Introduction : Le délire d’infestation ou syndrome d’Ekbom est une pathologie rare, survenant typiquement chez une femme ménopausée, se caractérisant par une hétérogénéité des tableaux cliniques, avec comme symptôme principal une conviction délirante d’être infesté par des parasites, le plus souvent au niveau de la peau. Notre observation est originale, par la localisation très peu rapportée dans la littérature de l’infestation : les intestins. Observation : Il s’agit d’un patient âgé de 60 ans, marié, sans enfants, commerçant, aux antécédents d’un épisode psychotique aigu chez sa mère, ayant présenté dans un contexte de conflit familial, un délire d'infestation à mécanisme cénesthésique avec une conviction d’avoir des vers dans les intestins, à l’origine de conduites de lavages rectaux pluri-quotidiens afin de se débarrasser des vers. Le patient a apporté des photos de débris de muqueuse intestinale comme la « preuve » de son infestation. Outre ce délire monothématique d’infestation, le patient présentait des symptômes dépressifs à type de tristesse, de dégout, de préoccupations concernant son avenir avec pessimisme, d’asthénie et de troubles instinctuels. L’évolution était favorable sous traitement antipsychotique (rispéridone à la dose de 2 mg/jour) et antidépresseur (sertraline : 50 mg/jour). Conclusion : Ce cas illustre le polymorphisme clinique de ce syndrome et incite tout médecin somaticien à penser à l’examen psychiatrique devant un tel tableau. Il illustre aussi la difficulté de différencier un délire à début tardif avec une dépression comorbide d’une dépression avec caractéristiques psychotiques « de novo » chez le sujet âgé.
Introduction: delusional parasitosis or Ekbom syndrome is a rare disorder typically occurring in a postmenopausal woman. It is characterized by clinical heterogeneity. The main symptom is a delusional conviction to be infested by parasites most often in the skin. Our case is original by the localization: the intestines. Case: a 60-year-old married and childless male patient with a history of an acute psychotic episode in his mother, presented in a context of family conflict, a delirium of cenesthesic infestation with a conviction to have worms in the intestines causing multi-daily rectal washings to get rid of worms. The patient brought photos of intestinal mucosal debris as "proof" of his infestation. In addition to this monothematic delusion of infestation, the patient presented depressive symptoms such as sadness, disgust, concerns about his future with pessimism, asthenia and instinctual disorders. The evolution was favorable with antipsychotic treatment (risperidone: 2 mg / day) and antidepressant (sertraline: 50 mg / day). Conclusion: This clinical case illustrates the clinical polymorphism of this syndrome and encourages any physician to think about the psychiatric examination in front of a similar case. It also illustrates the difficulty of differentiating late-onset delirium with comorbid depression from depression with "de novo" psychotic features in the elderly.
Le syndrome d’Ekbom, ou délire d’infestation (DI), est une pathologie rare, aux frontières nosographiques floues. Le tableau classique est fait d’une conviction d’être infesté par des parasites, le plus souvent au niveau de la peau, survenant chez un sujet âgé, souvent une femme [1]. Le patient touché, typiquement, veut apporter la preuve de son infestation en recueillant des « spécimens » et en les montrant à son médecin pour le convaincre de l’infestation. Les symptômes initiaux chez les patients sont la paresthésie, le prurit et les sensations piquantes et mordantes. Les patients ont des noms variés pour les créatures qu'ils considèrent comme les infestant, comme les insectes, les larves, les organismes, les parasites et les vers [2]. Sans traitement, la maladie peut persister pendant plusieurs années, pouvant aller de 24 ans [3] voire jusqu'à 31 ans [4].
Nous rapportons, pour illustrer le polymorphisme clinique et étiopathogénique du syndrome d’Ekbom, le cas d’un homme de 60 ans, adressé en psychiatrie par son médecin traitant pour « la conviction d’avoir des vers dans les intestins ».
