Introduction : L’atteinte rénale reste exceptionnelle au cours du syndrome de Sjögren primaire (SSP). Sa prévalence est évaluée à moins de 5%, correspondant dans la majorité des cas à une atteinte interstitielle banale et souvent infra-clinique. Nous rapportons une observation originale d’atteinte rénale inhabituelle révélant un SSP. Observation : Il s’agissait d’une patiente âgée de 24 ans, sans antécédent pathologique, qui fût hospitalisée pour exploration d’une insuffisance rénale de primo-découverte (créatinine à 300µmol/l) survenant du décours d’un accouchement normal. L’imagerie médicale objectivait des masses rénales bilatérales plus manifestes du côté droit avec une néphromégalie par hypertrophie des pyramides de Malpighi donnant l’aspect d’une pseudotumeur rénale. La biopsie rénale montrait une granulomatose rénale sans nécrose caséeuse. Le bilan infectieux, tuberculeux, de la sarcoïdose ainsi que celui d’une hémopathie sous-jacente était négatif. La reprise de l’interrogatoire notait une sécheresse buccale et oculaire. Les tests oculaires confirmaient la xérophtalmie. La biopsie des glandes salivaires accessoires montrait une sialadénite lymphocytaire chronique stade 3. Les anticorps antinucléaires, anti-SSA et anti-SSB étaient positifs. Le diagnostic d’un SSP avec pseudotumeur rénale était retenu et la patiente était mise sous corticothérapie systémique à raison de 1mg/kg/j. Conclusion : Dans la littérature seulement deux cas de pseudotumeurs inflammatoires viscérales ont été rapportées au cours du SSP : une hépatique et une pancréatique. Notre observation est, à notre connaissance, la première rapportant la localisation rénale.
Introduction: Renal involvement remains exceptional during primary Sjögren's syndrome (PSS). Its prevalence is estimated at less than 5%, corresponding in most cases to a common subclinical interstitial lesion. We report a case of unusual renal involvement revealing a PSS. Case: a 24-year-old female patient with no medical history, was admitted for renal insufficiency (creatinine at 300μmol/l) occurring after a normal delivery. Medical imaging revealed bilateral kidney masses giving the appearance of renal pseudotumors. Renal biopsy showed granulomatosis without caseous necrosis. The screening for underlying infection, tuberculosis, sarcoidosis, malignant hemopathy and cancer was negative. Ocular tests confirmed xerophthalmia. Accessory salivary gland biopsy showed stage 3 chronic lymphocytic sialadenitis. Antinuclear, anti-SSA and anti-SSB antibodies were positive. PSS with bilateral renal pseudotumors were diagnosed. The patient received a systemic corticosteroid therapy at 1 mg/kg/day. Conclusion: Only two cases of visceral inflammatory pseudotumors have been reported during PSS in the literature. Our case is to the best of our knowledge, the first one reporting renal localization.
Le syndrome de Sjögren primitif (SSP) est une maladie auto-immune caractérisée par une infiltration lymphoïde focale des glandes exocrines se manifestant principalement par un syndrome sec oculaire et buccal [1]. Durant l’évolution de la maladie un tiers des patients développent des atteintes extra-glandulaires: pulmonaires, neurologiques, rénales, hépatiques et cardiaques signant le caractère systémique de cette affection et conditionnant son pronostic [2].
L’atteinte rénale reste rare au cours de cette connectivite: sa prévalence est évaluée à moins de 5% et correspond dans la majorité des cas à une néphrite interstitielle [2, 3]. Elle serait due à une infiltration lymphocytaire ou lympho-plasmocytaire de l’interstitium rénal aboutissant à la fibrose et à une tubulopathie [3]. Ces atteintes sont le plus souvent bénignes et infra cliniques et l’acidose tubulaire distale avec troubles de la concentration des urines en est la traduction la plus classique et la plus fréquente [4-6].
Les néphropathies glomérulaires sont exceptionnelles et souvent en rapport avec des dépôts de complexes immuns circulants ou une cryoglobulinémie [3-6].
Nous rapportons une observation originale d’atteinte rénale inhabituelle à type de pseudotumeur inflammatoire non spécifique (PTINS) bilatérale révélant un SSP.
