Ulcère de Buruli: résultats du traitement chirurgical à l’Institut Raoul Follereau D’Adzopé en Côte-d’Ivoire
A Sica (sicaasso at yahoo dot fr), L Kaba, E Toho, A Kobenan
Service de chirurgie réparatrice de l’Institut Raoul Follereau de Côte d’Ivoire à Adzopé
DOI
//dx.doi.org/10.13070/rs.fr.2.1299
Date
2015-01-17
Citer comme
Research fr 2015;2:1299
Licence
Résumé

Objectif : Analyser les résultats de 5 années de prise en charge chirurgicale de l’ulcère de Buruli (UB). Matériels et méthodes : Il s’agit d’une étude rétrospective qui a porté sur 250 dossiers de malades opérés d’UB, entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2013 à l’Institut Raoul FOLLEREAU d’Adzopé en Côte-d’Ivoire. Résultats : L’âge moyen des malades était de 24 ans avec des extrêmes de 4 ans et 57 ans. Cette affection touchait 134 hommes pour 116 femmes avec un sex ratio de 1,15 en faveur des hommes. Les enfants de moins de 15 ans (soit 39.2%), surtout les écoliers (soit 21.6 %des patients) et les « sans emplois » (soit 20.80%), étaient les plus touchés. 97% des malades étaient reçus au stade ulcère localisé et parmi eux 95% étaient des cas au niveau des membres. Plus de la moitié des lésions siégeaient aux membres inférieurs. Chez 42% des malades, les bacilles acido-alcoolo résistants avaient été mis en évidence par la coloration de Ziehl-Nielsen. L’excision de la plaie suivie de greffe de peau mince a été la technique la plus utilisée dans 69% des cas. La cicatrisation sans récidive des lésions était obtenue chez 92,54% des patients. 13 décès pour mauvais état général, ont été constatés. Conclusion : L’UB est une mycobactériose qui réalise des ulcérations cutanées souvent très étendues. Le traitement curatif reste jusqu’à ce jour la chirurgie réparatrice.

English Abstract

Objective: To analyze the results of five years of surgical treatment of Buruli ulcer (BU). Materials and Methods: This was a retrospective study that examined 250 cases of patients operated on BU, between January 1, 2008 and December 31, 2013 at the Institute of Raoul Follereau of Adzopé in Côte d’ivoire. Results: The mean age of patients was 24 years, ranging from 4 to 57. This condition affected 134 men and 116 women. Children under 15 years (39.2%), especially students (ie 21.6% of patients) and the unemployed ones (20.80%) were the most affected. 97% of patients were seen at a localized stage and located in the limbs in 95% among them. More than half of the lesions were in the lower limbs. In 42% of patients, acid alcohol-resistant bacilli were identified by Ziehl-Nielsen coloration. The wound excision followed by skin graft was the most common technique used in 69% of cases. Healing without recurrence of the lesions was achieved in 92.54% of patients. 13 deaths in poor general condition were noted. Conclusion: The BU is mycobacteriosis which often produces large skin ulcers. Curative treatment remains to be surgical nowadays.

Introduction

L’ulcère de Buruli est une maladie infectieuse cutanée due au Mycobactérium ulcerans. Il a été décrit en 1948 par Mac Callum en Australie [1]. Cette mycobactériose est aujourd’hui la 3è dans le monde après la tuberculose et la lèpre [2] [3]. Ces affections sont rependues dans les zones tropicales et subtropicales [2] [4].

En côte d’Ivoire le 1er cas a été décrit en 1982 par HEROIN et Coll. [5]. Depuis, il ne cesse de prendre de l’ampleur, à tel point qu’il est devenu la 2ème mycobactériose après la tuberculose [6]. Cette mycobactériose est responsable de lésions cutanées étendues avec des séquelles importantes [7], si elle n’est traitée tôt.

Depuis, de nombreux traitements médicaux ont été proposés sans succès. La chirurgie demeure toujours le seul traitement efficace. Elle consiste à pratiquer des excisions plus ou moins étendues, avec ou sans greffe de peau [4] [8].

L’Institut Raoul Follereau d’Adzopé, centre de prise en charge de la lèpre est devenu également, un centre de référence dans la prise en charge de l’ulcère de Buruli. Ainsi, ce travail a été effectué dans le but de rapporter les résultats de cinq années d’expérience de prise en charge chirurgicale de l’ulcère de Buruli.

Materiel et methodes

Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 250 malades traités pour ulcère de Buruli, à l’Institut Raoul Follereau d’Adzopé en Côte- d’Ivoire, du 1e janvier 2002 au 31 décembre 2006.

Les paramètres étudiés sont :

  • Les données épidémiologiques : l’âge ; le sexe et la profession.
  • Les données cliniques : le motif de consultation et la localisation des lésions.
  • Les données para cliniques : la recherche directe des bacilles acido alcoolo résistant (BAAR) par la coloration de Ziehl-Neelsen, l’hémogramme à la recherche d’une anémie.

