascias, des aponévroses, des cloisons intermusculaires des muscles striés ou des coulées vasculaires. Elles sont de siège ubiquitaire. Les localisations abdominales ont été les premières décrites et les mieux connues, les TD extra abdominales dont celles des membres ont été reconnues plus tardivement et s’en individualisent par une grande tendance à la récidive. Les T.D sont rares, elles représentent 3,5 % des tumeurs fibreuses et 0,03% des néoplasmes. Les localisations extra-abdominales représentent 58% des cas. A propos de 15 tumeurs desmoides des membres, colligées dans notre service, nous rapportons les caractères épidémiologiques, cliniques, radiologiques et surtout les difficultés thérapeutiques et évolutives de ces tumeurs.

Les fibromes desmoïdes des membres : à propos de 15 cas Figure 1
Figure 1. Opacité des parties molles de l’extrémité supérieure de l’humérus. Avec remaniement de la corticale osseuse à ce niveau.
Materiel et methodes

Entre 2004 et 2013, 15 cas de tumeurs desmoides profondes des membres ont été colligés au sein de notre formation. Les patients se répartissaient en 11 femmes et 4 hommes et dont l’âge moyen était de 25,6 ans (extrêmes : 16 et 45 ans). Aucune notion de traumatisme n’a été relevée chez nos patients. La symptomatologie clinique était dominée par la présence d’une tuméfaction d’évolution progressive, peu douloureuse. A la palpation c’est une masse arrondie ou polylobée. Une compression nerveuse a été notée chez une patiente opérée à plusieurs reprises pour récidives d’une tumeur de la face postérieure de la cuisse avec compression du nerf sciatique. Les tumeurs se localisaient au niveau du membre supérieur dans la région supérieure du bras dans un cas (fig 1), et au niveau du membre inférieur dans le reste des cas (cuisse-5, mollet –4, pied –3, creux poplité-2). Un bilan radiologique comportant une radiographie standard a été réalisé chez tous les patients. Une échographie a été effectuée dans un cas. La TDM a été faite dans deux cas (fig 2). L’IRM a été faite dans cinq cas. L’artériographie a été réalisée dans un cas. Le traitement chirurgical a été réalisé dans tous les cas. Il fut associé au traitement hormonal (tamoxifène) dans deux cas. L’exérèse a été estimée large 6 fois et marginale 8 fois. Dans un cas il s’agissait d’une amputation (récidive d’une tumeur de la cuisse).

Les fibromes desmoïdes des membres : à propos de 15 cas Figure 2
Figure 2. Processus tumorale du creux poplité se développant au dépend des masses musculaires bien limité, de densité tissulaire, respectant l’os en regard et le pédicule vasculaire.
Resultats

Le recul moyen est de 4 ans. Le délai moyen entre le début de la tuméfaction et de l’intervention était de 30 mois avec des extrêmes de 5 mois et de 5 ans. Le traitement a été chirurgical dans tous les cas. L’évolution locale a été dominée par l’apparition de récidives chez 9 patients dans un délai moyen de 20 mois (6 mois –3 ans). Il s’agissait de la cuisse dans cinq cas, d’une localisation au pied dans deux cas, enfin du creux poplité dans deux cas. Deux patients ont été réopérés 3 fois (deux localisations au niveau du pied). La patiente qui a subit l’amputation de cuisse est une malade multi-opérée, la première intervention a été réalisée à l’âge de 8 ans pour une tumeur du tiers supérieur de la face postéro-externe de la cuisse, les récidives ont eu des localisations de plus en plus basses, la dernière ayant empiété sur le creux poplité avec un membre non fonctionnel (compression nerveuse : Paralysie sciatique). Aucun patient n’a développé de métastases ni de dégénérescence. Il n’y a eu aucun cas d’infection.

Discussion

Les tumeurs desmoides sont des tumeurs bénignes à envahissement local mais qui ne métastasent jamais. Leur incidence est faible, elle est estimée entre 2,4 et 3,4 nouveaux cas par an pour un million d’habitants [1] [2]. Ce sont des tumeurs de l’adulte jeune [3] [4] mais elles peuvent intéresser tous les âges. L’âge moyen de nos patients est de 25,6 ans. Il existe une prédominance féminine, les femmes représentent 75% des cas dans notre série ce qui concorde avec les données de la littérature (65% selon Meary [1] ). Dans notre série la distribution des tumeurs au niveau des membres est la suivante : Creux axillaire et épaule –1 cas, membres inférieurs –14 cas (cuisse –5 cas, mollet-4 cas, pied-3 cas, creux poplité –2 cas). MEARY [1] [5] dans sa série de 19 cas décrit 5 localisations à l’épaule, 5 au niveau des fesses, 4 au niveau du creux poplité, 2 en intra-osseux (radius), une au pied, deux à la cuisse. Les formes multifocales sont rares. Les localisations intra-osseuses sont plutôt exceptionnelles [6].