Monsieur M. âgé de 60 ans, a été adressé en psychiatrie par un infectiologue pour « la conviction d’avoir des vers dans les intestins ». Il était marié, sans enfants. Il était commerçant. Dans ses antécédents familiaux, il avait une mère qui a été suivie en psychiatrie pour un épisode psychotique aigu. Il n’avait pas d’antécédents personnels particuliers.
L’histoire de la maladie remontait à deux ans, dans un cotexte de conflit familial (conflit avec son frère cadet, qui est parti vivre dans une autre ville à 400 km du lieu de résidence du patient), marquée par l’installation de tristesse, de dégout, de préoccupations concernant son avenir avec pessimisme, d’asthénie matinale, de troubles instinctuels et de troubles de la concentration. L’évolution fut marquée par l’apparition progressive d’épigastralgies, de vomissements, une sensation de « crampes au niveau des intestins », ainsi qu’un amaigrissement de 25 kg en 1 an. Ces sensations de « crampes » et de fourmillement au niveau des intestins sont devenus de plus en plus intenses. C’est suite à ses symptômes que le malade a suspecté qu’il est infesté par « des vers » au niveau de l’intestin et a commencé de faire des lavages rectaux (8 à 10 lavages par jour). On note aussi des conduites dangereuses telles que boire de l’essence pour « tuer ces vers ». Ces symptômes étaient à l’origine d’innombrables consultations chez plusieurs médecins, de différentes spécialités (cinq gastrologues, trois chirurgiens, un interniste, un dermatologue, un infectiologue, un neurologue et plusieurs médecins généralistes) et d’une série d’explorations. Une parasitose, une carence en vitamine B1 et en folates, une maladie inflammatoire de l’intestin, une maladie générale telle qu’un diabète, hypertension artérielle, hypothyroïdie, hépatopathie et néphropathie a été déjà éliminée par les avis spécialisés et la réalisation des examens cliniques et paracliniques. Une cause neurologique (un neurosyphilis, une démence, une épilepsie et une tumeur cérébrale) a été éliminée par la réalisation d’un examen neurologique, complété d’examens paracliniques (biologie, électrocardiogramme et scanner cérébral). L’origine toxique de ce tableau a été évoquée aussi, mais éliminée par l’interrogatoire.
A l'examen, le patient était anxieux et triste. Il se plaignait d’insomnie et exprimait une conviction absolue d’être infesté, en montrant, à l’appui, des photos de ce qu’il croyait être « des vers » (Figure 1). Il décrivait en détails les mouvements des vers dans ses intestins. Il exprimait des idées d’incurabilité et affirmait qu’il ne pouvait pas se débarrasser de ces parasites car ils se multipliaient rapidement. Nous n’avons noté ni d’autres idées délirantes, ni d’autres types d’hallucinations, ni idées suicidaires. Sa personnalité était marquée par la psychorigidité, la méfiance et une tendance à la rancune.
Devant ce tableau fait d’un syndrome dépressif, de plaintes somatiques et la conviction d’être atteint d’une infestation par « des vers », notre attitude était d’éliminer d’abord une cause organique, notamment une authentique infestation.
La seconde étape était de discuter les diagnostics devant un syndrome dépressif associé à un délire monothématique à thème d’infestation, survenant chez un sujet de 60 ans. Le délire monothématique fait évoquer le diagnostic d’un trouble délirant de type somatique
Le délire d’infestation, vécu comme un châtiment mérité, accompagné d’une tristesse, d’un dégout, d’un pessimisme, d’idées d’incurabilité et d’une asthénie matinale sont des arguments nous permettant d’évoquer un épisode dépressif caractérisé avec caractéristiques psychotiques (DSM-V). Dans ce cas, il s’agit de discuter le lien entre DI et la dépression : DI primaire compliqué d’une dépression ou un DI secondaire (dépression avec caractéristiques psychotiques). Chez notre patient, le caractère sévère de l’épisode, l’existence d’éléments mélancoliques et les symptômes dépressifs précédant l’apparition du délire sont en faveur d’un DI secondaire à la dépression.