Tous les patients ont été. Ensuite des pansements réguliers avec des produits détergents (solution de Dakin) et proinflammatoires (Antibiotulle) ont été faits en fonction de l’évolution de la plaie.

Tranche d’AGE Effectifs Pourcentage
0-5052
5-104016
10-155321.2
15-203413.6
20-25135.2
25-302811.2
30-35124.8
35-40135.2
40-45104
45-50093.6
50-55156
55-60187.2
Tableau 1. Répartition selon l’age.
Resultats
Facteurs épidémiologiques
Âge : tableau 1

La tranche d’âge la plus atteinte était celle de 10 à 15 ans représentant 21.2 %des cas. Ensuite viennent les enfants de moins de 10 ans avec 18%.

Sexe

Les hommes (134 soit 53,60%) sont un peu plus nombreux que les femmes (116 soit 46,40%). Avec un sex ratio de 1,15.

Prpfession Effectifs Pourcentage
Ecoliers5421.6
Collegiens176.8
Etudiqnts020.8
Agriculteurs4016
Menagere5220.8
Fonctionnaires083.2
Liberaux228.8
Retraites031.2
Sans professions5220.8
TOTAL250100
Tableau 2. Répartition selon la profession.
Profession: tableau 2

71 (soit 28.4%) patients sont des élèves parmi lesquels 54 (soit 76,04% des élèves et 21.6 % des patients) sont des écoliers. Ensuite viennent les sans professions et les ménagères qui représentent chacune 20.80% (soit 52 patients). Les agriculteurs sont aussi touches dans 16% des cas. Les étudiants sont moins atteints avec 0.8 % des cas.

Stadeevolutif Effectif (n=250) Pourcentage (%)
Ulcérations24397
Séquelles073
Tableau 3. Stade évolutif de la maladie.
Evolution clinique
Types de lésion: tableau 3

Presque tous les patients (97%) étaient hospitalisés au stade d’ulcère (fig 4).

Localisation des lésions Effectif (n=250) Pourcentage (%)
MembreSupérieur7931,60
MembreInférieur12851,20
MembresSupérieur et Inférieur3012
Thorax041,6
Abdomen0502
Visage020,8
Dos020,8
Tableau 4. Localisations des lésions.
Siège des lésions: Tableau 4

95% des lésions étaient localisées au niveau des membres en particulier aux membres inférieurs, comme indiqué dans le tableau I.

Bilan paraclinique

La recherche des BAAR à la coloration de Ziehl-Neelsen a été effectuée chez 161 avec 41,60% de résultats positifs.

141 patients soit 56,40% avaient une anémie avec un taux d’hémoglobine inférieur à 10g/dl.

Type de Chirurgie Effectif (n=234) Pourcentage (%)
Excision + greffe de peau16168,8
Greffe de peau3616
Excision + plastiecutanéelocale136
Excision simple156
Amputation063
Cicatrisationdirrigée197,4
Tableau 5. Procédés de traitement.
Traitements et résultats.
Procédés de traitement : Tableau 5

234 patients ont été opérés soit 93,60%. L’excision suivie de greffe de peau mince a été l’intervention la plus pratiquée (68,8%) comme présenté dans le tableau 2.

Résultats Effectif (n=250) Pourcentage (%)
Cicatrisationcomplète21887
Perdus de vue198
Décédés135
Tableau 6. Résultats des traitements.
Résultats des traitements: Tableau 6

Le tableau 6 indique que 87% des patients avaient complètement cicatrisés. 13 patients étaient décédés.

Ulcère de Buruli: résultats du traitement chirurgical à l’Institut Raoul Follereau D’Adzopé en Côte-d’Ivoire Figure 1
Figure 1. Ulcère de Buruli évolutif du cou.
Discussion
Facteurs épidémiologiques

Nous avons une légère prédominance masculine avec un sexe ratio de 1.15. Des études [2] [6] [9] [10] [11] ont montré que les deux sexes étaient atteints dans les mêmes proportions. La maladie touche plus les enfants et les jeunes ; particulièrement les écoliers, les agriculteurs et les sans emplois. Certains auteurs [12] tout en faisant le même constat ont surtout noté le lien de la maladie avec toute activité menée autour des points d’eau. On peut citer par exemple les enfants qui nagent dans les marigots ; les riziculteurs et les ménagères qui font la lessive dans les marigots.

Au cours de ces différentes activités, les membres inférieurs sont en contact permanent avec l’eau ce qui en fait le siège de prédilection.

Evolution clinique

Le contact fréquent des membres inférieurs avec l’eau en fait le siège de prédilection. Nous avons rencontré plus de patients en phase d’ulcère (figure 1) dans notre étude avec une fréquence proche de la proportion nationale qui est de 90% Cette prédominance des formes ulcératives a été également rapportée par d’autres auteurs dans des proportions moindres (66%) [11].