Plusieurs facteurs sont incriminés dans l’éclosion de ces tumeurs : les traumatismes, les interventions chirurgicales [1] [7] [8] [9], les facteurs génétiques (syndrome de Gardner [7] ), le facteur viral dans les fibromatoses juvéniles des doigts [7] et des facteurs métaboliques par analogie avec la maladie de Dupuytren [7]. Mais actuellement le facteur hormonal est au premier plan par la découverte des récepteurs oestrogéniques dans le cytosol des cellules tumorales [9]. Dans notre série une patiente était sous oestro-progestatifs. Il s’agissait d’une patiente avec une localisation au mollet mise sous tamoxifène (20 mg par jour) en post opératoire. Elle n’a pas présenté de récidive à 2 ans de recul. Sur le plan clinique le début est généralement progressif et le diagnostic est tardif. Celui-ci est de 26 mois en moyenne dans notre série. Ceci est dû au fait que la tuméfaction est souvent révélatrice sans douleur accompagnatrice. Des névralgies par compression peuvent survenir tardivement. Dans tous les cas l’état général est conservé. Tous ces caractères sont retrouvés dans la littérature [10]. La palpation révèle une tumeur de taille variable, forme régulière ou polylobée intéressant un muscle ou une coulée vasculo-nerveuse, non adhérente à la peau sans signes inflammatoires. Le bilan biologique est normal. Sur le plan radiologique, l’avènement de la TDM puis de l’IRM. a facilité le diagnostic. Ils permettent surtout le bilan d’extension. Les radiographies standards [7] [10] montrent une opacité des parties molles sans calcifications, l’os en regard peut être déformé avec encoches polycycliques. Au niveau du pied et de la main les espaces inter-osseux peuvent être élargis.

L’échographie [11] montre une masse hypo-échogène sans signes de nécrose. La TDM. [7] [10] révèle une masse hypodense homogène qui se réhausse après injection du produit de contraste, et il n’y a ni calcification ni nécrose. L’IRM. [10] [12] [13] [14] est l’examen de choix qui permet de suspecter le diagnostic et de préciser les rapports avec l’os et les pédicules vasculo-nerveux. L’absence de nécrose la différencie des rabdomyosarcomes et des synovialosarcomes. L’artériographie [10] [8] montre une masse hypovascularisée sans signes de malignité pouvant refouler les vaisseaux (notre cas). Pour schématiser la stratégie de l’imagerie médicale dans les tumeurs desmoides, l’idéal serait de compléter les radiographies standards par une IRM à défaut une TDM ou une échographie. En outre, ces examens complémentaires permettent une surveillance après traitement [7]. Le diagnostic de ces tumeurs repose sur la biopsie qui doit respecter les règles de la chirurgie carcinologique [7] [10] [8] [11]. Le diagnostic de ces tumeurs doit être précoce pour permettre un traitement efficace avant l’envahissement des axes vasculo-nerveux. La chirurgie conservatrice est le traitement de choix des tumeurs desmoides selon la plupart des auteurs. Celle-ci nécessite une exérèse large avec une marge de tissu sain péri tumoral, ce qui n’est pas toujours possible surtout si la tumeur englobe les axes vasculaires contraignant les chirurgiens à faire une chirurgie intra lésionnelle ou marginale ou à prévoir une réparation vasculaire [2]. Nous avons réalisé une fois une amputation de nécessité à la cuisse (Envahissement vasculo-nerveux avec membre non fonctionnel), 8 exérèses marginales, 6 exérèses larges. Si la pièce opératoire présente des récepteurs hormonaux, un traitement anti-oestrogénique à base de tamoxiféne (20 à 40 mg par jour) doit être associé pendant une duré de 8 mois à 24 mois [10]. Pour les tumeurs inextirpables des racines, on peut proposer une radiothérapie isolée ou une exérèse intra lésionnelle suivie par la radiothérapie de 50 Grey ou la curiethérapie [9]. L’association d’une chimiothérapie adjuvante reste controversée. L’évolution des tumeurs desmoides est lente et se fait à bas bruit en restant longtemps tolérable. Elles peuvent atteindre des tailles monstrueuses. Des régressions ont été rapportées. Le pronostic de ces tumeurs est surtout fonctionnel. Il est dominé par les récidives dont le taux varie de 50 à 80 % de cas selon les auteurs [10] [8] [12]. Ces récidives sont plus importantes dans les tumeurs envahissantes des racines qui englobent les pédicules vasculo-nerveux et les tumeurs des pieds et des mains qui s’insinuent dans les espaces interosseux. En effet l’exérèse chirurgicale dans ces cas est incomplète. Le taux de récidive dans notre série est de 62,5 % (5 cas sur 8). Les récidives multiples sont fréquentes chez un même patient [8]. Ces tumeurs ne métastasent pas et ne dégénèrent pas.

Conclusion

Les tumeurs desmoides se développent à partir des tissus mous. Elles sont caractérisées sur le plan clinique par un syndrome tumoral dont l’imagerie moderne (TDM, IRM.) évalue l’extension. Le pronostic est déterminé par le siège, l’extension locale et la sensibilité au tamoxifène. Ces tumeurs ont un potentiel évolutif lent dominé par les récidives locales. Si le diagnostic est précoce, le traitement chirurgical conservateur à type d’exérèse large est le traitement de choix. Si par contre le diagnostic est tardif avec tumeurs volumineuses, l’exérèse est incomplète et le traitement doit être complété par une radiothérapie, une chimiothérapie ou une hormonothérapie nécessitant une prise en charge multidisciplinaire.

Références
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ISSN : 2334-1009