L’alliance thérapeutique était difficile à établir. Ce n’est qu’à la troisième consultation qu’il a accepté d’être mis sous traitement. Celui-ci a consisté en un antipsychotique (Rispéridone) à la dose de 2 mg par jour, associé à un antidépresseur (sertraline) à la dose de 50mg par jour. L’évolution a été marquée par l’amélioration du sommeil et de l’humeur, et l’atténuation de l’anxiété avec une baisse de la fréquence des lavages rectaux ; mais le patient a arrêté le suivi au bout de quatre mois.
C’est au neuropsychiatre suédois Karl Axel Ekbom que l’on doit la description de ce délire parasitophobique en 1938, trouble qu’il dénommait « délire dermatozooique pré-sénile » et qui porte désormais son nom. Ce délire touchait principalement les femmes âgées et se manifestait par une conviction inébranlable d’être infesté par un parasite, les patientes ne présentant par ailleurs pas de détérioration intellectuelle [5].
Les classifications modernes rangent le syndrome d’Ekbom dans les « troubles délirants persistants » pour la CIM-10 et le désignent comme « trouble délirant du type somatique » dans le DSM IV-TR [6, 7].
Ce syndrome reste l’apanage du sujet âgé [8]. Le tableau le plus typique correspond à une femme ménopausée, sans antécédent somatique ni psychiatrique particulier, et considérée jusque-là comme très soigneuse, voire méticuleuse, dans sa maison. Brutalement, elle devient anxieuse et se plaint de prurit parfois assez important et de sensations de reptation sous la peau, surtout la nuit. Elle a alors la certitude inébranlable d'être infestée de parasites qu'elle appelle poux, puces...
Elle recueille d'ailleurs dans une boite «ces parasites » responsables de ses troubles qui ne sont, en fait, que des débris de divers tissus. Cette patiente utilise tout d'abord des moyens personnels pour se débarrasser de ses bêtes : lavages répétés, brossage de plus en plus énergique de la peau, utilisation de produits détergents, voire d'alcool ou d'essence.
A l’examen clinique, on constate des lésions de grattage qui peuvent être infectées, avec des lésions cutanées d’abrasion [9]. A cette sensation profonde d'être rongée par les parasites, s'ajoute une crainte de la transmission de cette parasitose à l’entourage proche.
Ces patients, comme le cas de notre patient, consultent plusieurs médecins généralistes qui essayent de leur expliquer, en vain, que ce ne sont que des fragments normaux de peau ou de tissu. Devant ces échecs, ils consultent des spécialistes : dermatologues, parasitologues, voire entomologistes, mais la réponse est toujours la même. Bien entendu, les tentatives d'orientation vers un psychiatre sont refusées, car très mal ressenties. Malgré la souffrance endurée par ces malades, leur vie relationnelle et sociale reste en règle assez bonne.
Le cas clinique rapporté diffère de la forme typique décrite par le sexe, s’agissant d’un homme, et par la localisation dans un organe non visible et par la présence de répercussions relationnelles.
Le syndrome d’Ekbom se caractérise par une hétérogénéité des tableaux cliniques et des traits de personnalités variables selon les études : histrioniques, sensitifs, paranoïaques, psychasthéniques, obsessionnels [10]. Dans notre cas, le patient avait des traits d’une personnalité paranoïaque.
La frontière entre psychose et névrose étant floue, la fausse croyance d’infestation semblant tantôt s’intégrer dans un fonctionnement psychotique, tant la conviction est inébranlable, tantôt dans un fonctionnement plus hystérisé comme peuvent en attester la quête affective du patient et le début des symptômes suite à un conflit familial.