Ulcère de Buruli: résultats du traitement chirurgical à l’Institut Raoul Follereau D’Adzopé en Côte-d’Ivoire Figure 2
Figure 2. Technique de l’excision.

L’ulcère n’est pas la forme de début de la maladie mais sa phase d’état. Les formes de début étant indolores, les patients consultent généralement au stade d’ulcère surtout quand celui-ci dévient douloureux. C’est pourquoi le diagnostic au stade d’ulcère noté dans les différentes études est un diagnostic tardif de la maladie.

Compte tenu de l’importance de notre centre dans la prise en charge de cette affection, nous rencontrons toutes les formes cliniques notamment les formes ulcératives, les localisations inhabituelles et les séquelles .Il faut noter que l’état général des patients reste le plus souvent conservé.

Données paracliniques.

La recherche directe des BAAR à la coloration de Ziehl-Neelsen dans les lésions a un taux de positivité variable de 13 à 60 % selon les auteurs [11] [13] [14]. Dans notre série nous avons retrouvé les BAAR chez 41.60% des malades.

La recherche de BAAR à l’examen direct est un élément important du diagnostic biologique. Sa positivité est liée au stade évolutif de la maladie, mais également à la technique de prélèvement. Dans cette étude, tous les prélèvements destinés au laboratoire ont été faits au bloc opératoire ; ce sont des écouvillons associés à des prélèvements de fragment de tissus emportant le vestibule des décollements, réalisés sur les 4 points cardinaux de la lésion.

Cette technique de double prélèvement pourrait expliquer le taux élevé de positivité de nos prélèvements.

Plus de la moitié des patients (56.4 %) avaient une anémie ferriprive, comme le rapporte également certains auteurs mais dans des proportions plus importantes avoisinant les 90% des patients [12].

L’ulcère de buruli est une affection qui sévit parmi la population pauvre c’est pourquoi nous avons réalisé un minimum d’examen complémentaire pour réduire le coût de la prise en charge. Souvent les circonstances épidémiologiques et l’aspect des lésions suffisent pour évoquer le diagnostic.

Ulcère de Buruli: résultats du traitement chirurgical à l’Institut Raoul Follereau D’Adzopé en Côte-d’Ivoire Figure 3
Figure 3. Ulcère de Buruli cicatrisé après greffe de peau mince.
Résultats thérapeutiques

Tous les patients avaient été mis sous antibiothérapie non spécifique à large spectre avant, pendant et après les opérations. Il s’agissait d’une antibiothérapie de couverture qui couvre toute la période de la cicatrisation. Tous les patients qui avaient une anémie importante avaient reçu une transfusion sanguine iso groupe iso rhésus en per ou en post-opératoire.

L’anémie ferriprive est traitée par apport de fer par voie orale. Les anti-inflammatoires et les antalgiques ont été institués en cas de besoin.

Parmi les patients, 234 patients (soit 93,60%) ont été opérés et 6,40% ont bénéficie uniquement de pansements.

Les interventions chirurgicales ont consisté en une excision suivie ou non de greffe de peau mince, d’amputation, et de correction de déformation.

Dans la prise en charge de cette maladie plusieurs techniques d’excision ont été proposées [15] [16], elles ont en commun l’ablation de tissus nécrotiques jusqu’en zone hémorragique. Plusieurs cas de récidives locales ont été noté [11] [10] [16] [17].

Pour les éviter, nous avons pratiqué l’excision d’une autre manière : nous emportons dans l’exérèse, tous les tissus nécrotiques, infectés ou indurés hémorragiques ou non. La zone saine était caractérisée par un tissu cellulaire sous cutané avec une graisse de couleur jaune éclatant. Seule la présence de cette graisse nous indique la limite l’excision (figure 2).

Cette technique nous a permis d’exciser en une fois chaque lésion. Avec la greffe de peau mince, nous avons obtenu une cicatrisation sans récidive locale dans 92.54% des cas (figure 3). Toutefois, certains auteurs [11] [17], avec d’autres procédés d’excisions ont obtenu des taux de cicatrisation de 70 à 88%.

Les décès observés concernaient des malades restés en zones assiégées par des rebelles du fait de la guerre, qui n’ont reçu aucun soin. Ils on été admis dans notre centre dans un état de cachexie extrême.

Conclusion

Cette étude a montré que l’ulcère de Buruli reste toujours un problème de santé publique, et que sa cible préférée reste les enfants et les adolescents considérés comme l’avenir des peuples.

Cette affection en recrudescence au vu des chiffres de l’OMS peut être considérée comme une maladie émergeante. Son traitement en grande partie chirurgical est un véritable handicap pour les pays sous développés du fait du coût élevé de la prise en charge des malades.

Références
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ISSN : 2334-1009