Il s’agissait d’une patiente âgée de 24 ans, sans antécédent pathologique, qui fût hospitalisée pour exploration d’une insuffisance rénale de primo-découverte (créatinine à 300µmol/l) constatée sur un bilan biologique systématique de contrôle après un accouchement normal.
L’imagerie médicale (échographie, scanner et IRM) objectivait des masses rénales bilatérales plus manifestes du côté droit avec une néphromégalie par hypertrophie des pyramides de Malpighi donnant l’aspect d’une pseudotumeur rénale bilatérale (Figures 1-3).
La ponction biopsie rénale scanno-guidée montrait une infiltration inflammatoire diffuse et polymorphe des deux riens avec une prédominance lymphocytaire et une organisation en granulomes non spécifiques. Il n’a pas été noté de nécrose caséeuse ni de cellules néoplasiques.
Le bilan infectieux, tuberculeux, de la sarcoïdose ainsi que celui d’une hémopathie ou de néoplasie solide sous-jacentes était négatif.
La reprise de l’interrogatoire notait une sécheresse buccale et oculaire. Les tests oculaires spécifiques confirmaient la xérophtalmie avec une kératite ponctuée superficielle. La biopsie des glandes salivaires accessoires montrait une sialadénite lymphocytaire chronique stade 3 de Chisholm. Les anticorps antinucléaires étaient positifs à un taux de 1/320 avec une fluorescence mouchetée et les anticorps anti antigènes solubles étaient positif de type anti-SSA et anti-SSB.
Ainsi, le diagnostic d’un SSP avec atteinte rénale à type de PTINS fût retenu. Le bilan des autres manifestations extra-glandulaires de cette connectivite ainsi que la recherche d’une transformation lymphomateuse étaient négatifs. Vue la sévérité de l’atteinte rénale, la décision était de commencer une corticothérapie systémique à la dose de 1mg/kg/j.
Décrite pour la première fois par Birch et Hirschfeld en 1905 et baptisée définitivement «pseudotumeur inflammatoire» en 1954 par Umiker et Iverson [7], cette entité anatomopathologique demeure exceptionnelle et énigmatique aussi bien sur le plan pathogénie, nature, comportement locorégional ou à distance que celui de la prise en charge thérapeutique et de l’évolution ultérieure méritant par excellence la qualification de «tumeurs fantômes» [8-10].
Ces PTINS touchent principalement l’enfant et l’adolescent et sont rares à l’âge adulte [8-10]. Elles peuvent se développer dans tous les organes et les tissus de l’organisme et on leur reconnait actuellement deux grandes formes selon le siège : les PTINS pulmonaires qui sont d’ailleurs les plus fréquentes, et celles extra pulmonaires ne représentant que 5% de l’ensemble des PTINS [10].
Du fait de leur rareté, ces pseudotumeurs sont rapportées sous formes de cas sporadiques ou de petites séries [8-10] et peuvent s’associer à plusieurs affections systémiques de nature inflammatoire, dys-immunitaire ou vasculitique rendant leur diagnostic encore plus difficile surtout que les présentations pseudotumorales de ces affections sont possibles ainsi que la possibilité de greffe néoplasique secondaire [8-10].
Les PTINS du tractus urogénital sont très rares et prédominent au niveau de la vessie et de la prostate [10, 11], alors que celles des reins restent exceptionnelles [12].
Le plus souvent, la PTINS rénale reste asymptomatique et sa découverte se fait fortuitement suite à une altération de la fonction rénale lors d’un examen biochimique de routine comme c’était le cas pour notre patiente, ou à la visualisation d’une hydronéphrose asymptomatique lors d’une échographie abdominale faite pour autre cause [10-12].
L’imagerie de ces PTINS rénales n’a rien de spécifique, elle est similaire à celle des processus tumoraux rénaux (bénins ou malins) et le diagnostic de certitude reste histologique [10-12].
L’étiologie exacte de ces PTINS n’est pas encore bien élucidée, une réaction auto-immune ou d’hypersensibilité ainsi qu’un dérèglement immunologique sont cependant fort évoqués [8-10]. L’association chez notre patiente à un SSP réconforte l’hypothèse de la théorie immunologique des PTINS.