Certains auteurs rapprochent le syndrome d’Ekbom de la psychose hallucinatoire chronique à forme cénesthésique pure, soulignant le contexte d’isolement social dans lequel se développent ces deux maladies et l’existence d’une riche expérience hallucinatoire psychosensorielle [11]. Chez notre patient, il y avait un contexte familial stressant qui aurait pu constituer un facteur de vulnérabilité. La vie relationnelle et sociale du patient était assez bonne. Les difficultés relationnelles étaient survenues plutôt suite au début des symptômes dépressifs et délirants.
Le vécu douloureux punitif et culpabilisé de l’infestation, associé à la peur d’être contagieux et de nuire à ses proches peut rentrer dans le cadre d’idées délirantes congruentes à l’humeur rejoignant les idées d’indignité, de saleté, de culpabilité, de punition et de mort de la mélancolie [12]. Notons que, à l’inverse, la dépression peut être réactionnelle au vécu d’incurabilité et peut aller jusqu’au suicide.
Chez note patient, le caractère sévère de l’épisode, l’existence d’éléments mélancoliques et les symptômes dépressifs précédant l’apparition du délire sont en faveur d’un DI secondaire à la dépression.
La prise en charge des patients présentant un syndrome d'Ekbom est complexe : il existe généralement un retard diagnostique [13] et l'alliance thérapeutique est mise à rude épreuve. Il faut insister sur la nécessaire coopération entre les différentes disciplines impliquées (dermatologie, psychiatrie, médecine générale). Lepping et Freudenmann ont proposé l’utilisation d’un algorithme diagnostique en pratique courante [14] :
- – Éliminer une authentique infection
- – Confirmer le délire parasitaire et éliminer des maladies neuropsychiatriques autres
- – Préciser le sous-type de délire parasitaire : primaire ou secondaire (schizophrénie, dépression, intoxication, maladie cérébrale ou autre affection médicale), ou délire induit (délire à deux, trois) ;
- – Traitement adapté au type de délire parasitaire.
Le traitement psychiatrique est essentiellement basé sur la prescription des antipsychotiques surtout ceux de seconde génération, mieux tolérés [15]. Une co-prescription d'antihistaminique peut permettre la réduction des démangeaisons, de l'anxiété, et une certaine sédation [15]. Lorsqu'un état dépressif est repérable, ce qui est le cas de notre patient, un antidépresseur devrait être associé.
Enfin, la psychoéducation est fondamentale. Elle inclut le soutien et l’accompagnement psychologique du patient [16]. L'explication de la maladie peut aider le patient à mieux intégrer les limites de son corps et à prendre conscience de la distinction entre Soi et non Soi [15].
Le syndrome d'Ekbom est probablement plus fréquent qu’on ne le croit. Il présente un triple challenge pour le médecin : poser le diagnostic, établir une bonne alliance thérapeutique avec un patient qui, en règle, rejette l’idée de l’origine psychiatrique de sa maladie, et traiter en l’absence de recommandations thérapeutiques spécifiques proposées. La prise en charge doit être multidisciplinaire, tenant compte des contextes somatique, familial et social du patient.
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d´intérêt.
Dr Stephen Green
Tous les auteurs ont contribué à la prise en charge du patient et à la rédaction de ce manuscrit. Tous les auteurs ont lu et approuvé la version finale du manuscrit.
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- Ferreri M. [Classification and psychiatric practice]. Encephale. 1995;21 Spec No 5:53-8 pubmed
- Rasanen P, Erkonen K, Isaksson U, Koho P, Varis R, Timonen M, et al. Delusional parasitosis in the elderly: a review and report of six cases from northern Finland. Int Psychogeriatr. 1997;9:459-64 pubmed
- Bourgeois M, Nguyen-Lan A. [Ekbom's syndrome and delusion of skin infestation. 1. Review of the literature]. Ann Med Psychol (Paris). 1986;144:321-40 pubmed
- Ait-Ameur A, Bern P, Firoloni M, Menecier P. [Delusional parasitosis or Ekbom's syndrome]. Rev Med Interne. 2000;21:182-6 pubmed
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