Les particularités de notre observation sont :
- Le caractère bilatéral de la pseudotumeur inflammatoire rénale : en effet, la bilatéralité n’est qu’exceptionnellement signalée pour les PTINS rénales : dans la grande revue de la littérature faite par Li JY et al seulement 34 cas de PTINS rénale ont été rapportées entre 1966 and 2008 [12] et jusqu’à 2010 seulement trois cas d’atteinte bilatérale ont été retrouvés [12, 13],
- La présentation granulomateuse de la néphropathie interstitielle du SSP (néphrite interstitielle granulomateuse) qui est inhabituelle et atypique au cours de cette connectivite [14]. De surcroît, l’organisation en PTINS n’a pas été décrite au paravent,
- La survenue de la PTINS à l’âge adulte,
- L’association de la PTINS à un SSP : en effet, les PTINS sont rares au cours du SSP et seulement quelques cas ont été décrits dans la littérature et en dehors de l’atteinte du système nerveux central, l’atteinte viscérale n’a été rapportée que dans deux cas : le premier en 1995 par Eckstein RP et al, où une pseudotumeur pancréatique a révélé un syndrome de Sjögren chez une patiente âgée de 65 ans [15], et le deuxième en 1998 par Hosokawa A et al, où une pseudotumeur inflammatoire hépatique était survenu sept ans après le diagnostic du syndrome de Sjögren chez un patient âgé de 71 ans [16]. Notre observation est ainsi la première rapportant une PTINS rénale au cours de cette connectivite.
Notre observation est, à notre connaissance, la première rapportant une PTINS rénale au cours du SSP. Elle se caractérise en plus par la bilatéralité de l’atteinte, son caractère révélateur de la maladie, sa survenue à un âge adulte ainsi que la présentation granulomateuse de la néphrite interstitielle du SSP qui est atypique et exceptionnelle. Il convient ainsi que considérer le SSP comme étiologie possible à une pseudotumeur inflammatoire rénale qui ne fait pas sa preuve.
Conflits d’intérêts : Aucun.
Considérations éthiques : La patiente a donné son consentement oral et écrit pour la publication de ses données et ses photos.
- Ramos Casals M, Brito Zer n P, Sis Almirall A, Bosch X. Primary Sjogren syndrome.. BMJ. 2012;344:e3821 pubmed
- Jasiek M, Karras A, Le Guern V, Krastinova E, Mesbah R, Faguer S, et al. A multicentre study of 95 biopsy-proven cases of renal disease in primary Sjögren's syndrome. Rheumatology (Oxford). 2016;: pubmed
- Umiker W, Iverson L. Postinflammatory tumors of the lung; report of four cases simulating xanthoma, fibroma, or plasma cell tumor.. J Thorac Surg. 1954;28:55-63 pubmed
- Sirvent N, Coindre J, Pedeutour F. [Inflammatory myofibroblastic tumors]. Ann Pathol. 2002;22:453-60 pubmed
- Cerfolio R, Allen M, Nascimento A, Deschamps C, Trastek V, Miller D, et al. Inflammatory pseudotumors of the lung.. Ann Thorac Surg. 1999;67:933-6 pubmed
- Coffin C, Watterson J, Priest J, Dehner L. Extrapulmonary inflammatory myofibroblastic tumor (inflammatory pseudotumor). A clinicopathologic and immunohistochemical study of 84 cases.. Am J Surg Pathol. 1995;19:859-72 pubmed
- Ma Y, Zieske A, Fenves A. Bilateral infiltrating renal inflammatory pseudotumor responsive to corticosteroid therapy. Am J Kidney Dis. 2008;51:116-20 pubmed
- Eckstein R, Hollings R, Martin P, Katelaris C. Pancreatic pseudotumor arising in association with Sjögren's syndrome.. Pathology. 1995;27:284-8 pubmed
- Hosokawa A, Takahashi H, Akaike J, Okuda H, Murakami R, Kawahito Y, et al. [A case of Sjögren's syndrome associated with inflammatory pseudotumor of the liver].. Nihon Rinsho Meneki Gakkai Kaishi. 1998;21:226-33 pubmed